ISSN 2271-1813 ... |
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Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, l'édition de 1751
[p. 42] CHAPITRE VINGT-CINQUIÉME. Suite des particularités & anecdotes. A la gloire, aux plaisirs, à la grandeur, à la galanterie, qui occupaient les premiéres années de ce gouvernement, louis XIV voulut joindre les douceurs de l'amitié; mais il est difficile à un roi, de faire des choix heureux. de deux hommes ausquels il marqua le plus de confiance, l'un le trahit indignement, l'autre abusa de sa faveur. le premier était le marquis de vardes, confident du goût du roi pour madame de la valiére. on sait que des intrigues de cour le firent cherchèr à [p. 43] perdre madame de la valiére, qui par sa place devait avoir des jalouses, & qui par son caractére ne devait point avoir d'ennemis. on sait qu'il osa, de concert avec le comte de guiche & la comtesse de soissons, écrire à la reine régnante une lettre contrefaite, au nom du roi d'espagne son pére. cette lettre apprenait à la reine ce qu'elle devait ignorer, & ce qui ne pouvait que troubler la paix de la maison roiale. il ajoûta à cette perfidie la méchanceté de faire tomber les soupçons sur les plus honnêtes gens de la cour, le duc & la duchesse de navailles. ces deux personnes innocentes furent sacrifiées au ressentiment du monarque trompé. l'atrocité de la conduite de vardes fut trop tard connuë; & vardes, tout criminel qu'il était, ne fut guères plus puni que les innocens qu'il avait accusés, & qui furent obligés de se défaire de leurs charges, & de quitter la cour. L'autre favori était le comte depuis duc de lausun, tantôt rival du roi dans ses amours passagers, tantôt son confident, & si connu depuis par ce mariage qu'il voulut faire trop publiquement avec mademoiselle, & qu'il fit ensuite secrettement malgré sa parole donnée à son maître. Le roi, trompé dans ses choix, dit [p. 44] qu'il avait cherché des amis, & qu'il n'avait trouvé que des intrigans. cette connaissance malheureuse des hommes, qu'on acquiert trop tard, lui faisait dire aussi: toutes les fois que je donne une place vacante, je fais cent mécontens & un ingrat. Ni les plaisirs, ni les embellissemens des maisons roiales & de paris, ni les soins de la police du roiaume, ne discontinuérent pendant la guerre de 1666. Le roi dansa dans les ballets jusqu'en 1670. il avait alors trente-deux ans. on joua devant lui à saint-germain, la tragédie de britannicus; il fut frappé de ces vers: Pour mérite premier, pour vertu singuliére, dès-lors il ne dansa plus en public: & le poëte réforma le monarque. son union avec madame de la valiére subsistait toûjours, malgré les infidélités fréquentes qu'il lui faisait. ces infidélités lui coûtaient peu de soins. il ne trouvait guères [p. 45] de femmes qui lui résistassent; & revenait toûjours à celle, qui par la douceur & par la bonté de son caractére, par un amour vrai & même par les chaînes de l'habitude, l'avait subjugué sans art. mais dès l'an 1669, elle s'apperçut que madame de montespan prenait de l'ascendant; elle combattit avec sa douceur ordinaire; elle supporta le chagrin d'être témoin long-tems du triomphe de sa rivale, & sans presque se plaindre; elle se crut encor heureuse dans sa douleur, d'être considérée du roi qu'elle aimait toûjours, & de le voir sans en être aimée. Enfin, en 1675 elle embrassa la ressource des ames tendres, ausquelles il faut des sentimens profonds qui les subjuguent. elle crut que dieu seul pouvait succéder dans son cœur à son amant. sa conversion fut aussi célébre que sa tendresse. elle se fit carmélite à paris, & persévéra. se couvrir d'un cilice, marcher pieds nuds, jeuner rigoureusement, chanter la nuit au chœur dans une langue inconnuë; tout cela ne rebuta point la délicatesse d'une femme accoûtumée à tant de gloire, de mollesse & de plaisirs. elle vécut dans ces austérités depuis 1675 jusqu'en 1710, sous le nom de sœur louise de la miséricorde. un roi, qui punirait ainsi la personne la plus coupable, serait un tyran; [p. 46] & c'est ainsi que tant de femmes se sont punies d'avoir aimé. il n'y a presque point d'éxemples de politiques qui aïent pris ce parti rigoureux. les crimes de la politique sembleraient cependant éxiger plus d'expiations que les faiblesses de l'amour; mais ceux qui gouvernent les ames, n'ont guères d'empire que sur les faibles. On sait que quand on annonça à sœur louise de la miséricorde la mort du duc de vermandois qu'elle avait eû du roi, elle dit; je dois pleurer sa naissance encor plus que sa mort. il lui resta une fille, qui fut de tous les enfans du roi la plus ressemblante à son pére, & qui épousa le prince armand de conti petit-neveu du grand condé. Cependant la marquise de montespan jouissait de sa faveur, avec autant d'éclat & d'empire que madame de la valiére avait eû de modestie. Tandis que madame de la valiére & madame de montespan se disputaient encor la premiére place dans le cœur du roi, toute la cour était occupée d'intrigues d'amour. louvois même était sensible. parmi plusieurs maîtresses qu'eut ce ministre, dont le caractére dur semblait si peu fait pour l'amour, il y eut une madame du frénoi, femme d'un de ses commis, pour laquelle il eut depuis [p. 47] le crédit de faire érigèr une charge chez la reine: on la fit dame du lit: elle eut les grandes entrées. le roi, en favorisant ainsi jusqu'aux goûts de ses ministres, voulait justifier les siens. C'est un grand éxemple du pouvoir des préjugés & de la coûtume, qu'il fût permis à toutes les femmes mariées d'avoir des amans, & qu'il ne le fût pas à la petite-fille de henri quatre, d'avoir un mari. mademoiselle, après avoir refusé tant de souverains, après avoir eû l'espérance d'épouser louis XIV, voulut faire à quarante trois ans la fortune d'un gentilhomme. elle obtint la permission d'épouser péguilin du nom de caumont, comte de lausun, capitaine d'une des deux compagnies des cent gentilshommes au bec-de-corbin qui ne subsistent plus, & pour qui le roi avait créé la charge de colonel-général des dragons. il y avait cent éxemples de princesses, qui avaient épousé des gentilshommes: les empereurs romains donnaient leurs filles à des sénateurs: les filles des souverains de l'asie, plus puissans & plus despotiques qu'un roi de france, n'épousent jamais que des esclaves de leurs péres. Mademoiselle donnait tous ses biens, estimés vingt-millions, au comte de lausun; [p. 48] quatre duchez, la souveraineté de dombes, le comté d'eu, le palais d'orléans qu'on nomme le luxembourg. elle ne se réservait rien, abandonnée toute entiére à l'idée flatteuse de faire à ce qu'elle aimait une plus grande fortune, qu'aucun roi n'en a fait à aucun sujet. le contrat était dressé. lausun fut un jour duc de montpensier. il ne manquait plus que la signature. tout était prêt, lorsque le roi, assailli par les représentations des princes, des ministres, des ennemis d'un homme trop heureux, retira sa parole & défendit cette alliance. il avait écrit aux cours étrangéres pour annoncer le mariage; il écrivit la rupture. on le blâma de l'avoir permis; on le blâma de l'avoir défendu. il pleura de rendre mademoiselle malheureuse. mais