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Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, l'édition de 1751
Le lecteur trouvera ici le texte de la première édition du Siècle de Louis XIV, dont Voltaire lui-même était, dans tous les sens du terme, l'éditeur. Le texte a été intégralement respecté, exception faite de quelques erreurs évidentes qui ont été corrigées. Nous donnons un bref aperçu de la composition de l'ouvrage jusqu'en 1751 sans entrer dans le détail des sources, suivi d'une présentation de l'orthographe de Voltaire telle qu'elle apparaît dans cette édition.
[M] indique la présence d'une date marginale dans l'édition de 1751. Ces dates marginales seront affichées dans la prochaine version de cette édition. Les numéros des pages de l'originale sont indiqués «[p. 123]». Dans le cas des pages préliminaires (non numérotées dans l'original), le numéro apparaît en italique. Les notes de Voltaire seront affichées dans la prochaine version de cette édition. Elles sont indiquées dans le texte par un appel numéroté. L'index («Table des principales matières») sera lié au texte du Siècle dans une prochaine version, tout comme la «Table des chapitres». Une prochaine version permettra d'effectuer des recherches dans le texte.
Quand parut à Berlin au mois de décembre 1751 la première édition du Siècle de Louis XIV, le public attendait l'ouvrage avec impatience, car il était notoire que Voltaire, après avoir chanté la gloire d'Henri IV et raconté l'épopée de Charles XII, préparait depuis longtemps un ouvrage sur Louis XIV et son siècle. Aussi l'ouvrage connut-il une large diffusion: il compte parmi les livres les mieux représentés dans les bibliothèques privées du XVIIIe siècle. D'après Voltaire lui-même, il commença à réunir la documentation pour son histoire de Louis XIV dès 1728-17291, à l'époque où il travaillait à l'Histoire de Charles XII, parue en 17312. Un timide début de la rédaction proprement dite se situe sans doute au début de 1732. En mai de la même année, il en parle dans sa correspondance comme d'un ouvrage déjà en chantier et dans des termes qui indiquent que ses amis étaient parfaitement au courant: «J hope to employ such a studious leisure with Eriphile, the english letters, and the age of Lewis the 14th3.» Il continue activement la collecte de matériaux pour ce projet qui, en avril 1733, est devenu sa «grande histoire4». Mais d'autres occupations sont intervenues entretemps: il se consacre avec enthousiasme à Zaïre, qui l'occupe jour et nuit à un certain moment5. Comme toujours, il travaille à plusieurs œuvres à la fois: Adélaïde Du Guesclin, Le Temple du Goût, par exemple. Il semble hésiter devant l'ampleur de la tâche. Peut-être se rend-il compte aussi de la difficulté de composer l'histoire d'une époque à peine révolue, dont les descendants proches des protagonistes sont encore en vie, sans encourir l'ire des autorités déjà aux aguets. «Pour cette Histoire du siècle de Louis XIV, c'est une entreprise qui sera l'occupation et la consolation de ma vieillesse; il faudra peut-être dix ans pour la faire», écrit-il au marquis de Caumont. Et quelques mois plus tard: «Je suis toujours dans la résolution de faire quelque chose sur ce beau siècle de Louis XIV; mais j'ai bien peur de n'en avoir ni le loisir, ni la santé, ni le talent. J'assemble toujours quelques matériaux en attendant que je puisse commencer cet ouvrage, qui me paraît également long et dangereux à achever6.» C'est finalement la diffusion à Paris sans autorisation des Lettres philosophiques, leur condamnation par le Parlement et le mandat d'arrestation lancé contre l'auteur anonyme qui changeront la donne. En compagnie d'Émilie Du Châtelet, avec qui il avait renoué connaissance en mai 1733, il passera dix ans à Cirey, aux confins de la Lorraine, menant une vie studieuse, certes vouée aux sciences, mais où sa future histoire du siècle de Louis XIV occupe également une place importante. Nous pouvons suivre à travers les nombreuses lettres échangées depuis Cirey avec ses amis et connaissances cette activité continue: il développe sa réflexion sur l'histoire et la façon de l'écrire7; il se documente, lit tout ce qui lui tombe sous la main8, commande des livres, aux libraires, à ses amis9; il en emprunte à la Bibliothèque du roi, à ses amis10; il entre en contact suivi avec des spécialistes comme Jean Lévesque de Burigny et l'abbé Dubos11; il sollicite des «particularités», des anecdotes à tout venant12. C'est une activité qui le séduit. «J'ay le [sic] plaisir même à préparer les instruments dont je dois me servir. La manière dont je recueille mes matériaux est un amusement agréable. Il n'y a point de livres où je ne trouve des traits dont je peux faire usage. [...] Je me suis établi peintre du siècle de Louis 14, et tout ce qui se présente à moy est regardé dans cette vue», écrit-il à l'abbé d'Olivet, le 24 août 1735. Et à son ami Formont: «Je vais grand train dans le Siècle de Louis XIV; je saute à pieds joints sur toutes les minuties que je trouve en mon chemin: c'est un taillis fourré où je me fais des grandes routes13». Il fait des lectures de son œuvre à Cirey14. Malgré l'opposition de Mme Du Châtelet, il prête son manuscrit à Mme Graffigny qui en raffole15. Il envoie des copies manuscrites à ses amis parisiens, mais surtout au jeune prince royal de Prusse avec lequel il correspond depuis août 1736 et qui s'intéresse vivement à son projet16. Son travail avance et, de la lettre qu'il adresse à Jean-Baptiste Dubos, le 30 octobre 1738, il ressort que le Siècle consistait alors en une trentaine de chapitres: un chapitre pour la vie privée de Louis XIV deux chapitres pour les grands changements faits dans la police du royaume, le commerce, les finances deux chapitres pour le gouvernement ecclésiastique (révocation de l'édit de Nantes, la régale) cinq ou six pour l'histoire des arts Émilie Du Châtelet n'est pas seule à s'inquiéter des suites d'une éventuelle publication. Tout en approuvant son ouvrage, on lui recommande la prudence, tel un Frédéric de Prusse qui lui écrit: «L'Histoire De Louis 14 que je Viens de relire, se resent bien de Vostre séjour de Cirey, c'est un ouvrage excelent, et dont L'Univers n'a point encore d'exemple. Je Vous demande instemment de m'en procurer La Continuation, mais je vous conseille en ami de ne point Le Livrer à L'impression. La postérité de tout ceux dont Vous dites La Vérité se Ligueroit Contre Vous. Les uns trouveroient que Vous en avés trop dit, les autres que Vous n'avés pas asséz exagéré Les Vertus de leurs Ancêtres; et Les prêtres, cette Race implacable, ne Vous pardoneroit point les petits traits que Vous leurs Lancéz. J'ause même dire que cette Histoire écrite avec vérité et Dans un esprit philosophique ne doit point sortir de la sphère des philosophes17». Échaudé par l'aventure du Mondain et le refus des autorités d'accorder une permission aux Éléments de la philosophe de Newton, Voltaire décide pourtant en janvier 1739 de lancer un ballon d'essai18. Il choisit les deux premiers chapitres. Mais d'abord il envoie le manuscrit à lire à ses fidèles amis parisiens pour s'assurer que rien ne s'opposera à la publication. Le 29 janvier, il envoie «le commencement de l'histoire du siècle de Louis i4» à l'abbé d'Olivet, tout en le priant de ne pas en prendre copie. Il lui demande toutefois de le communiquer «à vos amis et surtout à mr l'abbé Dubos». Le 24 mars, il le fait parvenir au marquis d'Argenson. Au comte d'Argental, il écrit: «Faites lire à vos amis l'essay sur Louis i4, je voudrois savoir si on le goûtera, s'il paraîtra sage»19. À Paris, on se consulte, on suggère des changements pour éviter de heurter de front les autorités religieuses et civiles. Voltaire acquiesce: «Ne vous effrayez point de l'article de Rome, on le corrigera, il sera très décent sans rien perdre de sa vérité»20. Voltaire s'impatiente: «Mais mon cher amy qu'y a t'il donc encor dans ce morceau de Rome, et dans le commencement de cet essay, qui ne soit plus mesuré mille fois que fra Paolo, que le traité du droit eclésiatique, que Mezeray, que tant d'autres écrits? S'il y a encor quelques amputations à faire, vous n'avez qu'à dire, ce morceau là a déjà été bien tailladé et le sera encore quand vous voudrez»21. Et encore: «On me mande que ces deux chapitres sur le siècle de Louis 14 pouroient me faire des affaires. [...] Quoy, un monument que j'ay cru élever à la gloire de la France ne serviroit qu'à m'écrazer22!». Entretemps Voltaire est entré en pourparlers avec deux libraires-éditeurs, Laurent-François Prault à Paris, auquel il offre de donner incessamment un petit recueil contenant divers textes dont le commencement de l'histoire de Louis XIV, et Henri Du Sauzet à Amsterdam qui se voit d'abord proposer l'ouvrage entier, puis une publication