ISSN 2271-1813

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Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, l'édition de 1751
Préparée et présentée par Ulla Kölving

 

[p. 256] CHAPITRE QUATORZIÉME.

Le roi jacques détrôné par son gendre guillaume trois, & protégé par LOUIS XIV.

Le prince d'orange, plus ambitieux que louis XIV, avait conçu des projets vastes, qui pouvaient paraître chimériques dans un stathouder de hollande, mais qu'il justifia par son habileté & par son courage. il voulait abaisser le roi de france, & détrôner le roi d'angleterre. il n'eut pas de peine à liguer petit à petit l'europe contre la france. l'empereur, une partie de l'empire, la hollande, le duc de lorraine, s'étaient d'abord [M] secrettement unis à ausbourg; ensuite l'espagne & la savoie [p. 257] s'unirent à ces puissances. le pape, sans être expressément un des confédérés, les animait tous par ses intrigues. venise les favorisait, sans se déclarèr ouvertement. tous les princes d'italie étaient pour eux. dans le nord, la suéde était alors du parti des impériaux, & le danemarck était un allié inutile de la france. plus de six-cent-mille protestans, fuiant la persécution de louis, & emportant avec eux hors de france leur argent, leur industrie & leur haine contre le roi, étaient de nouveaux ennemis, qui allaient dans toute l'europe exciter les puissances déja animées à la guerre. (on parlera de cette fuite dans le chapitre de la religion.) le roi était de tous côtés entouré d'ennemis, & n'avait d'ami que le roi jacques.

Jacques roi d'angleterre, successeur de charles second son frére, était catholique comme lui; mais charles n'avait bien voulu souffrir qu'on le fit catholique sur la fin de sa vie, que par complaisance pour ses maîtresses & pour son frére: il n'avait en effet d'autre religion qu'un pur déisme. son extrême indifférence sur toutes les disputes qui partagent les hommes, n'avait pas peu contribué à le faire régner paisiblement en angleterre. jacques au contraire, attaché depuis sa jeunesse [p. 258] à la communion romaine par persuasion, joignait à sa créance l'esprit de parti & le zéle. s'il eût été mahométan, ou de la religion de confucius, les anglais n'eûssent jamais troublé son régne. mais il avait formé le dessein d'établir dans son roiaume le catholicisme, regardé avec horreur par ces roialistes républicains, comme la religion de l'esclavage. c'est une entreprise quelquefois très aisée, de rendre une religion dominante dans un païs. constantin, clovis, gustave-vaza, la reine élisabeth, firent recevoir sans danger, chacun par des moiens différens, une religion nouvelle: mais pour de pareils changemens, deux choses sont absolument nécessaires; une profonde politique & des circonstances heureuses; l'un & l'autre manquait à jacques.

Il était indigné de voir, que tant de rois dans l'europe étaient despotiques; que ceux de suéde & de danemarck le devenaient alors; qu'enfin il ne restait plus dans le monde que la pologne & l'angleterre, où la liberté des peuples subsistât avec la roiauté. louis XIV l'encourageait à devenir absolu chez lui, & les jésuites à rétablir leur religion avec leur crédit. il s'y prit si malheureusement, qu'il ne fit que révolter tous les [p. 259] esprits. il agit d'abord, comme s'il fût venu à bout de ce qu'il avait envie de faire; aiant publiquement à sa cour un nonce du pape, des jésuites, des capucins; mettant en prison sept évêques anglicans, qu'il eût fallu gagner; ôtant les priviléges à la ville de londres, à laquelle il devait plustôt en accorder de nouveaux; renversant avec hauteur des loix, qu'il fallait sapèr en silence; enfin se conduisant avec si peu de ménagement, que les cardinaux de rome disaient en plaisantant, «qu'il fallait l'excommunier, comme un homme qui allait perdre le peu de catholicisme qui restait en angleterre.» le pape innocent XI n'espérait rien des entreprises de jacques, & refusait constamment un chapeau de cardinal, que ce roi demandait pour son confesseur le jésuite peters. ce jésuite était un intrigant impétueux, qui dévoré de l'ambition d'être cardinal & primat d'angleterre, poussait son maître au précipice. les principales têtes de l'état se réunirent en secret contre les desseins du roi. ils députérent vers le prince d'orange. leur conspiration fut tramée avec une prudence & un secret, qui endormirent la confiance de la cour.

Le prince d'orange équipa une flote, qui devait porter quatorze à quinze-mille [p. 260] hommes. ce prince n'était rien autre chose qu'un particulier illustre, qui jouissait à peine de cinq-cent-mille livres de rente: mais telle était sa politique heureuse, que l'argent, la flote, les cœurs des états-généraux étaient à lui. il était roi véritablement en hollande par sa conduite habile, & jacques cessait de l'être en angleterre par sa précipitation. on publia d'abord, que cet armement était destiné contre la france. le secret fut gardé par plus de deux-cent personnes. barillon ambassadeur de france à londres, homme de plaisir, plus instruit des intrigues des maîtresses de jacques que de celles de l'europe, fut trompé le premier. louis XIV ne le fut pas; il offrit des secours à son allié, qui les refusa d'abord avec sécurité, & qui les demanda ensuite, lorsqu'il n'était plus tems & que la flote du prince son gendre était à la voile. tout lui manqua à la fois, comme il se manqua à lui-même. ses vaisseaux laissérent passer ceux de son ennemi. il pouvait au moins se défendre sur terre: il avait une armée de vingt-mille hommes; & s'il les avait menés au combat, sans leur donner le tems de la réfléxion, il est à croire qu'ils eussent combattu; [M] mais il leur laissa le loisir de se déterminer. plusieurs officiers généraux l'abandonnérent; [p. 261] entre autres, ce fameux churchil, aussi fatal depuis à louis qu'à jacques, & si illustre sous le nom de duc de marleborough. il était favori de jacques, sa créature, le frére de sa maîtresse, son lieutenant-général dans l'armée; cependant il le quitta, & passa dans le camp du prince d'orange. le prince de danemarck, gendre de jacques, enfin sa propre fille la princesse anne, l'abandonnérent.

