ISSN 2271-1813

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Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, l'édition de 1751
Préparée et présentée par Ulla Kölving

 

[p. 58] CHAPITRE TROISIEME.

GUERRE CIVILE.

La reine anne d'aûtriche, régente absoluë, avait fait du cardinal mazarin, le maître de la france, & le sien. il avait sur elle cet empire, qu'un homme adroit devait avoir sur une femme née avec assez de faiblesse pour être dominée, & avec assez de fermeté pour persister dans son choix.

On lit dans quelques mémoires de ces tems-là, que la reine ne donna sa confiance à mazarin, qu'au défaut de potier évêque de beauvais, qu'elle avait d'abord choisi pour son ministre. on peind cet évêque comme un homme incapable: il est à croire qu'il l'était, & que la reine ne s'en était servie quelque tems que comme d'un fantôme, pour ne pas effaroucher d'abord la nation par le choix d'un second cardinal & d'un étranger. [p. 59] mais ce qu'il ne faut pas croire, c'est que potier eût commencé son ministére passager par déclarèr aux hollandais: qu'il fallait qu'ils se fissent catholiques s'ils voulaient demeurer dans l'alliance de la France. il aurait donc dû faire la même proposition aux suédois. presque tous les historiens rapportent cette absurdité, par ce qu'ils l'ont luë dans les mémoires des courtisans & des frondeurs. il n'y a que trop de traits dans ces mémoires, ou falsifiés par la passion, ou rapportés sur des bruits populaires. le puérile ne doit pas être cité, & l'absurde ne peut être cru.

Mazarin usa d'abord avec modération de sa puissance. il faudrait avoir vécu longtems avec un ministre, pour peindre son caractére, pour dire quel dégré de courage ou de faiblesse il avait dans l'esprit, à quel point il était ou prudent ou fourbe. ainsi sans vouloir deviner ce qu'était mazarin, on dira seulement ce qu'il fit. il affecta dans les commencemens de sa grandeur, autant de simplicité que richelieu avait déploié de hauteur. loin de prendre des gardes & de marchèr avec un faste roial, il eut d'abord le train le plus modeste; il mit de l'affabilité & même de la mollesse par-tout où son prédécesseur avait fait paraître une fierté infléxible. la reine voulait faire aimer sa [p. 60] régence & sa personne, de la cour & des peuples, & elle y réussissait. gaston, duc d'orléans, frére de louis XIII, & le prince de condé, appuiaient son pouvoir, & n'avaient d'émulation que pour servir l'état.

Il fallait des impôts pour soûtenir la guerre contre l'espagne & contre l'empire; on en établit quelques-uns, bien modérés sans doute en comparaison de ce que nous avons païé depuis, & bien peu suffisans pour les besoins de la monarchie.

[M] Le parlement en possession de vérifier les édits de ces taxes, s'opposa vivement à l'édit du tarif. il acquit la confiance des peuples, par les contradictions dont il fatigua le ministére.

Enfin, douze charges de maîtres des requêtes nouvellement créées, & environ quatre-vingt mille écus de gages des compagnies supérieures, retenus, soulevérent toute la robe, & avec la robe tout paris; ce qui ferait à peine aujourd'hui dans le roiaume la matiére d'une nouvelle, excita alors une guerre civile.

Broussel, conseiller-clerc de la grand'chambre, homme de nulle capacité, & qui n'avait d'autre mérite, que d'ouvrir toûjours les avis contre la cour, aiant [p. 61] été arrété, le peuple en montra plus de douleur, que la mort d'un bon roi n'en a jamais causée. on vit renouveller les barricades de la ligue; le feu de la sédition parut allumé dans un instant, & difficile à éteindre; il fut attisé par la main du coadjuteur, depuis cardinal de retz: c'est le premier évêque, qui ait fait une guerre civile sans avoir la religion pour prétexte. cet homme singulier s'est peint lui-même dans ses mémoires, écrits avec un air de grandeur, une impétuosité de génie, & une inégalité, qui sont l'image de sa conduite. c'était un homme qui du sein de la débauche, & languissant encore des suites qu'elle entraîne, prêchait le peuple, & s'en faisait idolâtrer. il respirait la faction & les complots; il avait été, à l'âge de 23 ans, l'ame d'une conspiration contre la vie de richelieu: il fut l'auteur des barricades; il précipita le parlement dans les cabales, & le peuple dans les séditions. ce qui paraît surprenant, c'est que le parlement entraîné par lui, leva l'étendart contre la cour, avant même d'être appuié par aucun prince.