séparée d'un certain nombre de chapitres23. À partir du mois de mai 1739, plusieurs copies manuscrites circulent dans la capitale et Mme Du Châtelet craint une publication prématurée qui risquerait d'envenimer encore plus la situation, déjà volatile, provoquée par la publication de La Voltairomanie par Desfontaines en décembre 173824. En juin 1739, le bruit se répandit que Voltaire avait envoyé à Prault son Siècle de Louis XIV25. De Bruxelles, où il se trouvait alors, Voltaire exhorte Prault à la prudence26. Ce dernier semble avoir avancé à petits pas. N'empêche, les autorités étaient de toute évidence au courant de l'impression du petit recueil qui renfermait le texte du Siècle, sans qu'aucune permission eut été demandée. L'attitude des autorités ressort clairement d'une lettre écrite par le marquis d'Argenson à Du Sauzet et dont ce dernier envoie copie à Voltaire: «quelque sermon que vous fassiez à l'Auteur pour qu'il accommode son livre au goût de notre cour, vous ne parviendrez pas à lui faire retrancher de certaines hardiesses belles & élevées, qui s'opposeroient toujours aux permissions formelles & au sceau du privilège dans ce pays-ci, où on devient scrupuleux de plus en plus27». Les deux premiers chapitres du futur Siècle de Louis XIV parurent, à l'automne 1739, chez Du Sauzet à Amsterdam, sous le titre d'Essai sur l'histoire du siècle de Louis XIV28. Parallèlement Prault tenait prête son édition du même texte à paraître dans le Recueil de pièces fugitives en prose et en vers, avec la date de 1740. Le 24 novembre, le Recueil fut saisi par les autorités, qui en ordonna la suppression, Prault l'ayant entreposé dans un lieu non autorisé, chez un joaillier du Pont-au-Change. La boutique de Prault fut fermé pour trois mois et ce dernier fut condamné à payer 500 livres d'amende29. Tous les témoignages concordent: les autorités ne décolèrent pas. Le ministre Maurepas, qui avait prid envers le cardinal de Fleury l'engagement personnel que cette histoire ne paraîtrait pas sans son aveu, est particulièrement indigné30. Voltaire s'absente de la capitale et prend la route de Bruxelles, où il arrive le 5 décembre. Le 1er décembre, il écrit, de Réthel, au lieutenant général de police Hérault: «J'ay apris en chemin qu'on avoit saisi un petit receuil que le sr Praut fils, libraire, faisoit de quelques uns de mes ouvrages. Je puis vous assurer monsieur qu'il n'y a aucune des pièces de ce receuil qui n'ait été imprimée plusieurs fois [...]. À L'égard d'une espèce d'introduction, ou de plan raisoné de l'histoire du siècle de Louis i4, il y a plusieurs mois que cela est publié dans les journaux étrangers [...] Je ne crois pas qu'on trouve dans cet essay rien qui ne soit d'un bon citoyen; et si par malheur il s'étoit glissé quelque chose qui pût déplaire, je suis prest de le corriger31». Prault lui écrit pour se plaindre de sa situation. Voltaire se justifie: «Je suis très étonné, et très fâché de ce que vous m'écrivez, qu'on dit que c'est ma faute si on vous a pris ce qui étoit dans vos magazins. En quoy ma faute? s'il vous plait? Je vous ay permis d'imprimer ce que vous avez recueilli de mes ouvrages; j'en ay même corrigé avec soin la copie que vous aviez32; uniquemt pour vous faire plaisir. J'ay dit à mr Heraut, j'ay écrit aux ministres, qu'il étoit très faux qu'on imprimast l'histoire du siècle de Louis 14. J'ay dit, j'ay écrit qu'il n'en paroissoit que le plan raisonné, le premier chapitre; et rien autre chose. On a été content; on a dit que puisqu'il n'y avoit que le plan qui parût dans le monde cet objet ne méritoit point l'attention trop sévère du ministère. On savait qu'il étoit imprimé en Hollande; on le trouvoit bon; et après cela on vous prend ce que l'on trouve bon qui paraisse en Hollande. Cela me paraît très cruel. Mais ce n'est nullement ma faute33». Ajoutons que Voltaire avait déjà pris des mesures pour aider Prault financièrement. Le 8 janvier 1740, il écrit de Bruxelles au marquis d'Argenson: «Le principal objet même de ce recueil étoit Le commencement du siècle de Louis i4, ouvrage d'un bon citoyen et d'un homme très modéré. J'ose dire que dans tout autre temps une pareille entreprise seroit encouragée par le gouvernement. [...] J'élevois un monument à la gloire de mon pays, et je suis écrasé sous les premières pierres que j'ay posées.» À Cideville, il écrit: «La main des sots et des bigots a aparemment voulu m'écraser sous cet édifice; mais ils n'y ont pas réussi, et l'ouvrage et moy nous subsisterons»34. N'empêche, Voltaire reste sagement absent de Paris et de France: il va à Bruxelles, La Haye, Berlin, Bruxelles de nouveau... À partir du début du mois de novembre 1741 il est de retour à Paris, puis à Cirey. Voltaire persiste: il continue à travailler à son histoire du Siècle de Louis XIV, encouragé par Frédéric, mais sans doute se rend-il compte de la difficulté de la faire publier. À partir de l'automne 1741, il met en chantier un nouvel ouvrage d'histoire, de plus vaste envergure, dans lequel viendra peut-être se fondre son histoire du siècle de Louis XIV35. C'est le futur Essai sur les mœurs et l'esprit des nations. Il est dorénavant difficile de distinguer ce qui, dans la correspondance, relève de l'un ou de l'autre. Ajoutons qu'à partir d'avril 1745, date où il est nommé historiographe de France, il forme tout naturellement le projet d'écrire une histoire des campagnes du roi36. En 1746 les quatre chapitres suivants37 parurent dans les Œuvres diverses de M. de Voltaire, publication dans laquelle le rôle de Voltaire reste assez obscur. S'agit-il du fruit d'une de ces nombreuses «indiscretions» dont a souffert le portefeuille de l'écrivain depuis ses premiers débuts? Quoi qu'il en soit, son ami Thieriot a dû jouer un rôle dans cette édition faite à Trévoux, dont Voltaire se plaignait volontiers38. En 1748, dans le tome II de l'édition des Œuvres de Voltaire, publiée à Dresde par Conrad Walther, paraissent avec l'Essai sur le siècle de Louis XIV de 1739 et les chapitres publiés en 174639 des Anecdotes de Louis XIV qui proviennent de l'énorme documentation rassemblée autour du grand roi, mais qui ne seront jamais intégrées de son vivant dans Le Siècle de Louis XIV. Émilie Du Châtelet meurt le 10 septembre 1749 et dix mois plus tard, en juillet 1750, Voltaire arrive à Potsdam et Berlin. Il est dès lors naturel qu'il se soit attache à achever auprès de Frédéric II un ouvrage que celui-ci a suivi de près et qu'il n'avait cessé de l'exhorter de terminer40. Dès 1751, de Potsdam, Voltaire propose à l'éditeur Georg Conrad Walther de Dresde la publication de la totalité de l'ouvrage, dont il essayait de faire venir de Paris le manuscrit primitif41. Par la suite il jugea politique de faire paraître le Siècle à Berlin, sous le patronage officieux de Frédéric II, et c'est dans cette ville que sera imprimée la première édition, par C. F. Henning, l'imprimeur du roi. Le nom de Voltaire ne figure pas sur la page de titre qui signale que l'ouvrage est «publié par M. de Francheville conseiller aulique de sa Majesté, & membre de l'académie roiale des sciences & belles lettres de Prusse». L'identité du véritable auteur n'était un secret pour personne, mais l'affichage du nom de Francheville, une connaissance de Berlin, qui s'était chargé de la correction des épreuves et avait servi d'intermédiaire avec l'imprimeur, permettait aux autorités françaises de fermer les yeux et évitait des poursuites à l'auteur. Voltaire s'en explique dans une lettre à Walther: «Mon nom n'est point à la tête de l'édition. On sait assez dans l'Europe que j'en suis l'auteur, mais je ne veux pas m'exposer à ce qu'on peut essuyer en France de désagréable, quand on dit la vérité42.» Cependant, Henning n'était pas davantage l'éditeur du Siècle de Louis XIV. Voltaire finança seul la fabrication de l'ouvrage, tiré à 3000 exemplaires. Il en garda une centaine pour «faire des présents»; 500 furent distribués en Angleterre par Dodsley pour le compte de Voltaire; et le gros de l'édition, 2400 exemplaires environ, fut cédé par Voltaire à son éditeur de Dresde, Georg Conrad Walther43. La préparation d'une nouvelle édition, revue et corrigée à la lumière des remarques envoyées à Voltaire par les historiens Hénault et Foncemagne, par les ducs de Richelieu et de Noailles et par d'autres44, était en chantier dès la publication de la première. D'un côté, Lambert travaillait à Paris sur une série d'impressions sous l'adresse de «Leypsick» ou «Leipsic», en se servant d'abord d'un exemplaire corrigé de la première édition envoyé par Voltaire à Mme Denis, ensuite de corrections fournies plus particulièrement à son intention par l'auteur. Son édition passa par plusieurs transformations et n'atteignit jamais, semble-t-il, un état que l'on pourrait considérer comme définitif. De l'autre côté