Alors se voiant attaqué & poursuivi par un de ses gendres, quitté par l'autre; aiant contre lui ses deux filles, ses propres amis; haï des sujets même qui étaient encor dans son parti, il désespéra de sa fortune. la fuite, derniére ressource d'un prince vaincu, fut le parti qu'il prit sans combattre. enfin après avoir été arrété dans sa fuite par la populace, maltraité par elle, reconduit à londres; après avoir reçu paisiblement les ordres du prince d'orange dans son propre palais; après avoir vu sa garde relevée sans coup-férir par celle du prince; chassé de sa maison, prisonnier à rochester, il profita de la liberté qu'on lui donnait d'abandonner son roiaume; il alla cherchèr un asile en france.

Ce fut là l'époque de la vraie liberté d'angleterre. la nation, représentée par son parlement, fixa les bornes, si longtems contestées, des droits du roi & de ceux du peuple; & aiant prescrit au [p. 262] prince d'orange les conditions ausquelles[sic] il devait régner, elle le choisit pour son roi, conjointement avec sa femme marie, fille du roi jacques. dès-lors ce prince ne fut plus connu dans la plus grande partie de l'europe, que sous le nom de guillaume III, roi légitime d'angleterre, & libérateur de la nation. mais en france, il ne fut regardé que comme le prince d'orange, usurpateur des états de son beau-pére.

[M] Le roi fugitif vint, avec sa femme fille d'un duc de modéne, & le prince de galles encor enfant, implorer la protection de louis XIV. la reine d'angleterre, arrivée avant son mari, fut étonné[e] de la splendeur qui environnait le roi de france, de cette profusion de magnificence qu'on voiait à versailles, & sur-tout de la maniére dont elle fut reçuë. le roi alla au devant d'elle jusqu'à chatou. je vous rends, madame, lui dit-il, un triste service; mais j'espére vous en rendre bientôt de plus grands & de plus heureux. ce furent ses propres paroles. il la conduisit au château de saint-germain, où elle trouva le même service qu'aurait eû la reine de france; tout ce qui sert à la commodité & au luxe, des présens de toute espéce, en argent, en or, en vaisselle, en bijoux, en étoffes.

[p. 263] Il y avait parmi tous ces présens, une bourse de dix-mille louis d'or sur sa toilette. les mêmes attentions furent observées pour son mari, qui arriva un jour après elle. on lui régla six-cent-mille francs par an pour l'entretien de sa maison, outre les présens sans nombre qu'on lui fit. il eut les officiers du roi, & ses gardes. toute cette réception était bien peu de chose, auprès des préparatifs qu'on faisait pour le rétablir sur son trône. jamais le roi ne parut si grand; mais jacques parut petit. ceux, qui à la cour & à la ville décident de la réputation des hommes, conçurent pour lui peu d'estime. il ne voiait guéres que des jésuites. il alla descendre chez eux à paris, dans la ruë saint-antoine. il leur dit, qu'il était jésuite lui-même; & ce qui est de plus singulier, c'est que la chose était vraie. il s'était fait associèr à cet ordre, avec de certaines cérémonies, par quatre jésuites anglais, étant encor duc d'yorck. cette pusillanimité dans un prince, jointe à la maniére dont il avait perdu sa couronne, l'avilit au point, que les courtisans s'égaïaient tous les jours à faire des chansons sur lui. chassé d'angleterre, on s'en moquait en france. on ne lui savait nul gré d'être catholique. l'archévêque de reims, frére de louvois, dit tout [p. 264] haut à saint-germain dans son antichambre: voilà un bon homme, qui a quitté trois roiaumes pour une messe. il ne recevait de rome que des indulgences & des pasquinades. enfin, dans toute cette révolution, sa religion lui rendit si peu de services, que lorsque le prince d'orange, le chef du calvinisme, avait mis à la voile pour aller détrôner le roi son beau-pére, l'ambassadeur du roi catholique à la haie, avait fait dire des messes pour l'heureux succès de ce voiage.

Au milieu des humiliations de ce roi fugitif, & des libéralités de louis XIV envers lui, c'était un spectacle digne de quelque attention, de voir jacques toucher les écroüelles au petit couvent des anglaises; soit que les rois anglais se soient attribué ce singulier privilége, comme prétendans à la couronne de la france; soit que cette cérémonie soit établie chez eux depuis le tems du premier édouard.

Le roi le fit bientôt conduire en irlande, où les catholiques formaient encor un parti qui paraissait considérable. une escadre, de treize vaisseaux du premier rang, était à la rade de brest pour le transport. tous les officiers, les courtisans, les prêtres même, qui étaient venus trouver jacques à saint-germain, furent [p. 265] défraïés jusqu'à brest aux dépens du roi de france. un ambassadeur (c'était monsieur d'avaux) était nommé auprès du roi détrôné, & le suivit avec pompe. des armes, des munitions de toute espéce, furent embarquées sur la flote; on y porta jusqu'aux meubles les plus vils, & jusqu'aux plus recherchés. le roi alla lui dire adieu à saint-germain. là, pour dernier présent, il lui donna sa cuirasse, & lui dit en l'embrassant: tout ce que je peux vous souhaiter de mieux, est de ne vous jamais revoir. à peine le roi jacques était-il débarqué en irlande avec cet appareil, que vingt-trois autres grands vaisseaux de guerre, [M] sous les ordres de château-renaud, & une infinité de navires de transport le suivirent. cette flote, aiant mis en fuite & dispersé la flote anglaise qui s'opposait à son passage, débarqua heureusement, & aiant pris dans son retour sept vaisseaux marchands hollandais, revint à brest, victorieuse de l'angleterre, & chargée des dépouilles de la hollande.