Cette compagnie depuis longtems était regardée bien différemment par la cour & par le peuple. si l'on en croiait la voix de tous les ministres & de la cour, [p. 62] le parlement de paris était une cour de justice, faite pour juger les causes des citoiens: il tenait cette prérogative de la seule volonté des rois; il n'avait sur les autres parlemens du roiaume d'autre prééminence que celle de l'ancienneté, & d'un ressort plus considérable; il n'était la cour des pairs que parce que la cour résidait à paris: il n'avait pas plus de droit de faire des remontrances que les autres corps, & ce droit était encore une pure grace: il avait succédé à ces parlemens qui représentaient autrefois la nation française; mais il n'avait de ces anciennes assemblées rien que le seul nom: & pour preuve incontestable, c'est qu'en effet les états-généraux étaient substitués à la place des assemblées de la nation; & le parlement de paris ne ressemblait pas plus aux parlemens tenus par nos premiers rois, qu'un consul de smyrne ou d'alep ne ressemble à un consul romain.

Cette seule erreur de nom était le prétexte des prétentions ambitieuses d'une compagnie d'hommes de loi, qui tous pour avoir acheté leurs offices de robe, pensaient tenir la place des conquérans des gaules, & des seigneurs des fiefs de la couronne. ce corps en tous les tems avait abusé du pouvoir que s'arroge nécessairement [p. 63] un premier tribunal, toûjours subsistant dans une capitale. il avait osé donnèr un arrêt contre charles VII & le bannir du roiaume: il avait commencé un procès criminel contre henri III: il avait en tous les tems résisté, autant qu'il l'avait pû, à ses souverains; & dans cette minorité de louis XIV, sous le plus doux des gouvernemens, & sous la plus indulgente des reines, il voulait faire la guerre civile à son prince, à l'éxemple de ce parlement d'angleterre, qui tenait alors son roi prisonnier, & qui lui fit trancher la tête. tels étaient les discours & les pensées du cabinet.

Mais les citoiens de paris, & tout ce qui tenait à la robe, voiaient dans le parlement un corps auguste, qui avait rendu la justice avec une intégrité respectable, qui n'aimait que le bien de l'état, & qui l'aimait au péril de sa fortune, qui bornait son ambition à la gloire de réprimer l'ambition des favoris, qui marchait d'un pas égal entre le roi & le peuple; & sans éxaminer l'origine de ses droits & de son pouvoir, on lui supposait les droits les plus sacrés, & le pouvoir le plus incontestable, quand on le voiait soûtenir la cause du peuple contre des ministres détestés; on l'appellait [p. 64] le pére de l'état, & on faisait peu de différence entre le droit qui donne la couronne aux rois, & celui qui donnait au parlement le pouvoir de modérer les volontés des rois.

Entre ces deux extrémités un milieu juste était impossible à trouver; car enfin il n'y avait de loi bien reconnuë, que celle de l'occasion & du tems. sous un gouvernement rigoureux [errata: vigoureux] le parlement n'était rien: il était tout sous un roi faible, & l'on pouvait lui appliquer ce que dit monsieur de guimené, quand cette compagnie se plaignit sous louis XIII d'avoir été précédée par les députés de la noblesse: messieurs, vous prendrez bien revanche [errata: votre revanche] dans la minorité.

On ne veut point répétèr ici tout ce qui a été écrit sur ces troubles, & copier des livres, pour remettre sous les yeux tant de détails alors si chers & si importans, & aujourd'hui presque oubliés: mais on doit dire ce qui caractérise l'esprit de la nation, & moins ce qui appartient à toutes les guerres civiles, que ce qui distingue celle de la fronde.

Deux pouvoirs établis chez les hommes, uniquement pour le maintien de la paix; un archévêque & un parlement de paris aiant commencé les troubles, le peuple crut tous ses emportemens [p. 65] justifiés. la reine ne pouvait paraître en public sans être outragée; on ne l'appellait que dame anne; & si on y ajoutait quelque titre, c'était un opprobre. le peuple lui reprochait avec fureur de sacrifier l'état à son amitié pour mazarin; & ce qu'il y avait de plus insupportable, elle entendait de tous côtés ces chansons & ces vaudevilles, monumens de plaisanterie & de malignité, qui semblaient devoir éterniser le doute où l'on affectait d'être de sa vertu.

[M] Elle s'enfuit de paris avec ses enfans, son ministre, le duc d'orléans frére de louis XIII, le grand condé lui-même, & alla à saint-germain; on fut obligé de mettre en gage chez des usuriers les pierreries de la couronnne. le roi manqua souvent du nécessaire. les pages de sa chambre furent congédiés, parce qu'on n'avait pas de quoi les nourrir. en ce tems-là même la tante de louis XIV, fille de henry le grand, femme du roi d'angleterre, réfugiée à paris, y était réduite aux extrémités de la pauvreté; & sa fille, depuis mariée au frére de louis XIV, restait au lit n'aiant pas dequoi se chauffer, sans que le peuple de paris, enyvré de ses fureurs, fit seulement attention aux afflictions de tant de personnes roiales.