du Rhin, Walther fit imprimer à Leipzig une édition dirigée par Voltaire et publiée à Dresde à la fin de 1752. En attendant la diffusion de ces nouvelles versions, l'édition imprimée à Berlin fournit le texte d'une douzaine d'autres éditions, en dépit des efforts de Voltaire pour limiter la diffusion en France de ce premier état du texte: deux éditions françaises dont une rouennaise sous la fausse adresse de Henning à Berlin; trois éditions françaises probablement lyonnaises sous la fausse adresse de Walther à Dresde; une édition d'Édimbourg; trois éditions sous l'adresse de Dodsley à Londres: une in-quarto, de Dodsley, et deux in-douze, dont au moins une véritablement publiée par Dodsley; une édition à La Haye, sous le titre de l'Histoire du siècle de Louis XIV et sous le nom de Gibert ou Neaulme; une édition de provenance incertaine, sous l'adresse de Gleiditsch à Leipzig. La publication du Siècle reprend en Allemagne à la fin de 1752, avec la parution de l'édition Walther déjà évoquée, qui porte la date de 1753. Celle annotée de façon hostile par La Beaumelle paraît en 1753, sous l'adresse de Knock & Eslinger à Francfort ou de Bouchard à Metz. Un éditeur français sort un supplément de 70 pages sous le titre d'Additions et corrections, qui relève les changements incorporés dans l'édition Lambert, tandis que Gilbert ajoute un troisième tome à son édition de 1752 pour présenter les commentaires de La Beaumelle et de Prosper Marchand. Trois nouvelles éditions du Siècle paraissent en France («Berlin»; «Dresde»; «Leypsic») et une en Angleterre sous l'adresse de Dodsley. Au moins seize autres éditions séparées seront publiées du vivant de Voltaire, dont seule celle faite à Genève par Cramer en 1768 fait autorité. L'histoire de l'évolution du texte se présente donc de la façon suivante:
Manuscrits Il n'existe aucun manuscrit complet du Siècle de Louis XIV. Quelques fragments d'un premier état du premier chapitre, qui se trouvent parmi les manuscrits de Voltaire conservés à Saint-Pétersbourg, ont été publiés par Fernand Caussy, dans Voltaire, Œuvres inédites, t. I, Mélanges historiques, Paris, H. Champion, 1914, p. 277 et suiv. Des autres esquisses, brouillons et mises au net, qui ont certainement existé en grand nombre, on avait perdu toute trace avant la récente découverte de deux pages d'une copie exécutée sous les yeux de Voltaire par un de ses secrétaires. Cette copie a été acquise par un marchand d'autographes parisien qui a cru bon de la détailler feuillet par feuillet45. Il existe par ailleurs quelques fragments tardifs, notamment des ajouts rédigés à Ferney pour les éditions publiées à Genève par Cramer. Une copie de trois chapitres du Siècle a été acquise par la Bibliothèque nationale de France en 2006. Elle est actuellement en cours de catalogage. L'orthographe de Voltaire dans la première édition du Siècle de Louis XIV Dans cette édition de Berlin, Voltaire cherche à mettre systématiquement en œuvre une réforme de l'orthographe, réforme dont d'ailleurs peu d'éléments survivront. Il nous a semblé intéressant de présenter un peu plus en détail cette réforme qu'on résume souvent trop hâtivement en se référant à un ou deux éléments seulement. Le but principal du réformateur était de chercher à rendre et noter la prononciation réelle du temps en simplifiant l'orthographe. «L'écriture est la peinture de la voix: plus elle est ressemblante, meilleure elle est», écrira-t-il vingt ans plus tard dans l'article «Orthographe» des Questions sur l'Encyclopédie. Avant d'énumérer les traits marquants de sa réforme l'utilisateur pourra lui-même faire des recherches plus poussées dans le texte , signalons d'abord que Voltaire et/ou ses protes et correcteurs n'ont pas su mettre en pratique la réforme avec toute la rigueur souhaitée. Les variations de graphie d'un même mot sont fréquentes et témoignent du désarroi des compositeurs devant la nouvelle orthographe. Voici quelques phénomènes qui sont systématiquement présents: les lettres majuscules sont proscrites, sauf en début de paragraphe, avec deux exceptions significatives: Dieu, Jesus-Christ46. contrairement à l'usage de l'époque, la graphie ai est substituée à oi dans les désinences verbales de l'imparfait et du conditionnel: -ait, -aient. la graphie ai est aussi substituée oi dans les mots suivants: connaissance, connaître, disparaître, faible, paraître; anglais, français, polonais; mais l'ancienne graphie subsiste dans monoie (ou: monnoie). Ces graphies ne furent généralement admises qu'au début du XIXe siècle et n'entrèrent dans le Dictionnaire de l'Académie qu'en 1835. contrairement à l'usage de l'époque, le yod intervocalique est systématiquement noté i, quelle qu'en soit l'origine: citoien, croiable, croiait, croiant, déploiaient, effroiable, emploier, envoier, foudroier, grand-doien, impitoiable, incroiable, moien, moiennant, noier, prévoiance, roial, roiaume, soudoier, voiage, voions; défraiées, effraiante, effraier, paier; écuier, fuiant, fuiards, guienne. contrairement à l'usage de l'époque, l'accent grave figure dans les infinitifs des verbes en -er devant voyelle: se liguèr avec; attaquèr au fond de; remédièr entiérement; secouèr un joug; de créèr & de donner des; se donnèr à, etc. contrairement à l'usage de l'époque, l'accent aigu est employé dans e + x + voyelle: aléxandre, fléxibles, éxact, éxamen, éxemple, éxemt, éxécuter, éxil, éxorbitant, infléxible, méxique. Nous savons que Jean-Louis Wagnière, le dernier secrétaire de Voltaire, fera sienne cette graphie, surtout au début des mots. l'emploi du tréma est généralisé dans les combinaisons uë, oë, eüi: cordouë, duël, écroüelles, lieuë, mantouë, recruë, rouë, ruë, statuë; coëffé, poëme, poësie, poëte, poëtique, deüil, fauteüil; dans la forme féminine des adjectifs et participes passés: combattuës, corrompuë, dissoluë, inconnuë, etc.; et dans les formes verbales: concluë, constituë, substituë, etc. on remarque encore l'emploi généralisé: savant, savoir, sait (les formes anciennes sçavant, sçavoir, sçait n'y figurent pas). D'autres phénomènes sont plus difficiles à cerner, un mot spécifique ne figurant qu'une ou deux fois, ou les compositeurs et les correcteurs ayant visiblement eu de la peine à appliquer les nouvelles règles. Nous indiquons néanmoins ci-dessous des traits marquants, tout en laissant au lecteur le soin de les systématiser plus en détail. Une étude basée sur la bibliographie matérielle (que nous n'avons pas entreprise) pourrait probablement distinguer les habitudes des différents compositeurs.
Voyelles Les mots suivants comportent un i au lieu du y actuel: cinique, cluni, fleuri (mais on trouve aussi fleury), marli, olimpe, mistére (on trouve aussi mystére), piramide, pirénées, pirrhonien, polieucte, prosélites, stile, riswick, torci, transilvanie. L'usage de l'époque était variable. Notons une des innovations que Voltaire a cherché à introduire, mais qui a disparu depuis: européan. Dans l'emploi des voyelles nasales, on constate des hésitations. Si le texte porte toujours audiance, on trouve vangeance (11 cas) et vengeance (6), vanger (14) et venger (3), aventure (10) et avanture (3), etc. On écrit: enyvré, œconomie, œuil
Consonnes Suivant en cela la règle générale de l'époque, la consonne p est absente dans les mots: contre-tems, longtems, printems, tems. Il en va de même pour la consonne t dans les finales en -ans et -ens: circulans, combattans, concertans, contens, désistemens, expédiens, éclatans, indigens, prédicans, savans, etc. Le p est absent dans: domter (mais: indomptable), éxemt, promt, promtitude, promtement. Il y a un effort net de systématisation pour le redoublement ou non-redoublement des consonnes. Il se heurte cependant aux habitudes des compositeurs et les variations sont légion. Voici la règle générale: 1) alegresse, carosse, colier, courier, déveloper, échaper, fanfaronade, flote, fraper, instalait, monoie. 2) aggrandir, appaiser, complette, jetter, condanner/condannation, danner, appeler, jetter, rappeller, secrette, secrettement, solennelle, solennellement, solennité. Les hésitations sont grandes: si renouveler et ses dérivés l'emportent (50) sur renouveller, ce dernier est quand même d'un usage fréquent (30); alarme (39) allarme (23); apartement (20) appartement (11); fallait (44) et fallut (20), mais aussi falait (18) et falut (13). On constate une grande hésitation dans l'emploi du z/s entre deux consonnes: si hazard, hazarder sont la règle, suivant en cela l'emploi généralisé de l'époque, cizelure se rencontre avec ciselure, suzerain avec suserain, asile avec azile, magasin avec magazin. On écrit: ausquels, ausquelles; autentique; licentiées, prétieuse; échafaut (on trouve aussi échafaud); quarrés; si pluspart est la règle (25), on trouve aussi plûpart (6), de même plustôt (34) et plûtôt (4).