[M] Bientôt après, un troisiéme secours partit encor de brest, de toulon, de rochefort. les ports d'irlande & la mèr de la manche étaient couverts de vaisseaux français. enfin tourville vice-amiral de france, avec soixante & douze grands [p. 266] vaisseaux, rencontra une flote anglaise & hollandaise d'environ soixante voiles. on se battit pendant dix heures; tourville, château-renaud, d'étrée, némond, y signalérent leur courage & une habileté, [M] qui donnérent à la france un honneur, auquel elle n'était pas accoûtumée. les anglais & les hollandais, jusqu'alors maîtres de l'océan, & de qui les français avaient appris depuis si peu de tems à donner des batailles rangées, furent entiérement vaincus. dix-sept de leurs vaisseaux brisés & demâtés, allérent échouer & se brûler sur les côtes. le reste alla se cacher vers la tamise, ou entre les bancs de la hollande. il n'en coûta pas une seule chaloupe aux français. alors, ce que louis XIV souhaitait depuis vingt années, & ce qui avait paru si peu vraisemblable, arriva; il eut l'empire de la mèr: empire qui fut à la vérité de peu de durée. les vaisseaux de guerre ennemis se cachaient devant ses flotes. seignelai, qui osait tout, fit venir les galéres de marseille sur l'océan. les côtes d'angleterre virent des galéres pour la premiére fois. on fit par leur moien, une descente aisée à tinmouth. on brûla dans cette baie plus de trente vaisseaux marchands. les armateurs de saint-malo & du nouveau port de dunkerque s'enrichissaient, eux & [p. 267] l'état, de prises continuelles. enfin, pendant près de deux années, on ne connaissait plus sur les mèrs que les vaisseaux français.

Le roi jacques ne seconda pas en irlande ces secours de louis XIV. il avait avec lui près de six-mille français & quinze-mille irlandais. la riviére de boine était entre son armée & celle du roi guillaume. cette riviére était guéable; on n'avait de l'eau, que jusques sous les épaules. mais, après l'avoir passée, pour venir attaquer l'armée irlandaise, il fallait encor traversèr un marais: ensuite on trouvait un terrain escarpé, qui formait un retranchement naturel. [M] le roi guillaume fit passer son armée en trois endroits, engagea la bataille. les irlandais, que nous avons vus de si bons soldats en france & en espagne, ont toûjours mal combattu chez eux. il y a des nations, dont l'une semble faite pour être soûmise à l'autre. les anglais ont toûjours eû sur les irlandais, la supériorité du génie, des richesses & des armes. jamais l'irlande n'a pu secouer le joug de l'angleterre, depuis qu'un simple seigneur anglais la subjugua. les français combattirent à la journée de boine: les irlandais s'enfuirent. leur roi jacques, n'aiant paru dans l'engagement [p. 268] ni à la tête des français ni à la tête des irlandais, se retira le premier. il avait toûjours cependant montré beaucoup de valeur; mais il y a des occasions, où l'abattement d'esprit l'emporte sur le courage. le roi guillaume, qui avait eu l'épaule effleurée d'un coup de canon avant la bataille, passa pour mort en france. cette fausse nouvelle fut reçuë à paris avec une joie indécente & honteuse. quelques magistrats subalternes encouragérent les bourgeois & le peuple à faire des illuminations: on sonna les cloches. on brûla dans plusieurs quartiers des figures d'osier, qui représentaient le prince d'orange, comme on brûle le pape dans londres. on tira le canon de la bastille, non point par ordre du roi, mais par le zéle inconsidéré d'un commandant subalterne. on croirait, sur ces marques d'alegresse, & sur la foi de tant d'écrivains, que cette joie effrénée, à la mort prétenduë d'un ennemi, était l'effet de la crainte extrême qu'il inspirait. tous ceux qui ont écrit, & français & étrangers, ont dit, que ces réjouissances étaient le plus grand éloge du roi guillaume. cependant, si on veut faire attention aux circonstances du tems & à l'esprit qui régnait alors, on verra bien que la crainte ne produisit pas ces transports [p. 269] de joie. les bourgeois & le peuple ne savent guéres craindre un ennemi, que quand il menace leur ville. loin d'avoir de la terreur au nom de guillaume, le commun des français avait alors l'injustice de le mépriser. il avait presque toûjours été battu par les généraux français. le vulgaire ignorait, combien ce prince avait acquis de véritable gloire, même dans ses défaites. guillaume, vainqueur de jacques en irlande, ne paraissait pas encor aux yeux des français, un ennemi digne de louis XIV. paris, idolâtre de son roi, le croiait réellement invincible. les réjouissances ne furent donc point le fruit de la crainte, mais de la haine. la pluspart des parisiens, nés sous le régne de louis & façonnés au joug despotique, regardaient alors un roi comme une divinité, & un usurpateur comme un sacrilége. le petit peuple, qui avait vû jacques aller tous les jours à la messe, détestait guillaume hérétique. l'image d'un gendre & d'une fille aiant chassé leur pére, d'un protestant régnant à la place d'un catholique, enfin d'un ennemi de louis XIV, transportaient les parisiens d'une espéce de fureur; mais les gens sages pensaient modérément.

Jacques revint en france, laissant son rival gagnèr en irlande de nouvelles batailles, & s'affermir sur le trône. les flotes [p. 270] françaises furent occupées alors à ramener les français, qui avaient inutilement combattu; & les familles irlandaises catholiques, qui étant très pauvres dans leur patrie, voulurent aller subsistèr en france des libéralités du roi.

Il est à croire que la fortune eut peu de part à toute cette révolution, depuis son commencement jusqu'à sa fin. les caractéres de guillaume & de jacques firent tout. ceux qui aiment à voir dans la conduite des hommes les causes des événemens, remarqueront, que le roi guillaume après sa victoire, fit publièr un pardon général, & que le roi jacques vaincu, en passant par une petite ville nommée gallowai, fit pendre quelques citoiens, qui avaient été d'avis de lui fermer les portes. de deux hommes, qui se conduisaient ainsi, il était bien aisé de voir, qui devait l'emporter.