[p. 66] La reine, les larmes aux yeux, pressa le prince de condé de servir de protecteur au roi. le vainqueur de rocroi, de fribourg, de lens & de norlingue, ne put démentir tant de services passés: il fut flâté de l'honneur de défendre une cour qu'il croiait ingrate, contre la fronde qui recherchait son appui. le parlement eut donc le grand condé à combattre, & il osa soûtenir la guerre.

Le prince de conti, frére du grand condé, aussi jaloux de son aîné, qu'incapable de l'égaler; le duc de longueville, le duc de beaufort, le duc de bouillon, animés par l'esprit remuant du coadjuteur & avides de nouveautés, se flâtant d'élever leur grandeur sur les ruines de l'état, & de faire servir à leurs desseins particuliers les mouvemens aveugles du parlement, vinrent lui offrir leurs services. on nomma dans la grand'-chambre les généraux d'une armée qu'on n'avait pas. chacun se taxa pour lever des troupes: il y avait vingt conseillers pourvus de charges nouvelles, créées par le cardinal de richelieu. leurs confréres, par une petitesse d'esprit dont toute société est susceptible, semblaient poursuivre sur eux la mémoire de richelieu; ils les accablaient de dégoûts, & ne les regardaient pas comme membres du parlement: [p. 67] il fallut qu'ils donnassent chacun 15000 liv. pour les frais de la guerre, & pour acheter la tolérance de leurs confréres.

La grand'-chambre, les enquêtes, les requêtes, la chambre des comptes, la cour des aides, qui avaient tant crié contre un impôt faible & nécessaire, qui n'allait pas à cent mille écus, fournirent une somme de près de dix millions de notre monoie d'aujourd'hui, pour la subversion de la patrie. on leva douze mille hommes par arrêt du parlement: chaque porte cochére fournit un homme & un cheval. cette cavalerie fut appellée la cavalerie des portes cochéres. le coadjuteur avait un régiment à lui, qu'on nommait le régiment de corinthe, parce que le coadjuteur était archévêque titulaire de corinthe.

Sans les noms de roi de france, de grand condé, de capitale du roiaume, cette guerre de la fronde eût été aussi ridicule que celle des barberins; on ne savait pourquoi on était en armes. le prince de condé assiégea cinq-cent mille bourgeois avec huit mille soldats. les parisiens sortaient en campagne ornés de plumes & de rubans; leurs évolutions étaient le sujet de plaisanterie des gens du métier. ils fuïaient dès qu'ils rencontraient [p. 68] deux-cens hommes de l'armée roiale. tout se tournait en raillerie; le régiment de corinthe aiant été battu par un petit parti, on appella cet échec, la premiére aux corinthiens.

Ces vingt conseillers, qui avaient fourni chacun quinze mille livres, n'eûrent d'autres honneurs, que d'être appellés les quinze-vingt.

Le duc de beaufort, l'idole du peuple & l'instrument dont on se servit pour le soulever, prince populaire, mais d'un esprit borné, était publiquement l'objet des railleries de la cour & de la fronde même. on ne parlait jamais de lui, que sous le nom de roi des halles. les troupes parisiennes, qui sortaient de paris & qui revenaient toûjours battuës, étaient reçuës avec des huées & des éclats de rire. on ne réparait tous ces petits échecs que par des couplets & des épigrammes. les cabarets & les autres maisons de débauche, étaient les tentes où l'on tenait les conseils de guerre, au milieu des plaisanteries, des chansons, & de la gaïeté la plus dissoluë. la licence était si effrénée, qu'une nuit les principaux officiers de la fronde, aiant rencontré le saint-sacrement qu'on portait dans les ruës à un homme qu'on soupçonnait d'être mazarin, reconduisirent les prêtres à coups de plat-d'épée.

[p. 69] Enfin on vit le coadjuteur, archévêque de paris, venir prendre séance au parlement avec un poignard dans sa poche, dont on appercevait la poignée, & on criait: voilà le bréviaire de notre archévêque.

Au milieu de tous ces troubles, la noblesse s'assembla en corps aux augustins, nomma des syndics, tint publiquement des séances réglées. on eût crû que c'était pour réformer l'état, & pour assembler les états-généraux. c'était uniquement pour un tabouret, que la reine avait accordé à madame de pons; peut-être n'y a-t-il jamais eû une preuve plus sensible de la legéreté des esprits qu'on reprochait alors aux français.

