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Impromptu sur une tabatière confisquée   Liste des additions et corrections
Impromptu sur une tabatière confisquée Œuvres complètes de Voltaire, Oxford, Voltaire Foundation, t. 1B, 2002, p. 365-366 1. Texte de base Le choix du texte de base n’est pas explicitement justifié. Il ne va pourtant pas de soi. Il semble fondé sur le principe d’antériorité. Mais pour des vers de jeunesse publiés trente ans après contre la volonté de l’intéressé, qui les condamnait à l’oubli – comme c’était son droit –, l’argument est nul: faute d’indication de source, l’impression subreptice des Nouveaux amusements doit être tenue a priori pour suspecte. Les éditeurs soulignent que le texte fut repris sans changement du vivant de l’auteur: bon argument en cas d’éditions autorisées, mais sans valeur ici puisqu’il s’agit toujours d’impressions sans aveu. Une seconde version était en balance. Les éditeurs l’ont écartée, apparemment à cause de la date tardive de sa publication: «Au dix-neuvième siècle, les Pièces inédites de Voltaire (Paris 1820), p. 73-74, ajoutent des notes et présentent une version différente du texte. Ces variantes ne sont pas à négliger, cette édition ayant utilisé certains papiers de Thieriot.» Si des variantes venues de Thieriot sont intéressantes, pourquoi le texte lui-même ne le serait-il pas? Ami de jeunesse de Voltaire, collectionneur minutieux de ses petites poésies, qu’il récitait volontiers, ce qui lui valut le surnom de Prônevers, Thieriot a évidemment disposé de manuscrits privilégiés, y compris pour les pièces rejetées ou négligées par l’auteur. Rappelons l’invitation que lui lançait Voltaire en 1755 pour l’attirer aux Délices: «Vous devriez apporter avec vous toutes les petites pièces fugitives que vous pouvez avoir de moi et que je n’ai point» (D6140) – un tri devait suivre, qui ne put se faire, s’il eut lieu, qu’en 1762, puisque le paresseux Thieriot différa jusque là son voyage. Deux points corrélés étaient à considérer: la qualité intrinsèque de cette seconde version et la probabilité d’une implication de Thieriot dans sa transmission. Sur les variantes fournies, le lecteur des OC est à même d’apprécier le texte de 1820. Cette version est plus vive: elle compte onze vers au lieu de quatorze; elle est brillante, entièrement construite sur deux rimes au lieu de trois; elle est plus imagée, avec ses «pas perdus» (de l’étude à la chambre du régent), ses «coffres de Phébus» et ce tour piquant d’un «je m’épuiserais [pour] te ravoir»... Est-elle plus prometteuse, plus voltairienne déjà? C’est affaire de goût. On vérifie au moins que les deux vers épinglés dans le Commentaire historique, en 1776, pour rejeter outrageusement cette «pièce misérable», n’y sont pas: «Adieu, ma pauvre tabatière, / Adieu, doux fruit de mes écus...» – expression si plate que la mauvaise foi en est poétiquement excusable! Quant au rôle de Thieriot, une note reprise du recueil (p. 366, variante 4-14) en concède presque l’importance décisive. Cette note conteste comme «fort inexacte» la version prise comme base! D’où venait son autorité tranquille, qui laisse apparemment les éditeurs sans réponse? On est renvoyé aux bases matérielles du recueil, aux documents mis en œuvre. Corneille Jacobsen, qui publia ces Pièces inédites, n’a pas seulement «utilisé certains papiers de Thieriot»; il a édité les manuscrits d’une précieuse collection voltairienne de Thieriot, qu’il avait acquise (voir BnC, no 333) – il y revient justement en présentant ces juvenilia en tête des «Poésies mêlées» (p. 71). Le manuscrit suivi pour cet impromptu n’a pas réapparu, mais on constate, à partir d’autres originaux retrouvés, ceux des lettres à Thieriot par exemple (OC 135, p. 227-230), que son travail éditorial fut honnête et sérieux. Dans ces conditions, on se demande si les éditeurs n’étaient pas fondés à préférer au premier texte si douteux une version imprimée certes tardivement, mais qui remonte, à travers la médiation de Thieriot, au plus près de la source du texte. On doit convenir que ce texte pose un redoutable problème à tout éditeur. Ses circonstances, son ancienneté, son attribution sont certaines: un témoignage direct en fait foi, dûment cité ici, celui du marquis d’Argenson, ami de collège de Voltaire, qui lui rappelait un jour, dans une lettre de 1739, les vers de la «tabatière saisie»: «Nous étions bien petits alors» (D2032). La réponse est inconnue; mais on doute que Voltaire ait partagé cet attendrissement sur les vers du petit Arouet, puisqu’il les rejeta tous, à la seule exception du fameux placet de supplique au dauphin: «Noble sang du plus grand des rois...» (OC 1B, p. 362-363). Le texte de cet impromptu paraît donc voué à flotter entre un introuvable état princeps et les broderies d’éditeurs ou d’amateurs plus ou moins talentueux – ce que montrent encore les nouvelles données qui suivent. 