Il restait à jacques quelques villes en irlande, entre autres limerick, où il y avait plus de douze-mille soldats. le roi de france, soûtenant toûjours la fortune de jacques, fit passèr encor trois-mille hommes de troupes réglées dans limerick. pour surcroît de libéralité, il envoia tout ce qui peut servir aux besoins d'un grand peuple, & à ceux des soldats. quarante vaisseaux de transport, escortés de douze [p. 271] vaisseaux de guerre, apportérent tous les secours possibles en hommes, en ustensiles, en équipages; des ingénieurs, des canoniers, des bombardiers, deux-cent maçons; des selles, des brides, des housses pour plus de vingt-mille chevaux; des canons avec leurs affûts; des fusils, des pistolets, des épées, pour armer vingt-six-mille hommes; des vivres, des habits & jusqu'à vingt-six-mille paires de souliers. limerick assiégée, mais munie de tant de secours, espérait de voir son roi combattre pour sa défense. jacques ne vint point: limerick se rendit: les vaisseaux français revinrent encor, & ne ramenérent en france qu'environ vingt-mille irlandais, tant soldats que citoiens fugitifs.

Ce qu'il y a peut-être de plus étonnant, c'est que louis XIV ne se rebuta pas. il soûtenait alors une guerre difficile contre presque toute l'europe. cependant il tenta encor de changer la fortune de jacques par une entreprise décisive, & de faire une descente en angleterre avec vingt-mille hommes. ils étaient assemblés entre cherbourg & la hogue. plus de trois-cent navires de transport étaient prêts à brest. tourville, avec quarante-quatre grands vaisseaux de guerre, [M] les attendait aux côtes de normandie. [p. 272] d'étrée arrivait du port de toulon avec trente autres vaisseaux. s'il y a des malheurs causés par la mauvaise conduite, il y en a qu'on ne peut imputer qu'à la fortune. le vent d'abord favorable à l'escadre de d'étrée, changea; il ne put joindre tourville. ses quarante-quatre vaisseaux furent attaqués par les flotes d'angleterre & de hollande, fortes de près de cent voiles. la supériorité du nombre l'emporta. les français cédérent, après un combat de dix heures. russel amiral anglais les poursuivit deux jours. quatorze grands vaisseaux, dont deux portaient cent-quatre piéces de canon, échouérent sur la côte, & les capitaines y firent mettre le feu, pour ne les pas laisser brûler par les ennemis. le roi jacques, qui du rivage avait vu ce désastre, perdit toutes ses espérances.

Ce fut le premier échec, que reçut sur la mèr la puissance de louis XIV. seignelai, qui après colbert son pére avait perfectionné la marine, était mort à la fin de 1690. pontchartrain, élevé de la premiére présidence de bretagne à l'emploi de secretaire d'état de la marine, ne la laissa point périr. le même esprit régnait toûjours dans le gouvernement. la france eut, dès l'année qui suivit la disgrace de la hogue, des flotes aussi nombreuses [p. 273] qu'elle en avait eû déja; car tourville se trouva à la tête de soixante vaisseaux de ligne, & d'étrée en avait trente, sans compter ceux qui étaient dans les ports; & même quatre ans après, [M] le roi fit encor un armement plus considérable que tous les précédens, pour conduire jacques en angleterre à la tête de vingt-mille français. mais cette flote ne fit que se montrer; les mesures du parti de jacques, aiant été aussi mal concertées à londres, que celles de son protecteur avaient été bien prises en france.

Il ne resta de ressource au parti du roi détrôné, que dans quelques conspirations contre la vie de son rival. ceux qui les tramérent, périrent presque tous du dernier supplice; & il est à croire, que quand même elles eûssent réussi, il n'eût jamais recouvré son roiaume. il passa le reste de ses jours à saint-germain, où il vécut des bienfaits de louis, & d'une pension de soixante & dix-mille francs, qu'il eut la faiblesse de recevoir en secret de sa fille marie, par laquelle il avait été détrôné. il mourut en 1700 à saint-germain. quelques jésuites irlandais prétendirent, qu'il se faisait des miracles à son tombeau. on parla même de faire canonizèr à rome, après sa mort, ce roi [p. 274] que rome avait abandonné pendant sa vie.

Peu de rois furent plus malheureux que lui; & il n'y a aucun éxemple dans l'histoire, d'une maison si long-tems infortunée. le premier de rois d'écosse ses ayeux, qui eut le nom de jacques, après avoir été dix-huit ans prisonnier en angleterre, mourut assassiné avec sa femme, par la main de ses sujets. jacques II, son fils, fut tué à vingt-neuf ans en combattant contre les anglais. jacques III, mis en prison par son peuple, fut tué ensuite par les révoltés dans une bataille. jacques IV périt dans un combat qu'il perdit. marie stuart sa petite fille, chassée de son trône, fugitive en angleterre, aiant langui dix-huit ans en prison, se vit condannée à mort par des juges anglais, & eut la tête tranchée. charles premier petit-fils de marie, roi d'écosse & d'angleterre, vendu par les écossais, & jugé à mort par les anglais, mourut sur un échafaut dans la place publique. jacques son fils, sixiéme du nom [errata: septiéme du nom] & deuxiéme en angleterre, dont il est ici question, fut chassé de ses trois roiaumes; & pour comble de malheur, on contesta à son fils jusqu'à sa naissance. ce fils ne tenta de remonter sur le trône de ses péres, que pour faire périr ses amis par des [p. 275] bourreaux; & nous avons vu le prince charles-édouard, réunissant en vain les vertus de ses péres & le courage du roi jean sobiesky son aïeul maternel, éxécuter les exploits & essuier les malheurs les plus incroiables. si quelque chose justifie ceux qui croient une fatalité à laquelle rien ne peut se soustraire, c'est cette suite continuelle de malheurs, qui persécuta la maison de stuart pendant plus de trois-cent années.