Les discordes civiles, qui désolaient l'angleterre précisément en même tems, servent bien à faire voir les caractéres des deux nations. les anglais avaient mis dans leurs troubles civils, un acharnement mélancolique & une fureur raisonnée: ils donnaient de sanglantes batailles; le fer décidait tout; les échaffauts étaient dressés pour les vaincus; leur roi pris en combattant fut amené devant une cour de justice, interrogé sur l'abus qu'on lui reprochait d'avoir fait de son pouvoir, condanné à perdre [p. 70] la tête, & éxécuté devant tout son peuple, avec autant d'ordre & avec les mêmes formalités de justice, que si on avait condanné un citoien criminel, sans que dans le cours de ces troubles horribles, londres se fut ressenti un moment des calamités attachées aux guerres civiles.

Les français au contraire se précipitaient dans les séditions, par caprice & en riant; les femmes étaient à la tête des factions, l'amour faisait & rompait les cabales. [M] la duchesse de longueville engagea turenne, à peine maréchal de france, à faire révolter l'armée qu'il commandait pour le roi. turenne n'y réussit pas. il quitta en fugitif l'armée dont il était général, pour plaire à une femme qui se moquait de sa passion: il devint de général du roi de france, lieutenant de dom estevan de gamarre, avec lequel il fut battu à retel par les troupes roiales. on connaît ce billet du maréchal d'hoquincourt à la duchesse de montbazon, peronne est à la belle des belles. on sait ces vers du duc de la rochefoucault pour la duchesse de longueville, lorsqu'il reçut au combat de saint antoine un coup de mousquet, qui lui fit perdre quelque-tems la vuë:

[p. 71] Pour mériter son cœur, pour plaire à ses beaux yeux,
J'ai fait la guerre aux rois; je l'aurais faite aux dieux.

La guerre finit & recommença à plusieurs reprises; il n'y eut personne qui ne changeât souvent de parti. le prince de condé, aiant ramené dans paris la cour triomphante, se livra au plaisir de la méprisèr après l'avoir défenduë; & ne trouvant pas qu'on lui donnât des récompenses proportionnées à sa gloire & à ses services, il fut le premier à tourner mazarin en ridicule, à braver la reine, & à insulter le gouvernement qu'il dédaignait. il écrivit, à ce qu'on prétend, au cardinal, à l'illustrissimo signor faquino. il lui dit un jour, adieu mars. il encouragea un marquis de jarsai à faire une déclaration d'amour à la reine, & trouva mauvais qu'elle osât s'en offenser. il se ligua avec le prince de conti son frére, & le duc de longueville, qui abandonnérent le parti de la fronde. on avait appellé la cabale du duc de beaufort au commencement de la régence, celle des importans; on appellait celle de condé, le parti des petits-maîtres, parce qu'ils voulaient être les maîtres de l'état. il n'est resté de tous ces troubles d'autres [p. 72] traces que ce nom de petit-maître, qu'on applique aujourd'hui à la jeunesse avantageuse & mal élevée, & le nom de frondeurs qu'on donne aux censeurs du gouvernement.

Le coadjuteur, qui s'était déclaré l'implacable ennemi du ministére, se réunit secrettement avec la cour, pour avoir un chapeau de cardinal, & il sacrifia le prince de condé au ressentiment du ministre. enfin, ce prince, qui avait défendu l'état contre les ennemis, & la cour contre les révoltés; condé au comble de la gloire, s'étant toûjours conduit en héros, & jamais en homme habile, [M] se vit arrété prisonnier avec le prince de conti & le duc de longueville. il eût pû gouverner l'état, s'il avait seulement voulu plaire; mais il se contentait d'être admiré. le peuple de paris, qui avait fait des barricades pour un conseiller-clerc presque imbécile, fit des feux de joie lorsqu'on mena au donjon de vincennes le défenseur & le héros de la france.

Un an après, ces mêmes frondeurs qui avaient vendu le grand condé & les princes à la vengeance timide de mazarin, forcérent la reine à ouvrir leurs prisons & à chasser du roiaume son premier ministre. condé revint aux acclamations de ce même peuple, qui l'avait tant haï. [p. 73] sa présence renouvella les cabales & les dissensions.

Le roiaume resta dans cette combustion encore quelques années. le gouvernement ne prit jamais que des conseils faibles & incertains: il semblait devoir succomber: mais les révoltés furent toûjours désunis, & c'est ce qui sauva la cour. le coadjuteur, tantôt ami, tantôt ennemi du prince de condé, suscita contre lui une partie du parlement & du peuple: il osa en même-tems servir la reine en tenant tête à ce prince, & l'outragèr en la forçant d'éloigner le cardinal mazarin, qui se retira à cologne. la reine, par une contradiction trop ordinaire aux gouvernemens faibles, fut obligée de recevoir à la fois ses services & ses offenses, & de nommèr au cardinalat ce même coadjuteur, l'auteur des barricades, qui avait contraint la famille roiale à sortir de la capitale & à l'assiéger.