Accent aigu L'accent aigu est d'un usage fréquent qui reflète souvent celui de l'époque, mais qui introduit aussi quelques innovations. De nouveau, nous observons des hésitations. Il figure ainsi au lieu du grave d'aujourd'hui dans qui se terminent en: -éce, -éde, -ége, -éle, -éme, -éne, -ére, -érent, -ése, -éte, -éve, -évre; à côté de guéres (16), on trouve cependant plus souvent guères (30), plus courant à l'époque; gréce et grèce coexistent. Il se trouve dans les mots: déréglement, funébre, intrinséque, léze-majesté, nimégue, régne, siécle. Il figure au lieu du circonflexe d'aujourd'hui dans: vétemens, déméler, empécher, évéchez, géné, génante, méler (aussi mêler), précher; extrême (12) cohabitent avec extréme (6), extrémement (3), extrémité (10). Il figure en outre dans: archévêque, brévet, dégrez, fiéf; on trouve chéf d'œuvre (6) et chef d'œuvre (13). Les mots suivants n'ont pas d'accent: leger, secretaire (mais on trouve aussi sécretaire).
Accent grave Outre le cas mentionné ci-dessus, l'accent grave se trouve dans les mots suivants, contrairement à l'usage de l'époque et à l'usage actuel: chèr, tièrs, esthèr, mèr, fèr, fièr, vèrs, luthèr, prospèr; hivèr (8), mais plus couramment hiver (20); mètz. On le trouve dans: après, congrès, dès, excès, exprès, progrès, procès, près, succès. Il manque dans: déja.
Accent circonflexe Les hésitations sont fréquentes, mais les mots suivants portent en général l'accent circonflexe: aîle, chûte, gravûre, vîte; accoûtumer, soûtenir, toûjours; aûtriche, aûtrichien. On trouve flâmes (4) et flammes (3), connétable (8) et connêtable (3). L'accent est parfois présent dans les participes passés: dû, pû, vû. L'accent est absent dans: ame, disgrace, épitre, grace, théatre (mais aussi théâtre). Si connaît/connaître est la règle, il se glisse quelques cas de connait/connaitre. Divers On écrit: loix; dégrez, évéchez, duchez, clez; joind, peind, plaind. Notes 1. «Il y a dix ans que le sieur de Vol. amasse de tous côtés des mémoires pour écrire l'histoire du siècle de Louis XIV, de ce siècle fécond en tant de grands hommes, et qui doit servir d'exemple à la postérité», écrit-il dans le Mémoire du sieur Voltaire, en date du 6 février 1739 (Moland, t. XXIII, p. 29; OC, t. XXA, 2003, p. 90). 2. L'histoire de la publication de l'Histoire de Charles XII est complexe; voir l'édition procurée par Gunnar von Proschwitz, OC, t. IV, 1996, et plus particulièrement la section «Éditions», établie par Andrew Brown et Ulla Kölving, p. 85 et suiv. 3. [13 May 1732], à Nicolas-Claude Thieriot (D488). Voir aussi sa lettre à Jean-Baptiste-Nicolas Formont vers le 12 septembre 1732, D526. 4. «J'ay donc achevé Adelaïde; je refais Eriphile et j'assemble des matériaux pour ma grande histoire du siècle de Louis 14» (à Thieriot, vers le 1er avril 1733; D584). 5. En juin 1732; voir D494, D498. 6. 25 octobre 1733, D669; 2 avril 1734, D716. 7. Il se propose d'écrire l'histoire des grands hommes, non celle des héros: «Vous savez que chez moi les grands hommes vont les premiers, et les héros les derniers. J'apelle grands hommes tous ceux qui ont excellé dans l'utile ou dans l'agréable. Les saccageurs de provinces ne sont que héros» (à Thieriot, [vers le 15 juillet 1735], D893). Cf. lettres à Formont, 13 février 1735 (D844), à Caumont, 24 août 1735 (D905), à un inconnu, 10 décembre 1738 (D1683) 8. Par exemple Andrew Michael Ramsay, Histoire du vicomte de Turenne (Paris, 1735), à Thieriot, 12 juin 1737, D875. Cf. D836. 9. À Prault, 28 juin 1738, D1535; à Thieriot, il demande «de bons mémoires sur le commerce», le 24 septembre 1735, D918; à Moussinot, 6 juillet 1737, D1349. 10. Les 8, 23 et 25 et 30 mai 1735. À d'Olivet, 30 novembre 1735, D950; à Thieriot, vers juin 1737, D879. 11. Jean Lévesque de Burigny, 19 octobre 1738, D1630, vers le 1er janvier 1739 (D1732); Jean-Baptiste Dubos, 30 octobre 1738 (D1642), réponse du 3 décembre (D1672). 12. À Caumont, 19 avril 1735 (D865), 24 août 1735 (D905); à d'Olivet, [vers le 30 Juin 1735] (D887), 24 août 1735 (D906), 12 février 1736 (D1012); à Thieriot, vers le 15 août 1735 (D899); à un correspondant anonyme, 9 janvier [1739] (D1756). 13. 15 novembre 1735, D942. 14. En présence d'Algarotti, en novembre 1735 (D935). Peut-être aussi à Du Resnel (octobre 1737, D1383) et Helvétius (août 1738, D1570). 15. «Netteté, pressision, reflection courte, pleine de sens, je n'ai jamais rien vu de si beau. Il y a un abrégé de la Fronde, qui est divin». Elle ajoute qu'Émilie Du Châtelet la tient sous clé et ne souhaite pas qu'il l'achève, invoquant le peu de plaisir qu'on a de travailler à un ouvrage qu'on ne saurait faire imprimer (à Devaux, 9 décembre 1738; Correspondance, t. I, p. 206-207). 16. À Thieriot, 6 février 1736, D1003; à Frédéric, vers le 30 juillet 1737, D1359. 17. 9 novembre 1738, D1649. 18. À d'Argental, 26 janvier 1739, D1820. 19. D1834; D1952; 2 avril 1739, D1962. 20. À d'Argental, 14 [février 1739], D1877. 21. À d'Argental, 27 [février 1739], D1910. 22. À d'Argental, vers le 20 avril 1739, D1989. 23. Voltaire à Prault, 26 mars 1739, D1956; Voltaire à Du Sauzet, décembre 1738, D1692; Du Sauzet à Voltaire, 4 juin 1739, D2025. Il est difficile de connaître la ou les propositions exactes faites à Du Sauzet, plusieurs lettres échangées entre les deux hommes n'ayant pas été retrouvées. 24. Mme Du Châtelet à d'Argental, 20 avril 1739 (D1987), 7 mai 1739 (D2006), 1er juin 1739 (D2022). Cf. Mme de Graffigny, 28 juillet 1739, Correspondance, t. II, p. 79. 25. À Berger, 28 juin 1739, D2038. 26. À Prault, 21 juillet 1739, D2049. 27. 4 juin 1739, D2025. 28. Ils s'intitulait alors Essai sur le siècle de Louis XIV (l'actuel «Chapitre premier») et «Chapitre premier» (l'actuel «Chapitre second»). 29. Arrêt du Conseil d'État du roi qui ordonne la suppression de feuilles imprimées sous le titre de Recueil de pièces fugitives en prose et en vers, Paris, 1739. 30. Mme de Graffigny, 28 novembre et 1er décembre 1739, Correspondance, t. II, p. 253, 259. 31. D2115. 32. Une comparaison entre les textes des éditions Du Sauzet et Prault montre en effet qu'il y a un certain nombre de variantes. 33. Voltaire à Prault, 19 décembre 1739 (D2410, lettre mal datée par Besterman). 34. D2135 et D2137. 35. À Frédéric, 1er juin 1741, D2493. 36. Au marquis d'Argenson, 17 août 1745, D3191; il commence la collecte d'anecdotes et de matériaux (D3218, D3231, etc.). 37. Ils s'intitulaient alors «Affaires politiques», chapitres I-IV. Signalons que le chapitre IV est beaucoup plus court que le chapitre VI actuel; cf. le chapitre V de la première édition. 38. Voltaire à Nicolas-René Berryer de Ravenoville, 13 juin 1748 (D3669). 39. Les chapitres sont alors numérotés de I à V, les chapitres I et II étant fondus en un, tout comme dans la première édition du Siècle de Louis XIV. 40. Le 13 février 1749, Frédéric s'était plaint: «Je recevrai volontiers les fragments des campagnes de Louis XV, mais je verrai avec plus de satisfaction la fin du Siècle de Louis XIV. Vous n'achevez rien» (D3866). 41. 30 mars [1751], D4430. 42. 29 décembre 1751, D4632. 43. Voir D4632. 44. Voir par exemple Ulla Kölving & Andrew Brown, «Deux lettres inédites de Hénault à Voltaire sur Le Siècle de Louis XIV», Cahiers Voltaire 1, p. 83-103. 45. Voir Andrew Brown, «Une version perdue du Siècle de Louis XIV», Cahiers Voltaire 1, p. 67-73. 46. C'est à tort que Jacques Tournoux signale que le nom du héros, «Louis», porte toujours la majuscule: il a dû se servir non pas de l'édition originale, mais d'une contrefaçon, d'où d'autres différences avec notre texte (L'Orthographe de Voltaire, mémoire de maîtrise, dact., Université de Paris III, 1979, p. 37).