[p. 256] CHAPITRE QUATORZIÉME.

Le roi jacques détrôné par son gendre guillaume trois, & protégé par LOUIS XIV.

Le prince d'orange, plus ambitieux que louis XIV, avait conçu des projets vastes, qui pouvaient paraître chimériques dans un stathouder de hollande, mais qu'il justifia par son habileté & par son courage. il voulait abaisser le roi de france, & détrôner le roi d'angleterre. il n'eut pas de peine à liguer petit à petit l'europe contre la france. l'empereur, une partie de l'empire, la hollande, le duc de lorraine, s'étaient d'abord [M] secrettement unis à ausbourg; ensuite l'espagne & la savoie [p. 257] s'unirent à ces puissances. le pape, sans être expressément un des confédérés, les animait tous par ses intrigues. venise les favorisait, sans se déclarèr ouvertement. tous les princes d'italie étaient pour eux. dans le nord, la suéde était alors du parti des impériaux, & le danemarck était un allié inutile de la france. plus de six-cent-mille protestans, fuiant la persécution de louis, & emportant avec eux hors de france leur argent, leur industrie & leur haine contre le roi, étaient de nouveaux ennemis, qui allaient dans toute l'europe exciter les puissances déja animées à la guerre. (on parlera de cette fuite dans le chapitre de la religion.) le roi était de tous côtés entouré d'ennemis, & n'avait d'ami que le roi jacques.

Jacques roi d'angleterre, successeur de charles second son frére, était catholique comme lui; mais charles n'avait bien voulu souffrir qu'on le fit catholique sur la fin de sa vie, que par complaisance pour ses maîtresses & pour son frére: il n'avait en effet d'autre religion qu'un pur déisme. son extrême indifférence sur toutes les disputes qui partagent les hommes, n'avait pas peu contribué à le faire régner paisiblement en angleterre. jacques au contraire, attaché depuis sa jeunesse [p. 258] à la communion romaine par persuasion, joignait à sa créance l'esprit de parti & le zéle. s'il eût été mahométan, ou de la religion de confucius, les anglais n'eûssent jamais troublé son régne. mais il avait formé le dessein d'établir dans son roiaume le catholicisme, regardé avec horreur par ces roialistes républicains, comme la religion de l'esclavage. c'est une entreprise quelquefois très aisée, de rendre une religion dominante dans un païs. constantin, clovis, gustave-vaza, la reine élisabeth, firent recevoir sans danger, chacun par des moiens différens, une religion nouvelle: mais pour de pareils changemens, deux choses sont absolument nécessaires; une profonde politique & des circonstances heureuses; l'un & l'autre manquait à jacques.

Il était indigné de voir, que tant de rois dans l'europe étaient despotiques; que ceux de suéde & de danemarck le devenaient alors; qu'enfin il ne restait plus dans le monde que la pologne & l'angleterre, où la liberté des peuples subsistât avec la roiauté. louis XIV l'encourageait à devenir absolu chez lui, & les jésuites à rétablir leur religion avec leur crédit. il s'y prit si malheureusement, qu'il ne fit que révolter tous les [p. 259] esprits. il agit d'abord, comme s'il fût venu à bout de ce qu'il avait envie de faire; aiant publiquement à sa cour un nonce du pape, des jésuites, des capucins; mettant en prison sept évêques anglicans, qu'il eût fallu gagner; ôtant les priviléges à la ville de londres, à laquelle il devait plustôt en accorder de nouveaux; renversant avec hauteur des loix, qu'il fallait sapèr en silence; enfin se conduisant avec si peu de ménagement, que les cardinaux de rome disaient en plaisantant, «qu'il fallait l'excommunier, comme un homme qui allait perdre le peu de catholicisme qui restait en angleterre.» le pape innocent XI n'espérait rien des entreprises de jacques, & refusait constamment un chapeau de cardinal, que ce roi demandait pour son confesseur le jésuite peters. ce jésuite était un intrigant impétueux, qui dévoré de l'ambition d'être cardinal & primat d'angleterre, poussait son maître au précipice. les principales têtes de l'état se réunirent en secret contre les desseins du roi. ils députérent vers le prince d'orange. leur conspiration fut tramée avec une prudence & un secret, qui endormirent la confiance de la cour.

Le prince d'orange équipa une flote, qui devait porter quatorze à quinze-mille [p. 260] hommes. ce prince n'était rien autre chose qu'un particulier illustre, qui jouissait à peine de cinq-cent-mille livres de rente: mais telle était sa politique heureuse, que l'argent, la flote, les cœurs des états-généraux étaient à lui. il était roi véritablement en hollande par sa conduite habile, & jacques cessait de l'être en angleterre par sa précipitation. on publia d'abord, que cet armement était destiné contre la france. le secret fut gardé par plus de deux-cent personnes. barillon ambassadeur de france à londres, homme de plaisir, plus instruit des intrigues des maîtresses de jacques que de celles de l'europe, fut trompé le premier. louis XIV ne le fut pas; il offrit des secours à son allié, qui les refusa d'abord avec sécurité, & qui les demanda ensuite, lorsqu'il n'était plus tems & que la flote du prince son gendre était à la voile. tout lui manqua à la fois, comme il se manqua à lui-même. ses vaisseaux laissérent passer ceux de son ennemi. il pouvait au moins se défendre sur terre: il avait une armée de vingt-mille hommes; & s'il les avait menés au combat, sans leur donner le tems de la réfléxion, il est à croire qu'ils eussent combattu; [M] mais il leur laissa le loisir de se déterminer. plusieurs officiers généraux l'abandonnérent; [p. 261] entre autres, ce fameux churchil, aussi fatal depuis à louis qu'à jacques, & si illustre sous le nom de duc de marleborough. il était favori de jacques, sa créature, le frére de sa maîtresse, son lieutenant-général dans l'armée; cependant il le quitta, & passa dans le camp du prince d'orange. le prince de danemarck, gendre de jacques, enfin sa propre fille la princesse anne, l'abandonnérent.