[p. 58] CHAPITRE TROISIEME.

GUERRE CIVILE.

La reine anne d'aûtriche, régente absoluë, avait fait du cardinal mazarin, le maître de la france, & le sien. il avait sur elle cet empire, qu'un homme adroit devait avoir sur une femme née avec assez de faiblesse pour être dominée, & avec assez de fermeté pour persister dans son choix.

On lit dans quelques mémoires de ces tems-là, que la reine ne donna sa confiance à mazarin, qu'au défaut de potier évêque de beauvais, qu'elle avait d'abord choisi pour son ministre. on peind cet évêque comme un homme incapable: il est à croire qu'il l'était, & que la reine ne s'en était servie quelque tems que comme d'un fantôme, pour ne pas effaroucher d'abord la nation par le choix d'un second cardinal & d'un étranger. [p. 59] mais ce qu'il ne faut pas croire, c'est que potier eût commencé son ministére passager par déclarèr aux hollandais: qu'il fallait qu'ils se fissent catholiques s'ils voulaient demeurer dans l'alliance de la France. il aurait donc dû faire la même proposition aux suédois. presque tous les historiens rapportent cette absurdité, par ce qu'ils l'ont luë dans les mémoires des courtisans & des frondeurs. il n'y a que trop de traits dans ces mémoires, ou falsifiés par la passion, ou rapportés sur des bruits populaires. le puérile ne doit pas être cité, & l'absurde ne peut être cru.

Mazarin usa d'abord avec modération de sa puissance. il faudrait avoir vécu longtems avec un ministre, pour peindre son caractére, pour dire quel dégré de courage ou de faiblesse il avait dans l'esprit, à quel point il était ou prudent ou fourbe. ainsi sans vouloir deviner ce qu'était mazarin, on dira seulement ce qu'il fit. il affecta dans les commencemens de sa grandeur, autant de simplicité que richelieu avait déploié de hauteur. loin de prendre des gardes & de marchèr avec un faste roial, il eut d'abord le train le plus modeste; il mit de l'affabilité & même de la mollesse par-tout où son prédécesseur avait fait paraître une fierté infléxible. la reine voulait faire aimer sa [p. 60] régence & sa personne, de la cour & des peuples, & elle y réussissait. gaston, duc d'orléans, frére de louis XIII, & le prince de condé, appuiaient son pouvoir, & n'avaient d'émulation que pour servir l'état.

Il fallait des impôts pour soûtenir la guerre contre l'espagne & contre l'empire; on en établit quelques-uns, bien modérés sans doute en comparaison de ce que nous avons païé depuis, & bien peu suffisans pour les besoins de la monarchie.

[M] Le parlement en possession de vérifier les édits de ces taxes, s'opposa vivement à l'édit du tarif. il acquit la confiance des peuples, par les contradictions dont il fatigua le ministére.

Enfin, douze charges de maîtres des requêtes nouvellement créées, & environ quatre-vingt mille écus de gages des compagnies supérieures, retenus, soulevérent toute la robe, & avec la robe tout paris; ce qui ferait à peine aujourd'hui dans le roiaume la matiére d'une nouvelle, excita alors une guerre civile.

Broussel, conseiller-clerc de la grand'chambre, homme de nulle capacité, & qui n'avait d'autre mérite, que d'ouvrir toûjours les avis contre la cour, aiant [p. 61] été arrété, le peuple en montra plus de douleur, que la mort d'un bon roi n'en a jamais causée. on vit renouveller les barricades de la ligue; le feu de la sédition parut allumé dans un instant, & difficile à éteindre; il fut attisé par la main du coadjuteur, depuis cardinal de retz: c'est le premier évêque, qui ait fait une guerre civile sans avoir la religion pour prétexte. cet homme singulier s'est peint lui-même dans ses mémoires, écrits avec un air de grandeur, une impétuosité de génie, & une inégalité, qui sont l'image de sa conduite. c'était un homme qui du sein de la débauche, & languissant encore des suites qu'elle entraîne, prêchait le peuple, & s'en faisait idolâtrer. il respirait la faction & les complots; il avait été, à l'âge de 23 ans, l'ame d'une conspiration contre la vie de richelieu: il fut l'auteur des barricades; il précipita le parlement dans les cabales, & le peuple dans les séditions. ce qui paraît surprenant, c'est que le parlement entraîné par lui, leva l'étendart contre la cour, avant même d'être appuié par aucun prince.