ce même prince, qui s'était attendri en lui manquant de parole, fit enfermer lausun, en novembre 1670, au château de pignerol, pour avoir épousé en secret la princesse, qu'il lui avait permis quelques mois auparavant d'épousèr en public. il fut enfermé dix années entiéres. il y a plus d'un roiaume, où un monarque n'a pas cette puissance: ceux qui l'ont, sont plus chéris quand ils n'en font pas d'usage. le citoien, qui n'offense point les loix de l'état, doit-il être puni si [p. 49] sévérement par celui qui représente l'état? n'y a-t-il pas une très grande différence entre déplaire à son souverain, & trahir son souverain? un roi doit-il traitèr un homme plus durement que la loi ne le traiterait? Ceux qui ont écrit13 que madame de montespan, après avoir empéché le mariage, irritée contre le comte de lausun qui éclatait en reproches violens, éxigea de louis XIV cette vangeance, ont fait bien plus de tort à ce monarque. il y aurait eû à la fois de la tyrannie & de la pusillanimité, à sacrifièr à la colére d'une femme, un brave homme, un favori, qui privé par lui de la plus grande fortune, n'aurait fait d'autre faute que de s'être trop plaint de madame de montespan. qu'on pardonne ces réfléxions: les droits de l'humanité les arrachent. mais en même tems l'équité veut que louis XIV, n'aiant fait dans tout son régne aucune [p. 50] action de cette nature, on ne l'accuse pas d'une injustice si cruelle. c'est bien assez qu'il ait puni avec tant de sévérité, un mariage clandestin, une liaison innocente, qu'il eût mieux fait d'ignorer. retirer sa faveur était très juste. la prison était bien cruelle. Ceux qui ont douté de ce mariage secret, n'ont qu'à lire attentivement les mémoires de mademoiselle. ces mémoires apprennent ce qu'elle ne dit pas. on voit que cette même princesse, qui s'était plainte si amérement au roi de la rupture de son mariage, n'osa se plaindre de la prison de son mari. elle avouë qu'on la croiait mariée; elle ne dit point qu'elle ne l'était pas: & quand il n'y aurait que ces paroles: je ne puis ni ne dois changer pour lui: elles seraient décisives. Lausun & fouquet furent étonnés de se rencontrer dans la même prison; mais fouquet surtout, qui dans sa gloire & dans sa puissance avait vu de loin péguilin dans la foule comme un gentil-homme de province sans fortune, le crut fou, quand celui-ci lui conta qu'il avait été le favori du roi, & qu'il avait eû la permission d'épouser la petite-fille de henri IV, avec tous les biens & les titres de la maison de montpensier. Après avoir langui dix ans en prison, [p. 51] il en sortit enfin. mais ce ne fut qu'après que madame de montespan eut engagé mademoiselle à donner la souveraineté de dombes & le comté d'eu, au duc du maine encor enfant, qui les posséda après la mort de cette princesse. elle ne fit cette donation, que dans l'espérance que monsieur de lausun serait reconnu pour son époux; elle se trompa: le roi lui permit seulement de donnèr à ce mari secret & infortuné les terres de saint-fargeau & de thiers, avec d'autres revenus considérables que lausun ne trouva pas suffisans. elle fut réduite à être secrettement sa femme, & à n'en être pas bien traitée en public. malheureuse à la cour, malheureuse chez elle, ordinaire effet des passions; elle mourut en 1693.14 Pour le comte de lausun, il passa ensuite en angleterre en 1688. toûjours destiné aux aventures extraordinaires, il conduisit en france la reine épouse de [p. 52] jacques second, & son fils au berceau. il fut fait duc. il commanda en irlande avec peu de succès, & revint avec plus de réputation attachée à ses aventures, que de considération personnelle. nous l'avons vu mourir fort âgé, & oublié comme il arrive à tous ceux qui n'ont eû que de grands événemens sans avoir fait de grandes choses. Cependant madame de montespan était toute puissante dès le commencement des intrigues dont on vient de parler. Athénaïs de mortemar femme du marquis de montespan, sa sœur aînée la marquise de thiange, & sa cadette pour qui elle obtint l'abbaïe de fontévraud, étaient les plus belles femmes de leur tems; & toutes trois joignaient à cet avantage, des agrémens singuliers dans l'esprit. le duc de vivonne leur frére, maréchal de france, était aussi un des hommes de la cour, qui avait le plus de goût & de lecture. c'était lui à qui le roi disait un jour: mais à quoi sert de lire? le duc de vivonne répondit. «la lecture fait à l'esprit, ce que vos perdrix font à mes jouës.» c'est qu'il avait de l'embonpoint & de belles couleurs. Ces quatre personnes plaisaient universellement par un tour singulier de conversation [p. 53] mélé de plaisanterie, de naïveté & de finesse, qu'on appellait l'esprit des mortemar. elles écrivaient toutes avec une legéreté & une grace particuliére. on voit par-là combien est ridicule ce conte que j'ai entendu encor renouveler, que madame de montespan était obligée de faire écrire ses lettres au roi par madame scarron; & que c'est là ce qui en fit sa rivale, & sa rivale heureuse. Madame scarron, depuis madame de maintenon, avait à la vérité plus de lumiéres acquises par la lecture; sa conversation était plus douce, plus insinuante. il y a des lettres d'elle, écrites d'une élégance qui étonne. mais madame de montespan n'avait besoin d'emprunter l'esprit de personne; elle fut long-tems favorite, avant que madame de maintenon lui fût présentée. Le triomphe de madame de montespan éclata au voiage que le roi fit en flandre en 1670. la ruine des hollandais fut préparée dans ce voiage, au milieu des plaisirs. ce fut une fête continuelle, dans l'appareil le plus pompeux. Le roi, qui fit tous ses voiages de guerre à cheval, fit celui-ci pour la premiére fois dans un carosse à glaces. les chaises de poste n'étaient point encor inventées. la reine, madame sa belle-sœur, la marquise [p. 54] de montespan, étaient dans cet équipage superbe, suivi de beaucoup d'autres; & quand madame de montespan allait seule, elle avait quatre gardes du corps aux portiéres de son carosse. le dauphin arriva ensuite avec sa cour, mademoiselle avec la sienne: c'était avant la fatale aventure de son mariage: elle partageait en paix tous ces triomphes, & voiait avec complaisance son amant favori du roi, à la tête de sa compagnie des gardes. on faisait porter dans les villes où l'on couchait, les plus beaux meubles de la couronne. on trouvait dans chaque ville un bal masqué ou paré, ou des feux d'artifice. toute la maison de guerre accompagnait le roi, & toute la maison de service précédait ou suivait. les tables étaient tenuës comme à saint-germain. la cour visita dans cette pompe toutes les villes conquises. les principales dames de bruxelles, de gand, venaient voir cette magnificence. le roi les invitait à sa table; il leur faisait des présens pleins de galanterie. tous les officiers des troupes en garnison recevaient des gratifications. il en coûta plusieurs fois quinze-cent louis d'or par jour en libéralités. Tous les honneurs, tous les hommages, étaient pour madame de montespan, excepté ce que le devoir donnait à la [p. 55] reine. cependant cette dame n'était pas du secret. le roi savait distinguer les affaires d'état, des