Alors se voiant attaqué & poursuivi par un de ses gendres, quitté par l'autre; aiant contre lui ses deux filles, ses propres amis; haï des sujets même qui étaient encor dans son parti, il désespéra de sa fortune. la fuite, derniére ressource d'un prince vaincu, fut le parti qu'il prit sans combattre. enfin après avoir été arrété dans sa fuite par la populace, maltraité par elle, reconduit à londres; après avoir reçu paisiblement les ordres du prince d'orange dans son propre palais; après avoir vu sa garde relevée sans coup-férir par celle du prince; chassé de sa maison, prisonnier à rochester, il profita de la liberté qu'on lui donnait d'abandonner son roiaume; il alla cherchèr un asile en france.

Ce fut là l'époque de la vraie liberté d'angleterre. la nation, représentée par son parlement, fixa les bornes, si longtems contestées, des droits du roi & de ceux du peuple; & aiant prescrit au [p. 262] prince d'orange les conditions ausquelles[sic] il devait régner, elle le choisit pour son roi, conjointement avec sa femme marie, fille du roi jacques. dès-lors ce prince ne fut plus connu dans la plus grande partie de l'europe, que sous le nom de guillaume III, roi légitime d'angleterre, & libérateur de la nation. mais en france, il ne fut regardé que comme le prince d'orange, usurpateur des états de son beau-pére.

[M] Le roi fugitif vint, avec sa femme fille d'un duc de modéne, & le prince de galles encor enfant, implorer la protection de louis XIV. la reine d'angleterre, arrivée avant son mari, fut étonné[e] de la splendeur qui environnait le roi de france, de cette profusion de magnificence qu'on voiait à versailles, & sur-tout de la maniére dont elle fut reçuë. le roi alla au devant d'elle jusqu'à chatou. je vous rends, madame, lui dit-il, un triste service; mais j'espére vous en rendre bientôt de plus grands & de plus heureux. ce furent ses propres paroles. il la conduisit au château de saint-germain, où elle trouva le même service qu'aurait eû la reine de france; tout ce qui sert à la commodité & au luxe, des présens de toute espéce, en argent, en or, en vaisselle, en bijoux, en étoffes.

[p. 263] Il y avait parmi tous ces présens, une bourse de dix-mille louis d'or sur sa toilette. les mêmes attentions furent observées pour son mari, qui arriva un jour après elle. on lui régla six-cent-mille francs par an pour l'entretien de sa maison, outre les présens sans nombre qu'on lui fit. il eut les officiers du roi, & ses gardes. toute cette réception était bien peu de chose, auprès des préparatifs qu'on faisait pour le rétablir sur son trône. jamais le roi ne parut si grand; mais jacques parut petit. ceux, qui à la cour & à la ville décident de la réputation des hommes, conçurent pour lui peu d'estime. il ne voiait guéres que des jésuites. il alla descendre chez eux à paris, dans la ruë saint-antoine. il leur dit, qu'il était jésuite lui-même; & ce qui est de plus singulier, c'est que la chose était vraie. il s'était fait associèr à cet ordre, avec de certaines cérémonies, par quatre jésuites anglais, étant encor duc d'yorck. cette pusillanimité dans un prince, jointe à la maniére dont il avait perdu sa couronne, l'avilit au point, que les courtisans s'égaïaient tous les jours à faire des chansons sur lui. chassé d'angleterre, on s'en moquait en france. on ne lui savait nul gré d'être catholique. l'archévêque de reims, frére de louvois, dit tout [p. 264] haut à saint-germain dans son antichambre: voilà un bon homme, qui a quitté trois roiaumes pour une messe. il ne recevait de rome que des indulgences & des pasquinades. enfin, dans toute cette révolution, sa religion lui rendit si peu de services, que lorsque le prince d'orange, le chef du calvinisme, avait mis à la voile pour aller détrôner le roi son beau-pére, l'ambassadeur du roi catholique à la haie, avait fait dire des messes pour l'heureux succès de ce voiage.

Au milieu des humiliations de ce roi fugitif, & des libéralités de louis XIV envers lui, c'était un spectacle digne de quelque attention, de voir jacques toucher les écroüelles au petit couvent des anglaises; soit que les rois anglais se soient attribué ce singulier privilége, comme prétendans à la couronne de la france; soit que cette cérémonie soit établie chez eux depuis le tems du premier édouard.

Le roi le fit bientôt conduire en irlande, où les catholiques formaient encor un parti qui paraissait considérable. une escadre, de treize vaisseaux du premier rang, était à la rade de brest pour le transport. tous les officiers, les courtisans, les prêtres même, qui étaient venus trouver jacques à saint-germain, furent [p. 265] défraïés jusqu'à brest aux dépens du roi de france. un ambassadeur (c'était monsieur d'avaux) était nommé auprès du roi détrôné, & le suivit avec pompe. des armes, des munitions de toute espéce, furent embarquées sur la flote; on y porta jusqu'aux meubles les plus vils, & jusqu'aux plus recherchés. le roi alla lui dire adieu à saint-germain. là, pour dernier présent, il lui donna sa cuirasse, & lui dit en l'embrassant: tout ce que je peux vous souhaiter de mieux, est de ne vous jamais revoir. à peine le roi jacques était-il débarqué en irlande avec cet appareil, que vingt-trois autres grands vaisseaux de guerre, [M] sous les ordres de château-renaud, & une infinité de navires de transport le suivirent. cette flote, aiant mis en fuite & dispersé la flote anglaise qui s'opposait à son passage, débarqua heureusement, & aiant pris dans son retour sept vaisseaux marchands hollandais, revint à brest, victorieuse de l'angleterre, & chargée des dépouilles de la hollande.