Cette compagnie depuis longtems était regardée bien différemment par la cour & par le peuple. si l'on en croiait la voix de tous les ministres & de la cour, [p. 62] le parlement de paris était une cour de justice, faite pour juger les causes des citoiens: il tenait cette prérogative de la seule volonté des rois; il n'avait sur les autres parlemens du roiaume d'autre prééminence que celle de l'ancienneté, & d'un ressort plus considérable; il n'était la cour des pairs que parce que la cour résidait à paris: il n'avait pas plus de droit de faire des remontrances que les autres corps, & ce droit était encore une pure grace: il avait succédé à ces parlemens qui représentaient autrefois la nation française; mais il n'avait de ces anciennes assemblées rien que le seul nom: & pour preuve incontestable, c'est qu'en effet les états-généraux étaient substitués à la place des assemblées de la nation; & le parlement de paris ne ressemblait pas plus aux parlemens tenus par nos premiers rois, qu'un consul de smyrne ou d'alep ne ressemble à un consul romain.

Cette seule erreur de nom était le prétexte des prétentions ambitieuses d'une compagnie d'hommes de loi, qui tous pour avoir acheté leurs offices de robe, pensaient tenir la place des conquérans des gaules, & des seigneurs des fiefs de la couronne. ce corps en tous les tems avait abusé du pouvoir que s'arroge nécessairement [p. 63] un premier tribunal, toûjours subsistant dans une capitale. il avait osé donnèr un arrêt contre charles VII & le bannir du roiaume: il avait commencé un procès criminel contre henri III: il avait en tous les tems résisté, autant qu'il l'avait pû, à ses souverains; & dans cette minorité de louis XIV, sous le plus doux des gouvernemens, & sous la plus indulgente des reines, il voulait faire la guerre civile à son prince, à l'éxemple de ce parlement d'angleterre, qui tenait alors son roi prisonnier, & qui lui fit trancher la tête. tels étaient les discours & les pensées du cabinet.

Mais les citoiens de paris, & tout ce qui tenait à la robe, voiaient dans le parlement un corps auguste, qui avait rendu la justice avec une intégrité respectable, qui n'aimait que le bien de l'état, & qui l'aimait au péril de sa fortune, qui bornait son ambition à la gloire de réprimer l'ambition des favoris, qui marchait d'un pas égal entre le roi & le peuple; & sans éxaminer l'origine de ses droits & de son pouvoir, on lui supposait les droits les plus sacrés, & le pouvoir le plus incontestable, quand on le voiait soûtenir la cause du peuple contre des ministres détestés; on l'appellait [p. 64] le pére de l'état, & on faisait peu de différence entre le droit qui donne la couronne aux rois, & celui qui donnait au parlement le pouvoir de modérer les volontés des rois.

Entre ces deux extrémités un milieu juste était impossible à trouver; car enfin il n'y avait de loi bien reconnuë, que celle de l'occasion & du tems. sous un gouvernement rigoureux [errata: vigoureux] le parlement n'était rien: il était tout sous un roi faible, & l'on pouvait lui appliquer ce que dit monsieur de guimené, quand cette compagnie se plaignit sous louis XIII d'avoir été précédée par les députés de la noblesse: messieurs, vous prendrez bien revanche [errata: votre revanche] dans la minorité.

On ne veut point répétèr ici tout ce qui a été écrit sur ces troubles, & copier des livres, pour remettre sous les yeux tant de détails alors si chers & si importans, & aujourd'hui presque oubliés: mais on doit dire ce qui caractérise l'esprit de la nation, & moins ce qui appartient à toutes les guerres civiles, que ce qui distingue celle de la fronde.

Deux pouvoirs établis chez les hommes, uniquement pour le maintien de la paix; un archévêque & un parlement de paris aiant commencé les troubles, le peuple crut tous ses emportemens [p. 65] justifiés. la reine ne pouvait paraître en public sans être outragée; on ne l'appellait que dame anne; & si on y ajoutait quelque titre, c'était un opprobre. le peuple lui reprochait avec fureur de sacrifier l'état à son amitié pour mazarin; & ce qu'il y avait de plus insupportable, elle entendait de tous côtés ces chansons & ces vaudevilles, monumens de plaisanterie & de malignité, qui semblaient devoir éterniser le doute où l'on affectait d'être de sa vertu.

[M] Elle s'enfuit de paris avec ses enfans, son ministre, le duc d'orléans frére de louis XIII, le grand condé lui-même, & alla à saint-germain; on fut obligé de mettre en gage chez des usuriers les pierreries de la couronnne. le roi manqua souvent du nécessaire. les pages de sa chambre furent congédiés, parce qu'on n'avait pas de quoi les nourrir. en ce tems-là même la tante de louis XIV, fille de henry le grand, femme du roi d'angleterre, réfugiée à paris, y était réduite aux extrémités de la pauvreté; & sa fille, depuis mariée au frére de louis XIV, restait au lit n'aiant pas dequoi se chauffer, sans que le peuple de paris, enyvré de ses fureurs, fit seulement attention aux afflictions de tant de personnes roiales.