plaisirs. Madame, seule chargée de l'union des deux rois & de la destruction de la hollande, s'embarqua à dunkerque sur la flote du roi d'angleterre, charles second son frére, avec une partie de la cour de france. elle menait avec elle mademoiselle de kerowal, depuis duchesse de portsmouth, dont la beauté égalait celle de madame de montespan. elle fut depuis en angleterre, ce que madame de montespan était en france, mais avec plus de crédit. le roi charles fut gouverné par elle, jusqu'au dernier moment de sa vie; & quoique souvent infidéle, il fut toûjours maîtrisé. jamais femme n'a conservé plus long-tems sa beauté; nous lui avons vu à l'âge de près de soixante & dix ans, une figure encor noble & agréable, que les années n'avaient point flétrie. Madame alla voir son frére à cantorbéri, & revint avec la gloire du succès. elle en jouissait, lorsqu'une mort subite & douloureuse l'enleva à l'âge de vingt-six ans, le 30 juin 1672. la cour fut dans une douleur & dans une consternation que le genre de mort augmentait. cette princesse s'était cru empoisonnée. l'ambassadeur d'angleterre, montaigu, en était [p. 56] persuadé; la cour n'en doutait pas; & toute l'europe le disait. un des anciens domestiques de la maison de son mari, m'a nommé celui, qui (selon lui) donna le poison. «cet homme, me disait-il, qui n'était pas riche, se retira immédiatement après en normandie, où il acheta une terre dans laquelle il vécut long-tems avec opulence. ce poison (ajoutait-il) était de la poudre de diamant mise au lieu de sucre dans des fraises.» la cour & la ville pensérent que madame avait été empoisonnée dans un verre d'eau de chicorée, après lequel elle éprouva d'horribles douleurs, & bientôt les convulsions de la mort. mais la malignité humaine & l'amour de l'extraordinaire furent les seules raisons de cette persuasion générale. le verre d'eau ne pouvait être empoisonné, puisque madame de la faïette & une autre personne burent le reste sans ressentir la plus legére incommodité. la poudre de diamant n'est pas plus un venin, que la poudre de corail. il y avait long-tems que madame était malade d'un abcès qui se formait dans le foie. elle était trés[sic] mal-saine, & méme[sic] avait accouché d'un enfant absolument pourri. son mari, trop soupçonné dans l'europe, ne fut ni avant ni après cet événement accusé d'aucune action qui eût de la [p. 57] noirceur; & on trouve rarement des criminels qui n'aient fait qu'un grand crime. le genre humain serait trop malheureux, s'il était aussi commun de commettre des choses atroces, que de les croire. On prétendit, que le chevalier de lorraine favori de monsieur, pour se vanger d'un éxil & d'une prison que sa conduite coupable auprès de madame lui avait attiré, s'était porté à cette horrible vangeance. on ne fait pas attention, que le chevalier de lorraine était alors à rome, & qu'il est bien difficile à un chevalier de malthe de vingt ans, qui est à rome, d'achéter[sic] à paris la mort d'une grande princesse. Il n'est que trop vrai, qu'une faiblesse & une indiscrétion du vicomte de turenne avaient été la premiére cause de toutes ces rumeurs odieuses, qu'on se plaît encor à réveiller. il était à soixante ans l'amant de madame de coatquen & sa dupe, comme il l'avait été de madame de longueville. il révéla à cette dame le secret de l'état, qu'on cachait au frére du roi. madame de coatquen, qui aimait le chevalier de lorraine, le dit à son amant: celui-ci en avertit monsieur. l'intérieur de la maison de ce prince fut en proie à tout ce qu'ont de plus amèr les reproches & les jalousies. ces troubles [p. 58] éclatérent avant le voiage de madame. l'amertume redoubla à son retour. les emportemens de monsieur, les querelles de ses favoris avec les amis de madame, remplirent la maison de confusion & de douleur. madame, quelque tems avant sa mort, reprochait avec des plaintes douces & attendrissantes, à la marquise de coatquen, les malheurs dont elle était cause. cette dame, à genoux auprès de son lit & arrosant ses mains de larmes, ne lui répondit que par ces vers de venceslas: J'allais... j'étais... l'amour a sur moi tant d'empire; le chevalier de lorraine, auteur de ces dissensions, fut d'abord envoié par le roi à pierre-encise; le comte de marsan de la maison de lorraine, & le marquis depuis maréchal de villeroi, furent éxilés. enfin on regarda comme la suite coupable de ces démélés, la mort naturelle de cette malheureuse princesse. Ce qui confirma le public dans le soupçon de poison, c'est que vers ce tems on commença à connaître ce crime en france. on n'avait point emploié [p. 59] cette vangeance des lâches dans les horreurs de la guerre civile. ce crime, par une fatalité singuliére, infecta la france dans le tems de la gloire & des plaisirs qui adoucissaient les mœurs, ainsi qu'il se glissa dans l'ancienne rome aux plus beaux jours de la république. Deux italiens, dont l'un se nommait éxili, travaillérent longtems avec un apoticaire allemand nommé glasèr, à chercher ce qu'on appelle la pierre philosophale. les deux italiens y perdirent le peu qu'ils avaient, & voulurent par le crime réparer le tort de leur folie. ils vendirent secrettement des poisons. la confession, le plus grand frein de la méchanceté humaine, mais dont on abuse en croiant pouvoir faire des crimes qu'on croit pouvoir expier; la confession, dis-je, fit connaître au grand-pénitencier de paris, que quelques personnes étaient mortes empoisonnées. il en donna avis au gouvernement. les deux italiens soupçonnés furent mis à la bastille: l'un des deux y mourut. éxili y resta sans être convaincu; & du fond de sa prison, il répandit dans paris ces funestes secrets, qui coûtérent la vie au lieutenant-civil d'aubrai & à sa famille, & qui firent enfin ériger la chambre des poisons, qu'on nomma la chambre ardente. [p. 60] L'amour fut la premiére source de ces horribles aventures. le marquis de brinvilliers, gendre du lieutenant-civil d'aubrai, logea chez lui sainte-croix.[sic]15 capitaine de son régiment, d'une trop belle figure. sa femme lui en fit craindre les conséquences. le mari s'obstina à faire demeurer ce jeune homme avec sa femme, jeune, belle & sensible. ce qui devait arriver, arriva: ils s'aimérent. le lieutenant-civil, pére de la marquise, fut assez sévére & assez imprudent, pour sollicitèr une lettre de cachet, & pour faire envoièr à la bastille le capitaine, qu'il ne fallait envoier qu'à son régiment. sainte-croix fut mis malheureusement dans la chambre où était éxili. cet italien lui apprit à se vanger. on en sait les suites qui font frémir. la marquise n'attenta point à la vie de son mari, qui avait eû de l'indulgence pour un amour dont lui-même était la cause; mais la fureur de la vangeance la porta à empoisonner son pére, ses deux fréres & sa sœur. au milieu de tant de crimes, elle [p. 61] avait de la religion: elle allait souvent à confesse; & même, lorsqu'on l'arrêta dans liége, on trouva une confession générale écrite de sa main, qui servit non pas de preuve contre elle, mais de présomption. il est faux, qu'elle eût essaïé ses poisons dans les hôpitaux, comme le disait le peuple, & comme il est écrit dans les causes célébres, ouvrage