Tous droits réservés Le lecteur trouvera ici le texte de la première édition du Siècle de Louis XIV, dont Voltaire lui-même était, dans tous les sens du terme, l'éditeur. Le texte a été intégralement respecté, exception faite de quelques erreurs évidentes qui ont été corrigées. Nous donnons un bref aperçu de la composition de l'ouvrage jusqu'en 1751 sans entrer dans le détail des sources, suivi d'une présentation de l'orthographe de Voltaire telle qu'elle apparaît dans cette édition.
[M] indique la présence d'une date marginale dans l'édition de 1751. Ces dates marginales seront affichées dans la prochaine version de cette édition. Les numéros des pages de l'originale sont indiqués «[p. 123]». Dans le cas des pages préliminaires (non numérotées dans l'original), le numéro apparaît en italique. Les notes de Voltaire seront affichées dans la prochaine version de cette édition. Elles sont indiquées dans le texte par un appel numéroté. L'index («Table des principales matières») sera lié au texte du Siècle dans une prochaine version, tout comme la «Table des chapitres». Une prochaine version permettra d'effectuer des recherches dans le texte.
Quand parut à Berlin au mois de décembre 1751 la première édition du Siècle de Louis XIV, le public attendait l'ouvrage avec impatience, car il était notoire que Voltaire, après avoir chanté la gloire d'Henri IV et raconté l'épopée de Charles XII, préparait depuis longtemps un ouvrage sur Louis XIV et son siècle. Aussi l'ouvrage connut-il une large diffusion: il compte parmi les livres les mieux représentés dans les bibliothèques privées du XVIIIe siècle. D'après Voltaire lui-même, il commença à réunir la documentation pour son histoire de Louis XIV dès 1728-17291, à l'époque où il travaillait à l'Histoire de Charles XII, parue en 17312. Un timide début de la rédaction proprement dite se situe sans doute au début de 1732. En mai de la même année, il en parle dans sa correspondance comme d'un ouvrage déjà en chantier et dans des termes qui indiquent que ses amis étaient parfaitement au courant: «J hope to employ such a studious leisure with Eriphile, the english letters, and the age of Lewis the 14th3.» Il continue activement la collecte de matériaux pour ce projet qui, en avril 1733, est devenu sa «grande histoire4». Mais d'autres occupations sont intervenues entretemps: il se consacre avec enthousiasme à Zaïre, qui l'occupe jour et nuit à un certain moment5. Comme toujours, il travaille à plusieurs œuvres à la fois: Adélaïde Du Guesclin, Le Temple du Goût, par exemple. Il semble hésiter devant l'ampleur de la tâche. Peut-être se rend-il compte aussi de la difficulté de composer l'histoire d'une époque à peine révolue, dont les descendants proches des protagonistes sont encore en vie, sans encourir l'ire des autorités déjà aux aguets. «Pour cette Histoire du siècle de Louis XIV, c'est une entreprise qui sera l'occupation et la consolation de ma vieillesse; il faudra peut-être dix ans pour la faire», écrit-il au marquis de Caumont. Et quelques mois plus tard: «Je suis toujours dans la résolution de faire quelque chose sur ce beau siècle de Louis XIV; mais j'ai bien peur de n'en avoir ni le loisir, ni la santé, ni le talent. J'assemble toujours quelques matériaux en attendant que je puisse commencer cet ouvrage, qui me paraît également long et dangereux à achever6.» C'est finalement la diffusion à Paris sans autorisation des Lettres philosophiques, leur condamnation par le Parlement et le mandat d'arrestation lancé contre l'auteur anonyme qui changeront la donne. En compagnie d'Émilie Du Châtelet, avec qui il avait renoué connaissance en mai 1733, il passera dix ans à Cirey, aux confins de la Lorraine, menant une vie studieuse, certes vouée aux sciences, mais où sa future histoire du siècle de Louis XIV occupe également une place importante. Nous pouvons suivre à travers les nombreuses lettres échangées depuis Cirey avec ses amis et connaissances cette activité continue: il développe sa réflexion sur l'histoire et la façon de l'écrire7; il se documente, lit tout ce qui lui tombe sous la main8, commande des livres, aux libraires, à ses amis9; il en emprunte à la Bibliothèque du roi, à ses amis10; il entre en contact suivi avec des spécialistes comme Jean Lévesque de Burigny et l'abbé Dubos11; il sollicite des «particularités», des anecdotes à tout venant12. C'est une activité qui le séduit. «J'ay le [sic] plaisir même à préparer les instruments dont je dois me servir. La manière dont je recueille mes matériaux est un amusement agréable. Il n'y a point de livres où je ne trouve des traits dont je peux faire usage. [...] Je me suis établi peintre du siècle de Louis 14, et tout ce qui se présente à moy est regardé dans cette vue», écrit-il à l'abbé d'Olivet, le 24 août 1735. Et à son ami Formont: «Je vais grand train dans le Siècle de Louis XIV; je saute à pieds joints sur toutes les minuties que je trouve en mon chemin: c'est un taillis fourré où je me fais des grandes routes13». Il fait des lectures de son œuvre à Cirey14. Malgré l'opposition de Mme Du Châtelet, il prête son manuscrit à Mme Graffigny qui en raffole15. Il envoie des copies manuscrites à ses amis parisiens, mais surtout au jeune prince royal de Prusse avec lequel il correspond depuis août 1736 et qui s'intéresse vivement à son projet16. Son travail avance et, de la lettre qu'il adresse à Jean-Baptiste Dubos, le 30 octobre 1738, il ressort que le Siècle consistait alors en une trentaine de chapitres: un chapitre pour la vie privée de Louis XIV deux chapitres pour les grands changements faits dans la police du royaume, le commerce, les finances deux chapitres pour le gouvernement ecclésiastique (révocation de l'édit de Nantes, la régale) cinq ou six pour l'histoire des arts Émilie Du Châtelet n'est pas seule à s'inquiéter des suites d'une éventuelle publication. Tout en approuvant son ouvrage, on lui recommande la prudence, tel un Frédéric de Prusse qui lui écrit: «L'Histoire De Louis 14 que je Viens de relire, se resent bien de Vostre séjour de Cirey, c'est un ouvrage excelent, et dont L'Univers n'a point encore d'exemple. Je Vous demande instemment de m'en procurer La Continuation, mais je vous conseille en ami de ne point Le Livrer à L'impression. La postérité de tout ceux dont Vous dites La Vérité se Ligueroit Contre Vous. Les uns trouveroient que Vous en avés trop dit, les autres que Vous n'avés pas asséz exagéré Les Vertus de leurs Ancêtres; et Les prêtres, cette Race implacable, ne Vous pardoneroit point les petits traits que Vous leurs Lancéz. J'ause même dire que cette Histoire écrite avec vérité et Dans un esprit philosophique ne doit point sortir de la sphère des philosophes17». Échaudé par l'aventure du Mondain et le refus des autorités d'accorder une permission aux Éléments de la philosophe de Newton, Voltaire décide pourtant en janvier 1739 de lancer un ballon d'essai18. Il choisit les deux premiers chapitres. Mais d'abord il envoie le manuscrit à lire à ses fidèles amis parisiens pour s'assurer que rien ne s'opposera à la publication. Le 29 janvier, il envoie «le commencement de l'histoire du siècle de Louis i4» à l'abbé d'Olivet, tout en le priant de ne pas en prendre copie. Il lui demande toutefois de le communiquer «à vos amis et surtout à mr l'abbé Dubos». Le 24 mars, il le fait parvenir au marquis d'Argenson. Au comte d'Argental, il écrit: «Faites lire à vos amis l'essay sur Louis i4, je voudrois savoir si on le goûtera, s'il paraîtra sage»19. À Paris, on se consulte, on suggère des changements pour éviter de heurter de front les autorités religieuses et civiles. Voltaire acquiesce: «Ne vous effrayez point de l'article de Rome, on le corrigera, il sera très décent sans rien perdre de sa vérité»20. Voltaire s'impatiente: «Mais mon cher amy qu'y a t'il donc encor dans ce morceau de Rome, et dans le commencement de cet essay, qui ne soit plus mesuré mille fois que fra Paolo, que le traité du droit eclésiatique, que Mezeray, que tant d'autres écrits? S'il y a encor quelques amputations à faire, vous n'avez qu'à dire, ce morceau là a déjà été bien tailladé et le sera encore quand vous voudrez»21. Et encore: «On me mande que ces deux chapitres sur le siècle de Louis 14 pouroient me faire des affaires. [...] Quoy, un monument que j'ay cru élever à la gloire de la France ne serviroit qu'à m'écrazer22!». Entretemps Voltaire est entré en pourparlers avec deux libraires-éditeurs, Laurent-François Prault à Paris, auquel il offre de donner incessamment un petit recueil contenant divers textes dont le commencement de l'histoire de Louis XIV, et Henri Du Sauzet à Amsterdam qui se voit d'abord proposer l'ouvrage entier, puis une publication séparée d'un certain nombre de chapitres23. À partir du mois de mai 