2. Manuscrits Une copie du texte est conservée dans le volume des manuscrits de la BnF coté N. a. fr. 2778, f. 120r. Elle est de la main de Decroix; elle ne porte ni date, ni référence. L’écriture paraît dater des années 1770-1780. Le texte est celui des Nouveaux amusements, à une variante près au vers 11: «Que l’on met entre nous une forte barrière!» au lieu de «Qu’on oppose entre nous...». La copie a été réalisée en deux temps: Decroix a d’abord transcrit, au haut de la page, les v. 5-14 du texte des OC, puis au-dessus, d’une écriture plus serrée, les quatre vers du début – il est difficile d’interpréter cette anomalie. On trouve à la suite (f. 120r-v) une copie Decroix d’une autre pièce de jeunesse: Le Loup moraliste (voir la fiche correspondante, OC 1B, p. 368-370). Au bas de la page, une note réunit trois données: – le titre: Impromptu sur une tabatière confisquée; – la circonstance: «L’auteur n’avait que 12 ans quand il fit ces vers, en 1708 [sic]», ce qui laisse un battement de deux années: douze ans, donc 1706; ou 1708, donc quatorze ans – les autres versions sont sans repère de date; – un commentaire enfin, aussi précieux qu’allusif, toujours de la main de Decroix: «Cet impromptu n’est point ici correct suivant une note de M. Thiriot». De ce dernier élément, trois choses sont à déduire: d’abord que le texte fut soumis à l’expertise de Thieriot, qui ne le jugea pas «correct» (il le jugea même «très incorrect»: voir ci-dessous); en second lieu, que Thieriot s’abstint ou refusa de communiquer un bon texte qu’il détenait ou jugeait détenir; enfin que Decroix n’avait toujours pas recouvré le texte «correct» à la date de sa copie. En fait, il a enregistré là un état du texte, tel qu’il le connaissait, en le sachant imparfait et provisoire – on peut rappeler que ces vers ne furent pas imprimés parmi les «Poésies mêlées» de l’édition de Kehl (t. XIV). Ces nouvelles données semblent soutenir l’idée avancée plus haut d’une dissociation entre la circulation aléatoire de versions incertaines et instables, et la détention de copies privilégiées, pas forcément identiques, mais plus proches de l’original: c’est à cette seconde série qu’appartenaient probablement le manuscrit Thieriot qui servit à contrôler la copie Decroix et le manuscrit de base du recueil Jacobsen de 1820 – ou bien n’était-ce pas le même document? Il subsiste deux traces directes de l’expertise demandée à Thieriot par Decroix: quelques pages de la table d’un recueil soumis au consultant et trois pages de «notes» autographes de Thieriot portant sur trente-neuf des pièces de ce recueil – ces documents pourraient être prochainement mis en ligne. Les vers de la tabatière étaient à la page 111 du recueil Decroix; la note de Thieriot dit exactement: «111. l’impromptu est très incorrect.» 3. Éditions Une autre édition est à mentionner: L’Année littéraire, 1769, t. VIII, p. 142-143. Les vers sont insérés dans un petit article intitulé «Anecdotes sur M. de Voltaire» (p. 142-144), avec le quatrain de collège sur Néron (voir la fiche Vers sur Néron). La publication est justifiée avec emphase: «Les plus petites particularités de la jeunesse des grands hommes sont extrêmement intéressantes» – petit persiflage à l’adresse d’un élève des bons pères devenu mécréant et leur ennemi par surcroît. Le rédacteur laisse entendre que l’apparition de ces pièces n’est pas sans rapport avec la publication très récente (L’Année littéraire, 1769, t. VII, p. 141-142) d’une vieille lettre de Voltaire au père Porée, «témoignage de respect, d’attachement et de reconnaissance pour ses anciens maîtres» (il s’agit de D381, dont ce fut la première impression). Une provenance jésuite est ainsi vaguement connotée, sans vérification possible – elle reste au moins plausible. Le texte proposé est hybride, proche des Pièces inédites, mais contaminé par l’autre version, avec trois variantes propres. C’est la version de onze vers à deux rimes – mais un vers isolé (le vers 9 du texte des OC) y réintroduit la troisième, qui reste orpheline ! Les variantes sont les suivantes: au vers 4, on a «regrets» et non «efforts» comme dans toutes les autres versions; à l’avant-dernier vers, un plat «Sur ce pied-là» au lieu du plaintif «C’en est donc fait» de la version de 1820; à la chute enfin, une interversion bancale: «Sur ce pied-là, je ne te verrai plus; / Adieu, ma pauvre tabatière». Tout donne à penser que le rédacteur de L’Année littéraire a cru ces vers inédits, plus de vingt ans après leur parution indiscrète dans les Nouveaux amusements: nouvel indice de leur rareté et de la difficulté de leur contrôle.
© 2010 André Magnan et le Centre international d’étude du XVIIIe siècle
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