[p. 66] La reine, les larmes aux yeux, pressa le prince de condé de servir de protecteur au roi. le vainqueur de rocroi, de fribourg, de lens & de norlingue, ne put démentir tant de services passés: il fut flâté de l'honneur de défendre une cour qu'il croiait ingrate, contre la fronde qui recherchait son appui. le parlement eut donc le grand condé à combattre, & il osa soûtenir la guerre.

Le prince de conti, frére du grand condé, aussi jaloux de son aîné, qu'incapable de l'égaler; le duc de longueville, le duc de beaufort, le duc de bouillon, animés par l'esprit remuant du coadjuteur & avides de nouveautés, se flâtant d'élever leur grandeur sur les ruines de l'état, & de faire servir à leurs desseins particuliers les mouvemens aveugles du parlement, vinrent lui offrir leurs services. on nomma dans la grand'-chambre les généraux d'une armée qu'on n'avait pas. chacun se taxa pour lever des troupes: il y avait vingt conseillers pourvus de charges nouvelles, créées par le cardinal de richelieu. leurs confréres, par une petitesse d'esprit dont toute société est susceptible, semblaient poursuivre sur eux la mémoire de richelieu; ils les accablaient de dégoûts, & ne les regardaient pas comme membres du parlement: [p. 67] il fallut qu'ils donnassent chacun 15000 liv. pour les frais de la guerre, & pour acheter la tolérance de leurs confréres.

La grand'-chambre, les enquêtes, les requêtes, la chambre des comptes, la cour des aides, qui avaient tant crié contre un impôt faible & nécessaire, qui n'allait pas à cent mille écus, fournirent une somme de près de dix millions de notre monoie d'aujourd'hui, pour la subversion de la patrie. on leva douze mille hommes par arrêt du parlement: chaque porte cochére fournit un homme & un cheval. cette cavalerie fut appellée la cavalerie des portes cochéres. le coadjuteur avait un régiment à lui, qu'on nommait le régiment de corinthe, parce que le coadjuteur était archévêque titulaire de corinthe.

Sans les noms de roi de france, de grand condé, de capitale du roiaume, cette guerre de la fronde eût été aussi ridicule que celle des barberins; on ne savait pourquoi on était en armes. le prince de condé assiégea cinq-cent mille bourgeois avec huit mille soldats. les parisiens sortaient en campagne ornés de plumes & de rubans; leurs évolutions étaient le sujet de plaisanterie des gens du métier. ils fuïaient dès qu'ils rencontraient [p. 68] deux-cens hommes de l'armée roiale. tout se tournait en raillerie; le régiment de corinthe aiant été battu par un petit parti, on appella cet échec, la premiére aux corinthiens.

Ces vingt conseillers, qui avaient fourni chacun quinze mille livres, n'eûrent d'autres honneurs, que d'être appellés les quinze-vingt.

Le duc de beaufort, l'idole du peuple & l'instrument dont on se servit pour le soulever, prince populaire, mais d'un esprit borné, était publiquement l'objet des railleries de la cour & de la fronde même. on ne parlait jamais de lui, que sous le nom de roi des halles. les troupes parisiennes, qui sortaient de paris & qui revenaient toûjours battuës, étaient reçuës avec des huées & des éclats de rire. on ne réparait tous ces petits échecs que par des couplets & des épigrammes. les cabarets & les autres maisons de débauche, étaient les tentes où l'on tenait les conseils de guerre, au milieu des plaisanteries, des chansons, & de la gaïeté la plus dissoluë. la licence était si effrénée, qu'une nuit les principaux officiers de la fronde, aiant rencontré le saint-sacrement qu'on portait dans les ruës à un homme qu'on soupçonnait d'être mazarin, reconduisirent les prêtres à coups de plat-d'épée.

[p. 69] Enfin on vit le coadjuteur, archévêque de paris, venir prendre séance au parlement avec un poignard dans sa poche, dont on appercevait la poignée, & on criait: voilà le bréviaire de notre archévêque.

Au milieu de tous ces troubles, la noblesse s'assembla en corps aux augustins, nomma des syndics, tint publiquement des séances réglées. on eût crû que c'était pour réformer l'état, & pour assembler les états-généraux. c'était uniquement pour un tabouret, que la reine avait accordé à madame de pons; peut-être n'y a-t-il jamais eû une preuve plus sensible de la legéreté des esprits qu'on reprochait alors aux français.