1739, plusieurs copies manuscrites circulent dans la capitale et Mme Du Châtelet craint une publication prématurée qui risquerait d'envenimer encore plus la situation, déjà volatile, provoquée par la publication de La Voltairomanie par Desfontaines en décembre 173824. En juin 1739, le bruit se répandit que Voltaire avait envoyé à Prault son Siècle de Louis XIV25. De Bruxelles, où il se trouvait alors, Voltaire exhorte Prault à la prudence26. Ce dernier semble avoir avancé à petits pas. N'empêche, les autorités étaient de toute évidence au courant de l'impression du petit recueil qui renfermait le texte du Siècle, sans qu'aucune permission eut été demandée. L'attitude des autorités ressort clairement d'une lettre écrite par le marquis d'Argenson à Du Sauzet et dont ce dernier envoie copie à Voltaire: «quelque sermon que vous fassiez à l'Auteur pour qu'il accommode son livre au goût de notre cour, vous ne parviendrez pas à lui faire retrancher de certaines hardiesses belles & élevées, qui s'opposeroient toujours aux permissions formelles & au sceau du privilège dans ce pays-ci, où on devient scrupuleux de plus en plus27». Les deux premiers chapitres du futur Siècle de Louis XIV parurent, à l'automne 1739, chez Du Sauzet à Amsterdam, sous le titre d'Essai sur l'histoire du siècle de Louis XIV28. Parallèlement Prault tenait prête son édition du même texte à paraître dans le Recueil de pièces fugitives en prose et en vers, avec la date de 1740. Le 24 novembre, le Recueil fut saisi par les autorités, qui en ordonna la suppression, Prault l'ayant entreposé dans un lieu non autorisé, chez un joaillier du Pont-au-Change. La boutique de Prault fut fermé pour trois mois et ce dernier fut condamné à payer 500 livres d'amende29. Tous les témoignages concordent: les autorités ne décolèrent pas. Le ministre Maurepas, qui avait prid envers le cardinal de Fleury l'engagement personnel que cette histoire ne paraîtrait pas sans son aveu, est particulièrement indigné30. Voltaire s'absente de la capitale et prend la route de Bruxelles, où il arrive le 5 décembre. Le 1er décembre, il écrit, de Réthel, au lieutenant général de police Hérault: «J'ay apris en chemin qu'on avoit saisi un petit receuil que le sr Praut fils, libraire, faisoit de quelques uns de mes ouvrages. Je puis vous assurer monsieur qu'il n'y a aucune des pièces de ce receuil qui n'ait été imprimée plusieurs fois [...]. À L'égard d'une espèce d'introduction, ou de plan raisoné de l'histoire du siècle de Louis i4, il y a plusieurs mois que cela est publié dans les journaux étrangers [...] Je ne crois pas qu'on trouve dans cet essay rien qui ne soit d'un bon citoyen; et si par malheur il s'étoit glissé quelque chose qui pût déplaire, je suis prest de le corriger31». Prault lui écrit pour se plaindre de sa situation. Voltaire se justifie: «Je suis très étonné, et très fâché de ce que vous m'écrivez, qu'on dit que c'est ma faute si on vous a pris ce qui étoit dans vos magazins. En quoy ma faute? s'il vous plait? Je vous ay permis d'imprimer ce que vous avez recueilli de mes ouvrages; j'en ay même corrigé avec soin la copie que vous aviez32; uniquemt pour vous faire plaisir. J'ay dit à mr Heraut, j'ay écrit aux ministres, qu'il étoit très faux qu'on imprimast l'histoire du siècle de Louis 14. J'ay dit, j'ay écrit qu'il n'en paroissoit que le plan raisonné, le premier chapitre; et rien autre chose. On a été content; on a dit que puisqu'il n'y avoit que le plan qui parût dans le monde cet objet ne méritoit point l'attention trop sévère du ministère. On savait qu'il étoit imprimé en Hollande; on le trouvoit bon; et après cela on vous prend ce que l'on trouve bon qui paraisse en Hollande. Cela me paraît très cruel. Mais ce n'est nullement ma faute33». Ajoutons que Voltaire avait déjà pris des mesures pour aider Prault financièrement. Le 8 janvier 1740, il écrit de Bruxelles au marquis d'Argenson: «Le principal objet même de ce recueil étoit Le commencement du siècle de Louis i4, ouvrage d'un bon citoyen et d'un homme très modéré. J'ose dire que dans tout autre temps une pareille entreprise seroit encouragée par le gouvernement. [...] J'élevois un monument à la gloire de mon pays, et je suis écrasé sous les premières pierres que j'ay posées.» À Cideville, il écrit: «La main des sots et des bigots a aparemment voulu m'écraser sous cet édifice; mais ils n'y ont pas réussi, et l'ouvrage et moy nous subsisterons»34. N'empêche, Voltaire reste sagement absent de Paris et de France: il va à Bruxelles, La Haye, Berlin, Bruxelles de nouveau... À partir du début du mois de novembre 1741 il est de retour à Paris, puis à Cirey. Voltaire persiste: il continue à travailler à son histoire du Siècle de Louis XIV, encouragé par Frédéric, mais sans doute se rend-il compte de la difficulté de la faire publier. À partir de l'automne 1741, il met en chantier un nouvel ouvrage d'histoire, de plus vaste envergure, dans lequel viendra peut-être se fondre son histoire du siècle de Louis XIV35. C'est le futur Essai sur les mœurs et l'esprit des nations. Il est dorénavant difficile de distinguer ce qui, dans la correspondance, relève de l'un ou de l'autre. Ajoutons qu'à partir d'avril 1745, date où il est nommé historiographe de France, il forme tout naturellement le projet d'écrire une histoire des campagnes du roi36. En 1746 les quatre chapitres suivants37 parurent dans les Œuvres diverses de M. de Voltaire, publication dans laquelle le rôle de Voltaire reste assez obscur. S'agit-il du fruit d'une de ces nombreuses «indiscretions» dont a souffert le portefeuille de l'écrivain depuis ses premiers débuts? Quoi qu'il en soit, son ami Thieriot a dû jouer un rôle dans cette édition faite à Trévoux, dont Voltaire se plaignait volontiers38. En 1748, dans le tome II de l'édition des Œuvres de Voltaire, publiée à Dresde par Conrad Walther, paraissent avec l'Essai sur le siècle de Louis XIV de 1739 et les chapitres publiés en 174639 des Anecdotes de Louis XIV qui proviennent de l'énorme documentation rassemblée autour du grand roi, mais qui ne seront jamais intégrées de son vivant dans Le Siècle de Louis XIV. Émilie Du Châtelet meurt le 10 septembre 1749 et dix mois plus tard, en juillet 1750, Voltaire arrive à Potsdam et Berlin. Il est dès lors naturel qu'il se soit attache à achever auprès de Frédéric II un ouvrage que celui-ci a suivi de près et qu'il n'avait cessé de l'exhorter de terminer40. Dès 1751, de Potsdam, Voltaire propose à l'éditeur Georg Conrad Walther de Dresde la publication de la totalité de l'ouvrage, dont il essayait de faire venir de Paris le manuscrit primitif41. Par la suite il jugea politique de faire paraître le Siècle à Berlin, sous le patronage officieux de Frédéric II, et c'est dans cette ville que sera imprimée la première édition, par C. F. Henning, l'imprimeur du roi. Le nom de Voltaire ne figure pas sur la page de titre qui signale que l'ouvrage est «publié par M. de Francheville conseiller aulique de sa Majesté, & membre de l'académie roiale des sciences & belles lettres de Prusse». L'identité du véritable auteur n'était un secret pour personne, mais l'affichage du nom de Francheville, une connaissance de Berlin, qui s'était chargé de la correction des épreuves et avait servi d'intermédiaire avec l'imprimeur, permettait aux autorités françaises de fermer les yeux et évitait des poursuites à l'auteur. Voltaire s'en explique dans une lettre à Walther: «Mon nom n'est point à la tête de l'édition. On sait assez dans l'Europe que j'en suis l'auteur, mais je ne veux pas m'exposer à ce qu'on peut essuyer en France de désagréable, quand on dit la vérité42.» Cependant, Henning n'était pas davantage l'éditeur du Siècle de Louis XIV. Voltaire finança seul la fabrication de l'ouvrage, tiré à 3000 exemplaires. Il en garda une centaine pour «faire des présents»; 500 furent distribués en Angleterre par Dodsley pour le compte de Voltaire; et le gros de l'édition, 2400 exemplaires environ, fut cédé par Voltaire à son éditeur de Dresde, Georg Conrad Walther43. La préparation d'une nouvelle édition, revue et corrigée à la lumière des remarques envoyées à Voltaire par les historiens Hénault et Foncemagne, par les ducs de Richelieu et de Noailles et par d'autres44, était en chantier dès la publication de la première. D'un côté, Lambert travaillait à Paris sur une série d'impressions sous l'adresse de «Leypsick» ou «Leipsic», en se servant d'abord d'un exemplaire corrigé de la première édition envoyé par Voltaire à Mme Denis, ensuite de corrections fournies plus particulièrement à son intention par l'auteur. Son édition passa par plusieurs transformations et n'atteignit jamais, semble-t-il, un état que l'on pourrait considérer comme définitif. De l'autre côté du Rhin, Walther fit imprimer à