[M] Bientôt après, un troisiéme secours partit encor de brest, de toulon, de rochefort. les ports d'irlande & la mèr de la manche étaient couverts de vaisseaux français. enfin tourville vice-amiral de france, avec soixante & douze grands [p. 266] vaisseaux, rencontra une flote anglaise & hollandaise d'environ soixante voiles. on se battit pendant dix heures; tourville, château-renaud, d'étrée, némond, y signalérent leur courage & une habileté, [M] qui donnérent à la france un honneur, auquel elle n'était pas accoûtumée. les anglais & les hollandais, jusqu'alors maîtres de l'océan, & de qui les français avaient appris depuis si peu de tems à donner des batailles rangées, furent entiérement vaincus. dix-sept de leurs vaisseaux brisés & demâtés, allérent échouer & se brûler sur les côtes. le reste alla se cacher vers la tamise, ou entre les bancs de la hollande. il n'en coûta pas une seule chaloupe aux français. alors, ce que louis XIV souhaitait depuis vingt années, & ce qui avait paru si peu vraisemblable, arriva; il eut l'empire de la mèr: empire qui fut à la vérité de peu de durée. les vaisseaux de guerre ennemis se cachaient devant ses flotes. seignelai, qui osait tout, fit venir les galéres de marseille sur l'océan. les côtes d'angleterre virent des galéres pour la premiére fois. on fit par leur moien, une descente aisée à tinmouth. on brûla dans cette baie plus de trente vaisseaux marchands. les armateurs de saint-malo & du nouveau port de dunkerque s'enrichissaient, eux & [p. 267] l'état, de prises continuelles. enfin, pendant près de deux années, on ne connaissait plus sur les mèrs que les vaisseaux français.

Le roi jacques ne seconda pas en irlande ces secours de louis XIV. il avait avec lui près de six-mille français & quinze-mille irlandais. la riviére de boine était entre son armée & celle du roi guillaume. cette riviére était guéable; on n'avait de l'eau, que jusques sous les épaules. mais, après l'avoir passée, pour venir attaquer l'armée irlandaise, il fallait encor traversèr un marais: ensuite on trouvait un terrain escarpé, qui formait un retranchement naturel. [M] le roi guillaume fit passer son armée en trois endroits, engagea la bataille. les irlandais, que nous avons vus de si bons soldats en france & en espagne, ont toûjours mal combattu chez eux. il y a des nations, dont l'une semble faite pour être soûmise à l'autre. les anglais ont toûjours eû sur les irlandais, la supériorité du génie, des richesses & des armes. jamais l'irlande n'a pu secouer le joug de l'angleterre, depuis qu'un simple seigneur anglais la subjugua. les français combattirent à la journée de boine: les irlandais s'enfuirent. leur roi jacques, n'aiant paru dans l'engagement [p. 268] ni à la tête des français ni à la tête des irlandais, se retira le premier. il avait toûjours cependant montré beaucoup de valeur; mais il y a des occasions, où l'abattement d'esprit l'emporte sur le courage. le roi guillaume, qui avait eu l'épaule effleurée d'un coup de canon avant la bataille, passa pour mort en france. cette fausse nouvelle fut reçuë à paris avec une joie indécente & honteuse. quelques magistrats subalternes encouragérent les bourgeois & le peuple à faire des illuminations: on sonna les cloches. on brûla dans plusieurs quartiers des figures d'osier, qui représentaient le prince d'orange, comme on brûle le pape dans londres. on tira le canon de la bastille, non point par ordre du roi, mais par le zéle inconsidéré d'un commandant subalterne. on croirait, sur ces marques d'alegresse, & sur la foi de tant d'écrivains, que cette joie effrénée, à la mort prétenduë d'un ennemi, était l'effet de la crainte extrême qu'il inspirait. tous ceux qui ont écrit, & français & étrangers, ont dit, que ces réjouissances étaient le plus grand éloge du roi guillaume. cependant, si on veut faire attention aux circonstances du tems & à l'esprit qui régnait alors, on verra bien que la crainte ne produisit pas ces transports [p. 269] de joie. les bourgeois & le peuple ne savent guéres craindre un ennemi, que quand il menace leur ville. loin d'avoir de la terreur au nom de guillaume, le commun des français avait alors l'injustice de le mépriser. il avait presque toûjours été battu par les généraux français. le vulgaire ignorait, combien ce prince avait acquis de véritable gloire, même dans ses défaites. guillaume, vainqueur de jacques en irlande, ne paraissait pas encor aux yeux des français, un ennemi digne de louis XIV. paris, idolâtre de son roi, le croiait réellement invincible. les réjouissances ne furent donc point le fruit de la crainte, mais de la haine. la pluspart des parisiens, nés sous le régne de louis & façonnés au joug despotique, regardaient alors un roi comme une divinité, & un usurpateur comme un sacrilége. le petit peuple, qui avait vû jacques aller tous les jours à la messe, détestait guillaume hérétique. l'image d'un gendre & d'une fille aiant chassé leur pére, d'un protestant régnant à la place d'un catholique, enfin d'un ennemi de louis XIV, transportaient les parisiens d'une espéce de fureur; mais les gens sages pensaient modérément.

Jacques revint en france, laissant son rival gagnèr en irlande de nouvelles batailles, & s'affermir sur le trône. les flotes [p. 270] françaises furent occupées alors à ramener les français, qui avaient inutilement combattu; & les familles irlandaises catholiques, qui étant très pauvres dans leur patrie, voulurent aller subsistèr en france des libéralités du roi.

Il est à croire que la fortune eut peu de part à toute cette révolution, depuis son commencement jusqu'à sa fin. les caractéres de guillaume & de jacques firent tout. ceux qui aiment à voir dans la conduite des hommes les causes des événemens, remarqueront, que le roi guillaume après sa victoire, fit publièr un pardon général, & que le roi jacques vaincu, en passant par une petite ville nommée gallowai, fit pendre quelques citoiens, qui avaient été d'avis de lui fermer les portes. de deux hommes, qui se conduisaient ainsi, il était bien aisé de voir, qui devait l'emporter.