d'un avocat sans cause, & fait pour le peuple. mais il est vrai qu'elle eut, ainsi que sainte-croix, des liaisons secrettes avec des personnes accusées depuis des mêmes crimes. elle fut brûlée en 1679, après avoir eû la tête tranchée. mais depuis 1670, qu'éxili avait commencé à faire des poisons jusqu'en 1680, ce crime infecta paris. on ne peut dissimuler, que pennautier le receveur-général du clergé, ami de cette femme, fut accusé quelque tems après d'avoir mis ses secrets en usage; & qu'il lui en coûta la moitié de son bien pour supprimer les preuves. La voisin, la vigoureux, un prêtre nommé le sage, & d'autres, trafiquérent des secrets d'éxili, sous prétexte d'amuser les ames curieuses & faibles par des prédictions & par des apparitions d'esprits. on crut le crime plus répandu qu'il n'était en effet. la chambre ardente fut établie à l'arsenal près de la bastille, en [p. 62] 1680. les plus grands seigneurs y furent cités: entre autres, deux niéces du cardinal mazarin, la duchesse de bouillon, & la comtesse de soissons mére du prince eugéne. elles ne furent point décrétées de prise de corps, comme le dit l'histoire de réboulet. il ne se trompe pas moins en disant, que la duchesse de bouillon parut devant les juges avec tant d'amis, qu'elle n'avait rien à craindre, quand même elle eût été coupable. quels amis dans ce tems-là eussent pu soustraire quelqu'un à la justice? la duchesse de bouillon ne fut accusée que d'avoir eu des curiosités ridicules. on imputait des choses plus sérieuses à la comtesse de soissons, qui se retira à bruxelles. le maréchal de luxembourg fut mis à la bastille, & subit un long interrogatoire, après lequel il resta encor quatorze mois en prison. on peut juger quelles rumeurs affreuses toutes ces accusations excitaient dans paris. le supplice du feu, dont la voisin & ses complices furent punis, mirent fin aux recherches & aux crimes. cette abomination ne fut que le partage de quelques particuliers, & ne corrompit point les mœurs douces de la nation; mais elle laissa dans les esprits un penchant funeste à soupçonner des morts naturelles, d'avoir été violentes. [p. 63] Ce qu'on avait cru de la destinée malheureuse de madame henriette d'angleterre, on le crut ensuite de sa fille marie-louise, qu'on maria en 1679 au roi d'espagne charles second. cette jeune princesse partit à regret pour madrid. mademoiselle avait souvent dit à monsieur, frére du roi: ne menez pas si souvent votre fille à la cour; elle sera trop malheureuse ailleurs. cette jeune princesse voulait épouser monseigneur. je vous fais reine d'espagne, lui dit le roi, que pourrais-je de plus pour ma fille? «ah! répondit-elle, vous pourriez plus pour votre niéce.» elle fut enlevée au monde en 1689, au même âge que sa mére. il passa pour constant, que le conseil aûtrichien de charles second voulait se défaire d'elle, parce qu'elle aimait son païs, & qu'elle pouvait empécher le roi son mari de se déclarer pour les alliés contre la france. on lui envoia même de versailles de ce qu'on croit du contrepoison, précaution très incertaine, puisque ce qui peut guérir une espéce de mal peut envenimer l'autre, & qu'il n'y a point d'antidote général. le contrepoison prétendu arriva après sa mort. ceux qui ont lû les mémoires compilés par le marquis de dangeau, trouveront que le roi dit en soupant: «la reine d'espagne est morte empoisonnée [p. 64] dans une tourte d'anguille: la comtesse de pernits, les caméristes zapata & nina, qui en ont mangé après elle, sont mortes du même poison.» Après avoir lû cette étrange anecdote dans ces mémoires manuscrits, qu'on dit faits avec soin par un courtisan, qui n'avait presque point quitté louis xiv pendant quarante ans; je ne laissai pas d'être encor en doute: je m'informai à d'anciens domestiques du roi, s'il était vrai que ce monarque, toûjours retenu dans ses discours, eût jamais prononcé des paroles si imprudentes. ils m'assûrérent tous, que rien n'était plus faux. je demandai à des personnes considérables qui arrivaient d'espagne, s'il était vrai que ces trois personnes fussent mortes avec la reine; elles me donnérent des attestations, que toutes trois avaient survécu longtems à leur maîtresse. enfin je sus que ces mémoires du marquis de dangeau, qu'on regarde comme un monument précieux, n'étaient que des nouvelles à la main, écrites tous les jours par un de ses domestiques; & je puis répondre qu'on s'en apperçoit assez au stile, aux inutilités & aux faussetés dont ce recueil est rempli. après toutes ces idées funestes, où la mort de henriette d'angleterre [p. 65] nous a conduits, il faut revenir aux événemens de la cour qui suivirent sa perte. La princesse palatine lui succéda un an après, & fut mére du duc d'orléans, régent du roiaume. il fallut qu'elle renonçât au calvinisme pour épouser monsieur; mais elle conserva toûjours pour son ancienne religion, un respect secret qu'il est difficile de secouer, quand l'enfance l'a imprimé dans le cœur. L'aventure infortunée d'une fille d'honneur de la reine, en 1673, donna lieu à un nouvel établissement. ce malheur est connu par le sonnet de l'avorton, dont les vers ont été tant cités. Toi que l'amour fit par un crime, les dangers, attachés à l'état de fille dans une cour galante & voluptueuse, déterminérent à substituèr aux douze filles d'honneur qui embellissaient la cour de la reine, douze dames du palais; & depuis la maison des reines fut ainsi composée. cet établissement rendait la cour plus nombreuse & plus magnifique, en y fixant [p. 66] les maris & les parens de ces dames, ce qui augmentait la société & répandait plus d'opulence. La princesse de baviére, épouse de monseigneur, ajoûta dans les commencemens, de l'éclat & de la vivacité à cette cour. la marquise de montespan attirait toûjours l'attention principale: mais enfin elle cessait de plaire; & les emportemens altiers de sa douleur ne ramenaient pas un cœur qui s'éloignait. cependant elle tenait toûjours à la cour par une grande charge, étant surintendante de la maison de la reine; & au roi par ses enfans, par l'habitude, & par son ascendant. On lui conservait tout l'extérieur de la considération & de l'amitié, qui ne la consolait pas; & le roi, affligé de lui causer des chagrins violens & entraîné par d'autres goûts, trouvait déja dans la conversation de madame de maintenon, une douceur qu'il ne goûtait plus auprès de son ancienne maîtresse. il se sentait à la fois partagé entre madame de montespan qu'il ne pouvait quitter, mademoiselle de fontange qu'il aimait, & madame de maintenon de qui l'entretien devenait nécessaire à son ame tourmentée. ces trois rivales de faveur tenaient toute la cour en suspens. il paraît assez honorable [p. 67] pour louis XIV qu'aucune de ces intrigues n'influât sur les affaires générales, & que l'amour, qui troublait la cour, n'ait jamais mis le moindre trouble dans le gouvernement. rien ne prouve mieux, ce me semble, que louis XIV avait une ame aussi grande que sensible. Je croirais même que ces intrigues de cour, étrangéres à l'état, ne devraient point entrer dans l'histoire, si le nom de louis XIV ne rendait tout intéressant; & si le voile de ces mistéres n'avait