Leipzig une édition dirigée par Voltaire et publiée à Dresde à la fin de 1752. En attendant la diffusion de ces nouvelles versions, l'édition imprimée à Berlin fournit le texte d'une douzaine d'autres éditions, en dépit des efforts de Voltaire pour limiter la diffusion en France de ce premier état du texte: deux éditions françaises dont une rouennaise sous la fausse adresse de Henning à Berlin; trois éditions françaises probablement lyonnaises sous la fausse adresse de Walther à Dresde; une édition d'Édimbourg; trois éditions sous l'adresse de Dodsley à Londres: une in-quarto, de Dodsley, et deux in-douze, dont au moins une véritablement publiée par Dodsley; une édition à La Haye, sous le titre de l'Histoire du siècle de Louis XIV et sous le nom de Gibert ou Neaulme; une édition de provenance incertaine, sous l'adresse de Gleiditsch à Leipzig. La publication du Siècle reprend en Allemagne à la fin de 1752, avec la parution de l'édition Walther déjà évoquée, qui porte la date de 1753. Celle annotée de façon hostile par La Beaumelle paraît en 1753, sous l'adresse de Knock & Eslinger à Francfort ou de Bouchard à Metz. Un éditeur français sort un supplément de 70 pages sous le titre d'Additions et corrections, qui relève les changements incorporés dans l'édition Lambert, tandis que Gilbert ajoute un troisième tome à son édition de 1752 pour présenter les commentaires de La Beaumelle et de Prosper Marchand. Trois nouvelles éditions du Siècle paraissent en France («Berlin»; «Dresde»; «Leypsic») et une en Angleterre sous l'adresse de Dodsley. Au moins seize autres éditions séparées seront publiées du vivant de Voltaire, dont seule celle faite à Genève par Cramer en 1768 fait autorité. L'histoire de l'évolution du texte se présente donc de la façon suivante:
Manuscrits Il n'existe aucun manuscrit complet du Siècle de Louis XIV. Quelques fragments d'un premier état du premier chapitre, qui se trouvent parmi les manuscrits de Voltaire conservés à Saint-Pétersbourg, ont été publiés par Fernand Caussy, dans Voltaire, Œuvres inédites, t. I, Mélanges historiques, Paris, H. Champion, 1914, p. 277 et suiv. Des autres esquisses, brouillons et mises au net, qui ont certainement existé en grand nombre, on avait perdu toute trace avant la récente découverte de deux pages d'une copie exécutée sous les yeux de Voltaire par un de ses secrétaires. Cette copie a été acquise par un marchand d'autographes parisien qui a cru bon de la détailler feuillet par feuillet45. Il existe par ailleurs quelques fragments tardifs, notamment des ajouts rédigés à Ferney pour les éditions publiées à Genève par Cramer. Une copie de trois chapitres du Siècle a été acquise par la Bibliothèque nationale de France en 2006. Elle est actuellement en cours de catalogage. L'orthographe de Voltaire dans la première édition du Siècle de Louis XIV Dans cette édition de Berlin, Voltaire cherche à mettre systématiquement en œuvre une réforme de l'orthographe, réforme dont d'ailleurs peu d'éléments survivront. Il nous a semblé intéressant de présenter un peu plus en détail cette réforme qu'on résume souvent trop hâtivement en se référant à un ou deux éléments seulement. Le but principal du réformateur était de chercher à rendre et noter la prononciation réelle du temps en simplifiant l'orthographe. «L'écriture est la peinture de la voix: plus elle est ressemblante, meilleure elle est», écrira-t-il vingt ans plus tard dans l'article «Orthographe» des Questions sur l'Encyclopédie. Avant d'énumérer les traits marquants de sa réforme l'utilisateur pourra lui-même faire des recherches plus poussées dans le texte , signalons d'abord que Voltaire et/ou ses protes et correcteurs n'ont pas su mettre en pratique la réforme avec toute la rigueur souhaitée. Les variations de graphie d'un même mot sont fréquentes et témoignent du désarroi des compositeurs devant la nouvelle orthographe. Voici quelques phénomènes qui sont systématiquement présents: les lettres majuscules sont proscrites, sauf en début de paragraphe, avec deux exceptions significatives: Dieu, Jesus-Christ46. contrairement à l'usage de l'époque, la graphie ai est substituée à oi dans les désinences verbales de l'imparfait et du conditionnel: -ait, -aient. la graphie ai est aussi substituée oi dans les mots suivants: connaissance, connaître, disparaître, faible, paraître; anglais, français, polonais; mais l'ancienne graphie subsiste dans monoie (ou: monnoie). Ces graphies ne furent généralement admises qu'au début du XIXe siècle et n'entrèrent dans le Dictionnaire de l'Académie qu'en 1835. contrairement à l'usage de l'époque, le yod intervocalique est systématiquement noté i, quelle qu'en soit l'origine: citoien, croiable, croiait, croiant, déploiaient, effroiable, emploier, envoier, foudroier, grand-doien, impitoiable, incroiable, moien, moiennant, noier, prévoiance, roial, roiaume, soudoier, voiage, voions; défraiées, effraiante, effraier, paier; écuier, fuiant, fuiards, guienne. contrairement à l'usage de l'époque, l'accent grave figure dans les infinitifs des verbes en -er devant voyelle: se liguèr avec; attaquèr au fond de; remédièr entiérement; secouèr un joug; de créèr & de donner des; se donnèr à, etc. contrairement à l'usage de l'époque, l'accent aigu est employé dans e + x + voyelle: aléxandre, fléxibles, éxact, éxamen, éxemple, éxemt, éxécuter, éxil, éxorbitant, infléxible, méxique. Nous savons que Jean-Louis Wagnière, le dernier secrétaire de Voltaire, fera sienne cette graphie, surtout au début des mots. l'emploi du tréma est généralisé dans les combinaisons uë, oë, eüi: cordouë, duël, écroüelles, lieuë, mantouë, recruë, rouë, ruë, statuë; coëffé, poëme, poësie, poëte, poëtique, deüil, fauteüil; dans la forme féminine des adjectifs et participes passés: combattuës, corrompuë, dissoluë, inconnuë, etc.; et dans les formes verbales: concluë, constituë, substituë, etc. on remarque encore l'emploi généralisé: savant, savoir, sait (les formes anciennes sçavant, sçavoir, sçait n'y figurent pas). D'autres phénomènes sont plus difficiles à cerner, un mot spécifique ne figurant qu'une ou deux fois, ou les compositeurs et les correcteurs ayant visiblement eu de la peine à appliquer les nouvelles règles. Nous indiquons néanmoins ci-dessous des traits marquants, tout en laissant au lecteur le soin de les systématiser plus en détail. Une étude basée sur la bibliographie matérielle (que nous n'avons pas entreprise) pourrait probablement distinguer les habitudes des différents compositeurs.
Voyelles Les mots suivants comportent un i au lieu du y actuel: cinique, cluni, fleuri (mais on trouve aussi fleury), marli, olimpe, mistére (on trouve aussi mystére), piramide, pirénées, pirrhonien, polieucte, prosélites, stile, riswick, torci, transilvanie. L'usage de l'époque était variable. Notons une des innovations que Voltaire a cherché à introduire, mais qui a disparu depuis: européan. Dans l'emploi des voyelles nasales, on constate des hésitations. Si le texte porte toujours audiance, on trouve vangeance (11 cas) et vengeance (6), vanger (14) et venger (3), aventure (10) et avanture (3), etc. On écrit: enyvré, œconomie, œuil
Consonnes Suivant en cela la règle générale de l'époque, la consonne p est absente dans les mots: contre-tems, longtems, printems, tems. Il en va de même pour la consonne t dans les finales en -ans et -ens: circulans, combattans, concertans, contens, désistemens, expédiens, éclatans, indigens, prédicans, savans, etc. Le p est absent dans: domter (mais: indomptable), éxemt, promt, promtitude, promtement. Il y a un effort net de systématisation pour le redoublement ou non-redoublement des consonnes. Il se heurte cependant aux habitudes des compositeurs et les variations sont légion. Voici la règle générale: 1) alegresse, carosse, colier, courier, déveloper, échaper, fanfaronade, flote, fraper, instalait, monoie. 2) aggrandir, appaiser, complette, jetter, condanner/condannation, danner, appeler, jetter, rappeller, secrette, secrettement, solennelle, solennellement, solennité. Les hésitations sont grandes: si renouveler et ses dérivés l'emportent (50) sur renouveller, ce dernier est quand même d'un usage fréquent (30); alarme (39) allarme (23); apartement (20) appartement (11); fallait (44) et fallut (20), mais aussi falait (18) et falut (13). On constate une grande hésitation dans l'emploi du z/s entre deux consonnes: si hazard, hazarder sont la règle, suivant en cela l'emploi généralisé de l'époque, cizelure se rencontre avec ciselure, suzerain avec suserain, asile avec azile, magasin avec magazin. On écrit: ausquels, ausquelles; autentique; licentiées, prétieuse; échafaut (on trouve aussi échafaud); quarrés; si pluspart est la règle (25), on trouve aussi plûpart (6), de même plustôt (34) et plûtôt (4).