Les discordes civiles, qui désolaient l'angleterre précisément en même tems, servent bien à faire voir les caractéres des deux nations. les anglais avaient mis dans leurs troubles civils, un acharnement mélancolique & une fureur raisonnée: ils donnaient de sanglantes batailles; le fer décidait tout; les échaffauts étaient dressés pour les vaincus; leur roi pris en combattant fut amené devant une cour de justice, interrogé sur l'abus qu'on lui reprochait d'avoir fait de son pouvoir, condanné à perdre [p. 70] la tête, & éxécuté devant tout son peuple, avec autant d'ordre & avec les mêmes formalités de justice, que si on avait condanné un citoien criminel, sans que dans le cours de ces troubles horribles, londres se fut ressenti un moment des calamités attachées aux guerres civiles.

Les français au contraire se précipitaient dans les séditions, par caprice & en riant; les femmes étaient à la tête des factions, l'amour faisait & rompait les cabales. [M] la duchesse de longueville engagea turenne, à peine maréchal de france, à faire révolter l'armée qu'il commandait pour le roi. turenne n'y réussit pas. il quitta en fugitif l'armée dont il était général, pour plaire à une femme qui se moquait de sa passion: il devint de général du roi de france, lieutenant de dom estevan de gamarre, avec lequel il fut battu à retel par les troupes roiales. on connaît ce billet du maréchal d'hoquincourt à la duchesse de montbazon, peronne est à la belle des belles. on sait ces vers du duc de la rochefoucault pour la duchesse de longueville, lorsqu'il reçut au combat de saint antoine un coup de mousquet, qui lui fit perdre quelque-tems la vuë:

[p. 71] Pour mériter son cœur, pour plaire à ses beaux yeux,
J'ai fait la guerre aux rois; je l'aurais faite aux dieux.

La guerre finit & recommença à plusieurs reprises; il n'y eut personne qui ne changeât souvent de parti. le prince de condé, aiant ramené dans paris la cour triomphante, se livra au plaisir de la méprisèr après l'avoir défenduë; & ne trouvant pas qu'on lui donnât des récompenses proportionnées à sa gloire & à ses services, il fut le premier à tourner mazarin en ridicule, à braver la reine, & à insulter le gouvernement qu'il dédaignait. il écrivit, à ce qu'on prétend, au cardinal, à l'illustrissimo signor faquino. il lui dit un jour, adieu mars. il encouragea un marquis de jarsai à faire une déclaration d'amour à la reine, & trouva mauvais qu'elle osât s'en offenser. il se ligua avec le prince de conti son frére, & le duc de longueville, qui abandonnérent le parti de la fronde. on avait appellé la cabale du duc de beaufort au commencement de la régence, celle des importans; on appellait celle de condé, le parti des petits-maîtres, parce qu'ils voulaient être les maîtres de l'état. il n'est resté de tous ces troubles d'autres [p. 72] traces que ce nom de petit-maître, qu'on applique aujourd'hui à la jeunesse avantageuse & mal élevée, & le nom de frondeurs qu'on donne aux censeurs du gouvernement.

Le coadjuteur, qui s'était déclaré l'implacable ennemi du ministére, se réunit secrettement avec la cour, pour avoir un chapeau de cardinal, & il sacrifia le prince de condé au ressentiment du ministre. enfin, ce prince, qui avait défendu l'état contre les ennemis, & la cour contre les révoltés; condé au comble de la gloire, s'étant toûjours conduit en héros, & jamais en homme habile, [M] se vit arrété prisonnier avec le prince de conti & le duc de longueville. il eût pû gouverner l'état, s'il avait seulement voulu plaire; mais il se contentait d'être admiré. le peuple de paris, qui avait fait des barricades pour un conseiller-clerc presque imbécile, fit des feux de joie lorsqu'on mena au donjon de vincennes le défenseur & le héros de la france.

Un an après, ces mêmes frondeurs qui avaient vendu le grand condé & les princes à la vengeance timide de mazarin, forcérent la reine à ouvrir leurs prisons & à chasser du roiaume son premier ministre. condé revint aux acclamations de ce même peuple, qui l'avait tant haï. [p. 73] sa présence renouvella les cabales & les dissensions.

Le roiaume resta dans cette combustion encore quelques années. le gouvernement ne prit jamais que des conseils faibles & incertains: il semblait devoir succomber: mais les révoltés furent toûjours désunis, & c'est ce qui sauva la cour. le coadjuteur, tantôt ami, tantôt ennemi du prince de condé, suscita contre lui une partie du parlement & du peuple: il osa en même-tems servir la reine en tenant tête à ce prince, & l'outragèr en la forçant d'éloigner le cardinal mazarin, qui se retira à cologne. la reine, par une contradiction trop ordinaire aux gouvernemens faibles, fut obligée de recevoir à la fois ses services & ses offenses, & de nommèr au cardinalat ce même coadjuteur, l'auteur des barricades, qui avait contraint la famille roiale à sortir de la capitale & à l'assiéger.