été levé par tant d'historiens, qui pour la pluspart les ont défigurés. [p. 42] CHAPITRE VINGT-CINQUIÉME. Suite des particularités & anecdotes. A la gloire, aux plaisirs, à la grandeur, à la galanterie, qui occupaient les premiéres années de ce gouvernement, louis XIV voulut joindre les douceurs de l'amitié; mais il est difficile à un roi, de faire des choix heureux. de deux hommes ausquels il marqua le plus de confiance, l'un le trahit indignement, l'autre abusa de sa faveur. le premier était le marquis de vardes, confident du goût du roi pour madame de la valiére. on sait que des intrigues de cour le firent cherchèr à [p. 43] perdre madame de la valiére, qui par sa place devait avoir des jalouses, & qui par son caractére ne devait point avoir d'ennemis. on sait qu'il osa, de concert avec le comte de guiche & la comtesse de soissons, écrire à la reine régnante une lettre contrefaite, au nom du roi d'espagne son pére. cette lettre apprenait à la reine ce qu'elle devait ignorer, & ce qui ne pouvait que troubler la paix de la maison roiale. il ajoûta à cette perfidie la méchanceté de faire tomber les soupçons sur les plus honnêtes gens de la cour, le duc & la duchesse de navailles. ces deux personnes innocentes furent sacrifiées au ressentiment du monarque trompé. l'atrocité de la conduite de vardes fut trop tard connuë; & vardes, tout criminel qu'il était, ne fut guères plus puni que les innocens qu'il avait accusés, & qui furent obligés de se défaire de leurs charges, & de quitter la cour. L'autre favori était le comte depuis duc de lausun, tantôt rival du roi dans ses amours passagers, tantôt son confident, & si connu depuis par ce mariage qu'il voulut faire trop publiquement avec mademoiselle, & qu'il fit ensuite secrettement malgré sa parole donnée à son maître. Le roi, trompé dans ses choix, dit [p. 44] qu'il avait cherché des amis, & qu'il n'avait trouvé que des intrigans. cette connaissance malheureuse des hommes, qu'on acquiert trop tard, lui faisait dire aussi: toutes les fois que je donne une place vacante, je fais cent mécontens & un ingrat. Ni les plaisirs, ni les embellissemens des maisons roiales & de paris, ni les soins de la police du roiaume, ne discontinuérent pendant la guerre de 1666. Le roi dansa dans les ballets jusqu'en 1670. il avait alors trente-deux ans. on joua devant lui à saint-germain, la tragédie de britannicus; il fut frappé de ces vers: Pour mérite premier, pour vertu singuliére, dès-lors il ne dansa plus en public: & le poëte réforma le monarque. son union avec madame de la valiére subsistait toûjours, malgré les infidélités fréquentes qu'il lui faisait. ces infidélités lui coûtaient peu de soins. il ne trouvait guères [p. 45] de femmes qui lui résistassent; & revenait toûjours à celle, qui par la douceur & par la bonté de son caractére, par un amour vrai & même par les chaînes de l'habitude, l'avait subjugué sans art. mais dès l'an 1669, elle s'apperçut que madame de montespan prenait de l'ascendant; elle combattit avec sa douceur ordinaire; elle supporta le chagrin d'être témoin long-tems du triomphe de sa rivale, & sans presque se plaindre; elle se crut encor heureuse dans sa douleur, d'être considérée du roi qu'elle aimait toûjours, & de le voir sans en être aimée. Enfin, en 1675 elle embrassa la ressource des ames tendres, ausquelles il faut des sentimens profonds qui les subjuguent. elle crut que dieu seul pouvait succéder dans son cœur à son amant. sa conversion fut aussi célébre que sa tendresse. elle se fit carmélite à paris, & persévéra. se couvrir d'un cilice, marcher pieds nuds, jeuner rigoureusement, chanter la nuit au chœur dans une langue inconnuë; tout cela ne rebuta point la délicatesse d'une femme accoûtumée à tant de gloire, de mollesse & de plaisirs. elle vécut dans ces austérités depuis 1675 jusqu'en 1710, sous le nom de sœur louise de la miséricorde. un roi, qui punirait ainsi la personne la plus coupable, serait un tyran; [p. 46] & c'est ainsi que tant de femmes se sont punies d'avoir aimé. il n'y a presque point d'éxemples de politiques qui aïent pris ce parti rigoureux. les crimes de la politique sembleraient cependant éxiger plus d'expiations que les faiblesses de l'amour; mais ceux qui gouvernent les ames, n'ont guères d'empire que sur les faibles. On sait que quand on annonça à sœur louise de la miséricorde la mort du duc de vermandois qu'elle avait eû du roi, elle dit; je dois pleurer sa naissance encor plus que sa mort. il lui resta une fille, qui fut de tous les enfans du roi la plus ressemblante à son pére, & qui épousa le prince armand de conti petit-neveu du grand condé. Cependant la marquise de montespan jouissait de sa faveur, avec autant d'éclat & d'empire que madame de la valiére avait eû de modestie. Tandis que madame de la valiére & madame de montespan se disputaient encor la premiére place dans le cœur du roi, toute la cour était occupée d'intrigues d'amour. louvois même était sensible. parmi plusieurs maîtresses qu'eut ce ministre, dont le caractére dur semblait si peu fait pour l'amour, il y eut une madame du frénoi, femme d'un de ses commis, pour laquelle il eut depuis [p. 47] le crédit de faire érigèr une charge chez la reine: on la fit dame du lit: elle eut les grandes entrées. le roi, en favorisant ainsi jusqu'aux goûts de ses ministres, voulait justifier les siens. C'est un grand éxemple du pouvoir des préjugés & de la coûtume, qu'il fût permis à toutes les femmes mariées d'avoir des amans, & qu'il ne le fût pas à la petite-fille de henri quatre, d'avoir un mari. mademoiselle, après avoir refusé tant de souverains, après avoir eû l'espérance d'épouser louis XIV, voulut faire à quarante trois ans la fortune d'un gentilhomme. elle obtint la permission d'épouser péguilin du nom de caumont, comte de lausun, capitaine d'une des deux compagnies des cent gentilshommes au bec-de-corbin qui ne subsistent plus, & pour qui le roi avait créé la charge de colonel-général des dragons. il y avait cent éxemples de princesses, qui avaient épousé des gentilshommes: les empereurs romains donnaient leurs filles à des sénateurs: les filles des souverains de l'asie, plus puissans & plus despotiques qu'un roi de france, n'épousent jamais que des esclaves de leurs péres. Mademoiselle donnait tous ses biens, estimés vingt-millions, au comte de lausun; [p. 48] quatre duchez, la souveraineté de dombes, le comté d'eu, le palais d'orléans qu'on nomme le luxembourg. elle ne se réservait rien, abandonnée toute entiére à l'idée flatteuse de faire à ce qu'elle aimait une plus grande fortune, qu'aucun roi n'en a fait à aucun sujet. le contrat était dressé. lausun fut un jour duc de montpensier. il ne manquait plus que la signature. tout était prêt, lorsque le roi, assailli par les représentations des princes, des ministres, des ennemis d'un homme trop heureux, retira sa parole & défendit cette alliance. il avait écrit aux cours étrangéres pour annoncer le mariage; il écrivit la rupture. on le blâma de l'avoir permis; on le blâma de l'avoir défendu. il pleura de rendre mademoiselle malheureuse. mais ce même prince, qui s'était attendri en lui manquant de parole, fit