Accent aigu L'accent aigu est d'un usage fréquent qui reflète souvent celui de l'époque, mais qui introduit aussi quelques innovations. De nouveau, nous observons des hésitations. Il figure ainsi au lieu du grave d'aujourd'hui dans qui se terminent en: -éce, -éde, -ége, -éle, -éme, -éne, -ére, -érent, -ése, -éte, -éve, -évre; à côté de guéres (16), on trouve cependant plus souvent guères (30), plus courant à l'époque; gréce et grèce coexistent. Il se trouve dans les mots: déréglement, funébre, intrinséque, léze-majesté, nimégue, régne, siécle. Il figure au lieu du circonflexe d'aujourd'hui dans: vétemens, déméler, empécher, évéchez, géné, génante, méler (aussi mêler), précher; extrême (12) cohabitent avec extréme (6), extrémement (3), extrémité (10). Il figure en outre dans: archévêque, brévet, dégrez, fiéf; on trouve chéf d'œuvre (6) et chef d'œuvre (13). Les mots suivants n'ont pas d'accent: leger, secretaire (mais on trouve aussi sécretaire).
Accent grave Outre le cas mentionné ci-dessus, l'accent grave se trouve dans les mots suivants, contrairement à l'usage de l'époque et à l'usage actuel: chèr, tièrs, esthèr, mèr, fèr, fièr, vèrs, luthèr, prospèr; hivèr (8), mais plus couramment hiver (20); mètz. On le trouve dans: après, congrès, dès, excès, exprès, progrès, procès, près, succès. Il manque dans: déja.
Accent circonflexe Les hésitations sont fréquentes, mais les mots suivants portent en général l'accent circonflexe: aîle, chûte, gravûre, vîte; accoûtumer, soûtenir, toûjours; aûtriche, aûtrichien. On trouve flâmes (4) et flammes (3), connétable (8) et connêtable (3). L'accent est parfois présent dans les participes passés: dû, pû, vû. L'accent est absent dans: ame, disgrace, épitre, grace, théatre (mais aussi théâtre). Si connaît/connaître est la règle, il se glisse quelques cas de connait/connaitre. Divers On écrit: loix; dégrez, évéchez, duchez, clez; joind, peind, plaind. Notes 1. «Il y a dix ans que le sieur de Vol. amasse de tous côtés des mémoires pour écrire l'histoire du siècle de Louis XIV, de ce siècle fécond en tant de grands hommes, et qui doit servir d'exemple à la postérité», écrit-il dans le Mémoire du sieur Voltaire, en date du 6 février 1739 (Moland, t. XXIII, p. 29; OC, t. XXA, 2003, p. 90). 2. L'histoire de la publication de l'Histoire de Charles XII est complexe; voir l'édition procurée par Gunnar von Proschwitz, OC, t. IV, 1996, et plus particulièrement la section «Éditions», établie par Andrew Brown et Ulla Kölving, p. 85 et suiv. 3. [13 May 1732], à Nicolas-Claude Thieriot (D488). Voir aussi sa lettre à Jean-Baptiste-Nicolas Formont vers le 12 septembre 1732, D526. 4. «J'ay donc achevé Adelaïde; je refais Eriphile et j'assemble des matériaux pour ma grande histoire du siècle de Louis 14» (à Thieriot, vers le 1er avril 1733; D584). 5. En juin 1732; voir D494, D498. 6. 25 octobre 1733, D669; 2 avril 1734, D716. 7. Il se propose d'écrire l'histoire des grands hommes, non celle des héros: «Vous savez que chez moi les grands hommes vont les premiers, et les héros les derniers. J'apelle grands hommes tous ceux qui ont excellé dans l'utile ou dans l'agréable. Les saccageurs de provinces ne sont que héros» (à Thieriot, [vers le 15 juillet 1735], D893). Cf. lettres à Formont, 13 février 1735 (D844), à Caumont, 24 août 1735 (D905), à un inconnu, 10 décembre 1738 (D1683) 8. Par exemple Andrew Michael Ramsay, Histoire du vicomte de Turenne (Paris, 1735), à Thieriot, 12 juin 1737, D875. Cf. D836. 9. À Prault, 28 juin 1738, D1535; à Thieriot, il demande «de bons mémoires sur le commerce», le 24 septembre 1735, D918; à Moussinot, 6 juillet 1737, D1349. 10. Les 8, 23 et 25 et 30 mai 1735. À d'Olivet, 30 novembre 1735, D950; à Thieriot, vers juin 1737, D879. 11. Jean Lévesque de Burigny, 19 octobre 1738, D1630, vers le 1er janvier 1739 (D1732); Jean-Baptiste Dubos, 30 octobre 1738 (D1642), réponse du 3 décembre (D1672). 12. À Caumont, 19 avril 1735 (D865), 24 août 1735 (D905); à d'Olivet, [vers le 30 Juin 1735] (D887), 24 août 1735 (D906), 12 février 1736 (D1012); à Thieriot, vers le 15 août 1735 (D899); à un correspondant anonyme, 9 janvier [1739] (D1756). 13. 15 novembre 1735, D942. 14. En présence d'Algarotti, en novembre 1735 (D935). Peut-être aussi à Du Resnel (octobre 1737, D1383) et Helvétius (août 1738, D1570). 15. «Netteté, pressision, reflection courte, pleine de sens, je n'ai jamais rien vu de si beau. Il y a un abrégé de la Fronde, qui est divin». Elle ajoute qu'Émilie Du Châtelet la tient sous clé et ne souhaite pas qu'il l'achève, invoquant le peu de plaisir qu'on a de travailler à un ouvrage qu'on ne saurait faire imprimer (à Devaux, 9 décembre 1738; Correspondance, t. I, p. 206-207). 16. À Thieriot, 6 février 1736, D1003; à Frédéric, vers le 30 juillet 1737, D1359. 17. 9 novembre 1738, D1649. 18. À d'Argental, 26 janvier 1739, D1820. 19. D1834; D1952; 2 avril 1739, D1962. 20. À d'Argental, 14 [février 1739], D1877. 21. À d'Argental, 27 [février 1739], D1910. 22. À d'Argental, vers le 20 avril 1739, D1989. 23. Voltaire à Prault, 26 mars 1739, D1956; Voltaire à Du Sauzet, décembre 1738, D1692; Du Sauzet à Voltaire, 4 juin 1739, D2025. Il est difficile de connaître la ou les propositions exactes faites à Du Sauzet, plusieurs lettres échangées entre les deux hommes n'ayant pas été retrouvées. 24. Mme Du Châtelet à d'Argental, 20 avril 1739 (D1987), 7 mai 1739 (D2006), 1er juin 1739 (D2022). Cf. Mme de Graffigny, 28 juillet 1739, Correspondance, t. II, p. 79. 25. À Berger, 28 juin 1739, D2038. 26. À Prault, 21 juillet 1739, D2049. 27. 4 juin 1739, D2025. 28. Ils s'intitulait alors Essai sur le siècle de Louis XIV (l'actuel «Chapitre premier») et «Chapitre premier» (l'actuel «Chapitre second»). 29. Arrêt du Conseil d'État du roi qui ordonne la suppression de feuilles imprimées sous le titre de Recueil de pièces fugitives en prose et en vers, Paris, 1739. 30. Mme de Graffigny, 28 novembre et 1er décembre 1739, Correspondance, t. II, p. 253, 259. 31. D2115. 32. Une comparaison entre les textes des éditions Du Sauzet et Prault montre en effet qu'il y a un certain nombre de variantes. 33. Voltaire à Prault, 19 décembre 1739 (D2410, lettre mal datée par Besterman). 34. D2135 et D2137. 35. À Frédéric, 1er juin 1741, D2493. 36. Au marquis d'Argenson, 17 août 1745, D3191; il commence la collecte d'anecdotes et de matériaux (D3218, D3231, etc.). 37. Ils s'intitulaient alors «Affaires politiques», chapitres I-IV. Signalons que le chapitre IV est beaucoup plus court que le chapitre VI actuel; cf. le chapitre V de la première édition. 38. Voltaire à Nicolas-René Berryer de Ravenoville, 13 juin 1748 (D3669). 39. Les chapitres sont alors numérotés de I à V, les chapitres I et II étant fondus en un, tout comme dans la première édition du Siècle de Louis XIV. 40. Le 13 février 1749, Frédéric s'était plaint: «Je recevrai volontiers les fragments des campagnes de Louis XV, mais je verrai avec plus de satisfaction la fin du Siècle de Louis XIV. Vous n'achevez rien» (D3866). 41. 30 mars [1751], D4430. 42. 29 décembre 1751, D4632. 43. Voir D4632. 44. Voir par exemple Ulla Kölving & Andrew Brown, «Deux lettres inédites de Hénault à Voltaire sur Le Siècle de Louis XIV», Cahiers Voltaire 1, p. 83-103. 45. Voir Andrew Brown, «Une version perdue du Siècle de Louis XIV», Cahiers Voltaire 1, p. 67-73. 46. C'est à tort que Jacques Tournoux signale que le nom du héros, «Louis», porte toujours la majuscule: il a dû se servir non pas de l'édition originale, mais d'une contrefaçon, d'où d'autres différences avec notre texte (L'Orthographe de Voltaire, mémoire de maîtrise, dact., Université de Paris III, 1979, p. 37).
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