Il restait à jacques quelques villes en irlande, entre autres limerick, où il y avait plus de douze-mille soldats. le roi de france, soûtenant toûjours la fortune de jacques, fit passèr encor trois-mille hommes de troupes réglées dans limerick. pour surcroît de libéralité, il envoia tout ce qui peut servir aux besoins d'un grand peuple, & à ceux des soldats. quarante vaisseaux de transport, escortés de douze [p. 271] vaisseaux de guerre, apportérent tous les secours possibles en hommes, en ustensiles, en équipages; des ingénieurs, des canoniers, des bombardiers, deux-cent maçons; des selles, des brides, des housses pour plus de vingt-mille chevaux; des canons avec leurs affûts; des fusils, des pistolets, des épées, pour armer vingt-six-mille hommes; des vivres, des habits & jusqu'à vingt-six-mille paires de souliers. limerick assiégée, mais munie de tant de secours, espérait de voir son roi combattre pour sa défense. jacques ne vint point: limerick se rendit: les vaisseaux français revinrent encor, & ne ramenérent en france qu'environ vingt-mille irlandais, tant soldats que citoiens fugitifs.

Ce qu'il y a peut-être de plus étonnant, c'est que louis XIV ne se rebuta pas. il soûtenait alors une guerre difficile contre presque toute l'europe. cependant il tenta encor de changer la fortune de jacques par une entreprise décisive, & de faire une descente en angleterre avec vingt-mille hommes. ils étaient assemblés entre cherbourg & la hogue. plus de trois-cent navires de transport étaient prêts à brest. tourville, avec quarante-quatre grands vaisseaux de guerre, [M] les attendait aux côtes de normandie. [p. 272] d'étrée arrivait du port de toulon avec trente autres vaisseaux. s'il y a des malheurs causés par la mauvaise conduite, il y en a qu'on ne peut imputer qu'à la fortune. le vent d'abord favorable à l'escadre de d'étrée, changea; il ne put joindre tourville. ses quarante-quatre vaisseaux furent attaqués par les flotes d'angleterre & de hollande, fortes de près de cent voiles. la supériorité du nombre l'emporta. les français cédérent, après un combat de dix heures. russel amiral anglais les poursuivit deux jours. quatorze grands vaisseaux, dont deux portaient cent-quatre piéces de canon, échouérent sur la côte, & les capitaines y firent mettre le feu, pour ne les pas laisser brûler par les ennemis. le roi jacques, qui du rivage avait vu ce désastre, perdit toutes ses espérances.

Ce fut le premier échec, que reçut sur la mèr la puissance de louis XIV. seignelai, qui après colbert son pére avait perfectionné la marine, était mort à la fin de 1690. pontchartrain, élevé de la premiére présidence de bretagne à l'emploi de secretaire d'état de la marine, ne la laissa point périr. le même esprit régnait toûjours dans le gouvernement. la france eut, dès l'année qui suivit la disgrace de la hogue, des flotes aussi nombreuses [p. 273] qu'elle en avait eû déja; car tourville se trouva à la tête de soixante vaisseaux de ligne, & d'étrée en avait trente, sans compter ceux qui étaient dans les ports; & même quatre ans après, [M] le roi fit encor un armement plus considérable que tous les précédens, pour conduire jacques en angleterre à la tête de vingt-mille français. mais cette flote ne fit que se montrer; les mesures du parti de jacques, aiant été aussi mal concertées à londres, que celles de son protecteur avaient été bien prises en france.

Il ne resta de ressource au parti du roi détrôné, que dans quelques conspirations contre la vie de son rival. ceux qui les tramérent, périrent presque tous du dernier supplice; & il est à croire, que quand même elles eûssent réussi, il n'eût jamais recouvré son roiaume. il passa le reste de ses jours à saint-germain, où il vécut des bienfaits de louis, & d'une pension de soixante & dix-mille francs, qu'il eut la faiblesse de recevoir en secret de sa fille marie, par laquelle il avait été détrôné. il mourut en 1700 à saint-germain. quelques jésuites irlandais prétendirent, qu'il se faisait des miracles à son tombeau. on parla même de faire canonizèr à rome, après sa mort, ce roi [p. 274] que rome avait abandonné pendant sa vie.

Peu de rois furent plus malheureux que lui; & il n'y a aucun éxemple dans l'histoire, d'une maison si long-tems infortunée. le premier de rois d'écosse ses ayeux, qui eut le nom de jacques, après avoir été dix-huit ans prisonnier en angleterre, mourut assassiné avec sa femme, par la main de ses sujets. jacques II, son fils, fut tué à vingt-neuf ans en combattant contre les anglais. jacques III, mis en prison par son peuple, fut tué ensuite par les révoltés dans une bataille. jacques IV périt dans un combat qu'il perdit. marie stuart sa petite fille, chassée de son trône, fugitive en angleterre, aiant langui dix-huit ans en prison, se vit condannée à mort par des juges anglais, & eut la tête tranchée. charles premier petit-fils de marie, roi d'écosse & d'angleterre, vendu par les écossais, & jugé à mort par les anglais, mourut sur un échafaut dans la place publique. jacques son fils, sixiéme du nom [errata: septiéme du nom] & deuxiéme en angleterre, dont il est ici question, fut chassé de ses trois roiaumes; & pour comble de malheur, on contesta à son fils jusqu'à sa naissance. ce fils ne tenta de remonter sur le trône de ses péres, que pour faire périr ses amis par des [p. 275] bourreaux; & nous avons vu le prince charles-édouard, réunissant en vain les vertus de ses péres & le courage du roi jean sobiesky son aïeul maternel, éxécuter les exploits & essuier les malheurs les plus incroiables. si quelque chose justifie ceux qui croient une fatalité à laquelle rien ne peut se soustraire, c'est cette suite continuelle de malheurs, qui persécuta la maison de stuart pendant plus de trois-cent années.