enfermer lausun, en novembre 1670, au château de pignerol, pour avoir épousé en secret la princesse, qu'il lui avait permis quelques mois auparavant d'épousèr en public. il fut enfermé dix années entiéres. il y a plus d'un roiaume, où un monarque n'a pas cette puissance: ceux qui l'ont, sont plus chéris quand ils n'en font pas d'usage. le citoien, qui n'offense point les loix de l'état, doit-il être puni si [p. 49] sévérement par celui qui représente l'état? n'y a-t-il pas une très grande différence entre déplaire à son souverain, & trahir son souverain? un roi doit-il traitèr un homme plus durement que la loi ne le traiterait? Ceux qui ont écrit13 que madame de montespan, après avoir empéché le mariage, irritée contre le comte de lausun qui éclatait en reproches violens, éxigea de louis XIV cette vangeance, ont fait bien plus de tort à ce monarque. il y aurait eû à la fois de la tyrannie & de la pusillanimité, à sacrifièr à la colére d'une femme, un brave homme, un favori, qui privé par lui de la plus grande fortune, n'aurait fait d'autre faute que de s'être trop plaint de madame de montespan. qu'on pardonne ces réfléxions: les droits de l'humanité les arrachent. mais en même tems l'équité veut que louis XIV, n'aiant fait dans tout son régne aucune [p. 50] action de cette nature, on ne l'accuse pas d'une injustice si cruelle. c'est bien assez qu'il ait puni avec tant de sévérité, un mariage clandestin, une liaison innocente, qu'il eût mieux fait d'ignorer. retirer sa faveur était très juste. la prison était bien cruelle. Ceux qui ont douté de ce mariage secret, n'ont qu'à lire attentivement les mémoires de mademoiselle. ces mémoires apprennent ce qu'elle ne dit pas. on voit que cette même princesse, qui s'était plainte si amérement au roi de la rupture de son mariage, n'osa se plaindre de la prison de son mari. elle avouë qu'on la croiait mariée; elle ne dit point qu'elle ne l'était pas: & quand il n'y aurait que ces paroles: je ne puis ni ne dois changer pour lui: elles seraient décisives. Lausun & fouquet furent étonnés de se rencontrer dans la même prison; mais fouquet surtout, qui dans sa gloire & dans sa puissance avait vu de loin péguilin dans la foule comme un gentil-homme de province sans fortune, le crut fou, quand celui-ci lui conta qu'il avait été le favori du roi, & qu'il avait eû la permission d'épouser la petite-fille de henri IV, avec tous les biens & les titres de la maison de montpensier. Après avoir langui dix ans en prison, [p. 51] il en sortit enfin. mais ce ne fut qu'après que madame de montespan eut engagé mademoiselle à donner la souveraineté de dombes & le comté d'eu, au duc du maine encor enfant, qui les posséda après la mort de cette princesse. elle ne fit cette donation, que dans l'espérance que monsieur de lausun serait reconnu pour son époux; elle se trompa: le roi lui permit seulement de donnèr à ce mari secret & infortuné les terres de saint-fargeau & de thiers, avec d'autres revenus considérables que lausun ne trouva pas suffisans. elle fut réduite à être secrettement sa femme, & à n'en être pas bien traitée en public. malheureuse à la cour, malheureuse chez elle, ordinaire effet des passions; elle mourut en 1693.14 Pour le comte de lausun, il passa ensuite en angleterre en 1688. toûjours destiné aux aventures extraordinaires, il conduisit en france la reine épouse de [p. 52] jacques second, & son fils au berceau. il fut fait duc. il commanda en irlande avec peu de succès, & revint avec plus de réputation attachée à ses aventures, que de considération personnelle. nous l'avons vu mourir fort âgé, & oublié comme il arrive à tous ceux qui n'ont eû que de grands événemens sans avoir fait de grandes choses. Cependant madame de montespan était toute puissante dès le commencement des intrigues dont on vient de parler. Athénaïs de mortemar femme du marquis de montespan, sa sœur aînée la marquise de thiange, & sa cadette pour qui elle obtint l'abbaïe de fontévraud, étaient les plus belles femmes de leur tems; & toutes trois joignaient à cet avantage, des agrémens singuliers dans l'esprit. le duc de vivonne leur frére, maréchal de france, était aussi un des hommes de la cour, qui avait le plus de goût & de lecture. c'était lui à qui le roi disait un jour: mais à quoi sert de lire? le duc de vivonne répondit. «la lecture fait à l'esprit, ce que vos perdrix font à mes jouës.» c'est qu'il avait de l'embonpoint & de belles couleurs. Ces quatre personnes plaisaient universellement par un tour singulier de conversation [p. 53] mélé de plaisanterie, de naïveté & de finesse, qu'on appellait l'esprit des mortemar. elles écrivaient toutes avec une legéreté & une grace particuliére. on voit par-là combien est ridicule ce conte que j'ai entendu encor renouveler, que madame de montespan était obligée de faire écrire ses lettres au roi par madame scarron; & que c'est là ce qui en fit sa rivale, & sa rivale heureuse. Madame scarron, depuis madame de maintenon, avait à la vérité plus de lumiéres acquises par la lecture; sa conversation était plus douce, plus insinuante. il y a des lettres d'elle, écrites d'une élégance qui étonne. mais madame de montespan n'avait besoin d'emprunter l'esprit de personne; elle fut long-tems favorite, avant que madame de maintenon lui fût présentée. Le triomphe de madame de montespan éclata au voiage que le roi fit en flandre en 1670. la ruine des hollandais fut préparée dans ce voiage, au milieu des plaisirs. ce fut une fête continuelle, dans l'appareil le plus pompeux. Le roi, qui fit tous ses voiages de guerre à cheval, fit celui-ci pour la premiére fois dans un carosse à glaces. les chaises de poste n'étaient point encor inventées. la reine, madame sa belle-sœur, la marquise [p. 54] de montespan, étaient dans cet équipage superbe, suivi de beaucoup d'autres; & quand madame de montespan allait seule, elle avait quatre gardes du corps aux portiéres de son carosse. le dauphin arriva ensuite avec sa cour, mademoiselle avec la sienne: c'était avant la fatale aventure de son mariage: elle partageait en paix tous ces triomphes, & voiait avec complaisance son amant favori du roi, à la tête de sa compagnie des gardes. on faisait porter dans les villes où l'on couchait, les plus beaux meubles de la couronne. on trouvait dans chaque ville un bal masqué ou paré, ou des feux d'artifice. toute la maison de guerre accompagnait le roi, & toute la maison de service précédait ou suivait. les tables étaient tenuës comme à saint-germain. la cour visita dans cette pompe toutes les villes conquises. les principales dames de bruxelles, de gand, venaient voir cette magnificence. le roi les invitait à sa table; il leur faisait des présens pleins de galanterie. tous les officiers des troupes en garnison recevaient des gratifications. il en coûta plusieurs fois quinze-cent louis d'or par jour en libéralités. Tous les honneurs, tous les hommages, étaient pour madame de montespan, excepté ce que le devoir donnait à la [p. 55] reine. cependant cette dame n'était pas du secret. le roi savait distinguer les affaires d'état, des plaisirs. Madame, seule chargée de l'union des deux rois & de la destruction de la hollande, s'embarqua à dunkerque sur la flote du roi d'angleterre, charles second son frére, avec une partie de la cour de france. elle menait avec elle mademoiselle de kerowal, depuis duchesse de portsmouth, dont la beauté égalait celle de madame de montespan. elle fut depuis en angleterre, ce que madame de montespan était en france, mais avec plus de crédit. le roi charles fut gouverné par elle, jusqu'au dernier moment de sa vie; & quoique souvent infidéle, il fut toûjours maîtrisé. jamais femme n'a conservé plus long-tems sa beauté; nous lui avons vu à l'âge de près de soixante & dix ans, une figure encor noble & agréable, que les années n'avaient point flétrie. Madame alla voir son frére à cantorbéri, & revint avec la gloire du succès. elle en jouissait, lorsqu'une mort subite & douloureuse l'enleva à l'âge de vingt-six ans, le 30 juin 1672. la cour fut dans une douleur & dans une consternation que le genre de mort augmentait. cette princesse s'était cru empoisonnée. l'ambassadeur d'angleterre, montaigu, en était [p. 56] persuadé; la cour n'en doutait pas; & toute l'europe le disait. un des anciens domestiques de la maison de son mari, m'a nommé celui, qui (selon lui) donna le poison. «cet homme, me disait-il, qui n'était pas riche, se retira immédiatement après en normandie, où il acheta une terre dans laquelle il vécut long-tems avec opulence. ce poison (ajoutait-il) était de la poudre de diamant mise au lieu de sucre dans des fraises.» la cour & la ville pensérent que madame avait été empoisonnée dans un verre d'eau de chicorée, après lequel elle éprouva d'horribles douleurs, & bientôt les convulsions de la mort. mais la malignité humaine & l'amour de l'extraordinaire furent les seules raisons de cette persuasion générale. le verre d'eau ne pouvait être empoisonné, puisque madame de la faïette & une autre personne burent le reste sans ressentir la plus legére incommodité. la poudre de diamant n'est pas plus un venin, que la poudre de corail. il y avait long-tems que madame était malade d'un abcès qui se formait dans le foie. elle était trés[sic] mal-saine, & méme[sic] avait accouché d'un enfant absolument pourri. son mari, trop soupçonné dans l'europe, ne fut ni avant ni après cet événement accusé d'aucune action qui eût de la [p. 57] noirceur; & on trouve rarement des criminels qui n'aient fait qu'un grand crime. le genre humain serait trop malheureux, s'il était aussi commun de commettre des choses atroces, que de les croire. On prétendit, que le chevalier de lorraine favori de monsieur, pour se vanger d'un éxil & d'une prison que sa conduite coupable auprès de madame lui avait attiré, s'était porté à cette horrible vangeance. on ne fait pas attention, que le chevalier de lorraine était alors à rome, & qu'il est bien difficile à un chevalier de malthe de vingt ans, qui est à rome, d'achéter[sic] à paris la mort d'une grande princesse. Il n'est que trop vrai, qu'une faiblesse & une indiscrétion du vicomte de turenne avaient été la premiére cause de toutes ces rumeurs odieuses, qu'on se plaît encor à réveiller. il était à soixante ans l'amant de madame de coatquen & sa dupe, comme il l'avait été de madame de longueville. il révéla à cette dame le secret de l'état, qu'on cachait au frére du roi. madame de coatquen, qui aimait le chevalier de lorraine, le dit à son amant: celui-ci en avertit monsieur. l'intérieur de la maison de ce prince fut en proie à tout ce qu'ont de plus amèr les reproches & les jalousies. ces troubles [p. 58] éclatérent avant le voiage de madame. l'amertume redoubla à son retour. les emportemens de monsieur, les querelles de ses favoris avec les amis de madame, remplirent la maison de confusion & de douleur. madame, quelque tems avant sa mort, reprochait avec des plaintes douces & attendrissantes, à la marquise de coatquen, les malheurs dont elle était cause. cette dame, à genoux auprès de son lit & arrosant ses mains de larmes, ne lui répondit que par ces vers de venceslas: J'allais... j'étais... l'amour a sur moi tant d'empire; le chevalier de lorraine, auteur de ces dissensions, fut d'abord envoié par le roi à pierre-encise; le comte de marsan de la maison de lorraine, & le marquis depuis maréchal de villeroi, furent éxilés. enfin on regarda comme la suite coupable de ces démélés, la mort naturelle de cette malheureuse princesse. Ce qui confirma le public dans le soupçon de poison, c'est que vers ce tems on commença à connaître ce crime en france. on n'avait point emploié [p. 59] cette vangeance des lâches dans les horreurs de la guerre civile. ce crime, par une fatalité singuliére, infecta la france dans le tems de la gloire & des plaisirs qui adoucissaient les mœurs, ainsi qu'il se glissa dans l'ancienne rome aux plus beaux jours de la république. Deux italiens, dont l'un se nommait éxili, travaillérent longtems avec un apoticaire allemand nommé glasèr, à chercher ce qu'on appelle la pierre philosophale. les deux italiens y perdirent le peu qu'ils avaient, & voulurent par le crime réparer le tort de leur folie. ils vendirent secrettement des poisons. la confession, le plus grand frein de la méchanceté humaine, mais dont on abuse en croiant pouvoir faire des crimes qu'on croit pouvoir expier; la confession, dis-je, fit connaître au grand-pénitencier de paris, que quelques personnes étaient mortes empoisonnées. il en donna avis au gouvernement. les deux italiens soupçonnés furent mis à la bastille: l'un des deux y mourut. éxili y resta sans être convaincu; & du fond de sa prison, il répandit dans paris ces funestes secrets, qui coûtérent la vie au lieutenant-civil d'aubrai & à sa famille, & qui firent enfin ériger la chambre des poisons, qu'on nomma la chambre ardente. [p. 60] L'amour fut la premiére source de ces horribles aventures. le marquis de brinvilliers, gendre du lieutenant-civil d'aubrai, logea chez lui sainte-croix.[sic]15 capitaine de son régiment, d'une trop belle figure. sa femme lui en fit craindre les conséquences. le mari s'obstina à faire demeurer ce jeune homme avec sa femme, jeune, belle & sensible. ce qui devait arriver, arriva: ils s'aimérent. le lieutenant-civil, pére de la marquise, fut assez sévére & assez imprudent, pour sollicitèr une lettre de cachet, & pour faire envoièr à la bastille le capitaine, qu'il ne fallait envoier qu'à son régiment. sainte-croix fut mis malheureusement dans la chambre où était éxili. cet italien lui apprit à se vanger. on en sait les suites qui font frémir. la marquise n'attenta point à la vie de son mari, qui avait eû de l'indulgence pour un amour dont lui-même était la cause; mais la fureur de la vangeance la porta à empoisonner son pére, ses deux fréres & sa sœur. au milieu de tant de crimes, elle [p. 61] avait de la religion: elle allait souvent à confesse; & même, lorsqu'on l'arrêta dans liége, on trouva une confession générale écrite de sa main, qui servit non pas de preuve contre elle, mais de présomption. il est faux, qu'elle eût essaïé ses poisons dans les hôpitaux, comme le disait le peuple, & comme il est écrit dans les causes célébres, ouvrage d'un avocat sans cause, & fait pour le peuple. mais il est vrai qu'elle eut, ainsi que sainte-croix, des liaisons secrettes avec des personnes accusées depuis des mêmes crimes. elle fut brûlée en 1679, après avoir eû la tête tranchée. mais depuis 1670, qu'éxili avait commencé à faire des poisons jusqu'en 1680, ce crime infecta paris. on ne peut dissimuler, que pennautier le receveur-général du clergé, ami de cette femme, fut accusé quelque tems après d'avoir mis ses secrets en usage; & qu'il lui en coûta la moitié de son bien pour supprimer les preuves. La voisin, la vigoureux, un prêtre nommé le sage, & d'autres, trafiquérent des secrets d'éxili, sous prétexte d'amuser les ames curieuses & faibles par des prédictions & par des apparitions d'esprits. on crut le crime plus répandu qu'il n'était en effet. la chambre ardente fut établie à l'arsenal près de la bastille, en [p. 62] 1680. les plus grands seigneurs y furent cités: entre autres, deux niéces du cardinal mazarin, la duchesse de bouillon, & la comtesse de soissons mére du prince eugéne. elles ne furent point décrétées de prise de corps, comme le dit l'histoire de réboulet. il ne se trompe pas moins en disant, que la duchesse de bouillon parut devant les juges avec tant d'amis, qu'elle n'avait rien à craindre, quand même elle eût été coupable. quels amis dans ce tems-là eussent pu soustraire quelqu'un à la justice? la duchesse de bouillon ne fut accusée que d'avoir eu des curiosités ridicules. on imputait des choses plus sérieuses à la comtesse de soissons, qui se retira à bruxelles. le maréchal de luxembourg fut mis à la bastille, & subit un long interrogatoire, après lequel il resta encor quatorze mois en prison. on peut juger quelles rumeurs affreuses toutes ces accusations excitaient dans paris. le supplice du feu, dont la voisin & ses complices furent punis, mirent fin aux recherches & aux crimes. cette abomination ne fut que le partage de quelques particuliers, & ne corrompit point les mœurs douces de la nation; mais elle laissa dans les esprits un penchant funeste à soupçonner des morts naturelles, d'avoir été violentes. [p. 63] Ce qu'on avait cru de la destinée malheureuse de madame henriette d'angleterre, on le crut ensuite de sa fille marie-louise, qu'on maria en 1679 au roi d'espagne charles second. cette jeune princesse partit à regret pour madrid. mademoiselle avait souvent dit à monsieur, frére du roi: ne menez pas si souvent votre fille à la cour; elle sera trop malheureuse ailleurs. cette jeune princesse voulait épouser monseigneur. je vous fais reine d'espagne, lui dit le roi, que pourrais-je de plus pour ma fille? «ah! répondit-elle, vous pourriez plus pour votre niéce.» elle fut enlevée au monde en 1689, au même âge que sa mére. il passa pour constant, que le conseil aûtrichien de charles second voulait se défaire d'elle, parce qu'elle aimait son païs, & qu'elle pouvait empécher le roi son mari de se déclarer pour les alliés contre la france. on lui envoia même de versailles de ce qu'on croit du contrepoison, précaution très incertaine, puisque ce qui peut guérir une espéce de mal peut envenimer l'autre, & qu'il n'y a point d'antidote général. le contrepoison prétendu arriva après sa mort. ceux qui ont lû les mémoires compilés par le marquis de dangeau, trouveront que le roi dit en soupant: «la reine d'espagne est morte empoisonnée [p. 64] dans une tourte d'anguille: la comtesse de pernits, les caméristes zapata & nina, qui en ont mangé après elle, sont mortes du même poison.» Après avoir lû cette étrange anecdote dans ces mémoires manuscrits, qu'on dit faits avec soin par un courtisan, qui n'avait presque point quitté louis xiv pendant quarante ans; je ne laissai pas d'être encor en doute: je m'informai à d'anciens domestiques du roi, s'il était vrai que ce monarque, toûjours retenu dans ses discours, eût jamais prononcé des paroles si imprudentes. ils m'assûrérent tous, que rien n'était plus faux. je demandai à des personnes considérables qui arrivaient d'espagne, s'il était vrai que ces trois personnes fussent mortes avec la reine; elles me donnérent des attestations, que toutes trois avaient survécu longtems à leur maîtresse. enfin je sus que ces mémoires du marquis de dangeau, qu'on regarde comme un monument précieux, n'étaient que des nouvelles à la main, écrites tous les jours par un de ses domestiques; & je puis répondre qu'on s'en apperçoit assez au stile, aux inutilités & aux faussetés dont ce recueil est rempli. après toutes ces idées funestes, où la mort de henriette d'angleterre [p. 65] nous a conduits, il faut revenir aux événemens de la cour qui suivirent sa perte. La princesse palatine lui succéda un an après, & fut mére du duc d'orléans, régent du roiaume. il fallut qu'elle renonçât au calvinisme pour épouser monsieur; mais elle conserva toûjours pour son ancienne religion, un respect secret qu'il est difficile de secouer, quand l'enfance l'a imprimé dans le cœur. L'aventure infortunée d'une fille d'honneur de la reine, en 1673, donna lieu à un nouvel établissement. ce malheur est connu par le sonnet de l'avorton, dont les vers ont été tant cités. Toi que l'amour fit par un crime, les dangers, attachés à l'état de fille dans une cour galante & voluptueuse, déterminérent à substituèr aux douze filles d'honneur qui embellissaient la cour de la reine, douze dames du palais; & depuis la maison des reines fut ainsi composée. cet établissement rendait la cour plus nombreuse & plus magnifique, en y fixant [p. 66] les maris & les parens de ces dames, ce qui augmentait la société & répandait plus d'opulence. La princesse de baviére, épouse de monseigneur, ajoûta dans les commencemens, de l'éclat & de la vivacité à cette cour. la marquise de montespan attirait toûjours l'attention principale: mais enfin elle cessait de plaire; & les emportemens altiers de sa douleur ne ramenaient pas un cœur qui s'éloignait. cependant elle tenait toûjours à la cour par une grande charge, étant surintendante de la maison de la reine; & au roi par ses enfans, par l'habitude, & par son ascendant. On lui conservait tout l'extérieur de la considération & de l'amitié, qui ne la consolait pas; & le roi, affligé de lui causer des chagrins violens & entraîné par d'autres goûts, trouvait déja dans la conversation de madame de maintenon, une douceur qu'il ne goûtait plus auprès de son ancienne maîtresse. il se sentait à la fois partagé entre madame de montespan qu'il ne pouvait quitter, mademoiselle de fontange qu'il aimait, & madame de maintenon de qui l'entretien devenait nécessaire à son ame tourmentée. ces trois rivales de faveur tenaient toute la cour en suspens. il paraît assez honorable [p. 67] pour louis XIV qu'aucune de ces intrigues n'influât sur les affaires générales, & que l'amour, qui troublait la cour, n'ait jamais mis le moindre trouble dans le gouvernement. rien ne prouve mieux, ce me semble, que louis XIV avait une ame aussi grande que sensible. Je croirais même que ces intrigues de cour, étrangéres à l'état, ne devraient point entrer dans l'histoire, si le nom de louis XIV ne rendait tout intéressant; & si le voile de ces mistéres n'avait été levé par tant d'historiens, qui pour la pluspart les ont défigurés. |