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Dictionnaire des journaux 1600-1789, sous la direction de Jean Sgard, Paris, Universitas, 1991: notice 986 LE NOUVEAU MERCURE (1708-1711) 1] Titres Le Nouveau Mercure dédié à Son Altesse Serenissime Monseigneur le Prince de Dombes (titre bicolore). 2] Dates Janvier 1708 - mars 1709, puis janvier - mai 1711. Privilège du duc du Maine, prince de Dombes, à Etienne Ganeau comme seul «imprimeur et libraire» de la principauté (28 août 1707). Chaque livraison est dotée d'une permission signée de Desrioux de Messimy; la première est du 29 janvier 1708. Mensuel en principe, mais de fait bimestriel entre mars et décembre 1708, puis en février-mars 1709. 7 livraisons en 1708, 2 en 1709, 5 en 1711. 3] Description Huit volumes reliés. Chaque livraison est paginée séparément. En février 1711, une «Addition» à pagination nouvelle; en mars 1711, après la table, Nouvelles politiques paginées à la suite. Février 1711: errata de janvier; mars 1711: errata de janvier, février, mars. Cahier de 24 p., format in-12, 84 x 154. Sur le titre, armes du duc du Maine. Mars-avril 1708: planche dépliante. Février 1711: 9 p. de musique imprimée pour la chanson. 4] Publication Trévoux, Paris. Jacques Estienne, rue Saint-Jacques, au coin de la rue de la Parcheminerie, à la Vertu. A partir de janvier 1711: Michel Brunet, grand-salle du Palais, au Mercure galant, et Etienne Ganeau, rue Saint-Jacques, vis-à-vis la fontaine Saint-Séverin, aux Armes de Dombes. La correspondance doit être envoyée à E. Ganeau, directeur de l'imprimerie de Trévoux, et à Jacques Estienne, tant que ce dernier apparaît sur le titre. 5] Collaborateurs Abbé Augustin NADAL et Jean Aymar PIGANIOL DE LA FORCE (DP2). Un nouveau rédacteur leur est adjoint en 1711, si l'on en croit les Mémoires de Trévoux, mars 1711, p. 553: «Trois auteurs qui ont du nom dans la belle littérature en partagent le travail». Nombreux poètes publiés: Baraton, Mlle Barbier, Mlle Bernard, Betoulaud, Campistron, Du Cerceau, Fontenelle, Fuzelier, Genest, Lebrun, Mlle L'Héritier, Maumenet, Palaprat, Pellegrin, J.-B. Rousseau, Roy, etc. 6] Contenu Epître dédicatoire au duc du Maine, janvier 1708, n.p.: «Du sort d'un cadet de Trévoux, / Les Mercures de mon espèce / Ne doivent point être jaloux». Préface, janvier 1708, n.p.: «Depuis [...] l'Antiquité, l'histoire des Mercures est celle de leur plagiat». On annonce le compte rendu des «livres agréables» et non des savants, la «critique sincère des pièces de théâtre et des autres livres amusants». On ne refusera pas quelquefois «les remarques que d'habiles gens enverront sur des livres de doctrine». On donnera «l'état général des affaires de l'Europe». Préface, janvier 1711, au moment de la renaissance du N.M.: ses causes (la mort de De Visé et Dufresny qui lui a succédé à la direction du Mercure de Paris; p. 1). «C'est en quelque sorte cette façon de traiter le Mercure galant qui a donné lieu à la reprise du Mercure de Trévoux» (p. 8-9). Histoire du Mercure de Trévoux et de ses difficultés: «mais comme dans la distribution qui fut faite des matières chacun ne travaillait pas également de son côté, l'imprimeur attendait longtemps après les auteurs et se trouva même dans la suite [obligé] de mettre plusieurs mois ensemble: les nouveautés eurent le temps de vieillir et les lecteurs de se rebuter» (p. 9). «Après une interruption de dix-huit mois, il s'est formé une société qui a entrepris de le rétablir [...] la variété est en quelque façon l'âme de cette sorte d'ouvrages [...] le mélange des chose sérieuses et enjouées maintient l'attention de la plupart des lecteurs» (p. 10-11). Chaque numéro débute par des nouvelles ou réflexions politiques et se termine par des «nouvelles particulières» sur la Cour et la Ville. L'entre-deux du périodique est consacré à des pièces fugitives généralement en vers, à des comptes rendus dramatiques, à des articles de fond agréablement érudits (mais surtout à partir de 1711), à des «questions» qui appellent réponse des lecteurs. Avec le renouvellement de 1711, les rédacteurs tentent aussi les énigmes et même la chanson. Caractère original, une fable est fournie régulièrement («J'ai promis une fable dans chaque Mercure: je tiens parole», nov.-déc. 1708, p. 76). Quelques articles relevant du fait divers ou de la criminologie: affaires Martin Guerre et Caille sur des suppositions d'identité; Dufresny en fera un sujet de comédie en 1721: Le Mariage fait et rompu (plusieurs livraisons de janvier à octobre 1708); un maître escroc suisse (mars 1711); procès d'une femme battue contre son mari (avril 1711); tremblement de terre à Manosque (sept.-oct. 1708). Intéressante question et réponses argumentées: les Français ont-ils la tête épique? (févr., mai-juin 1708). Dans les livraisons de 1711, articles scientifiques du chimiste Homberg (févr.), du médecin Deidier (mai) et de l'académicien polygraphe Antoine Parent, providence des périodiques de l'époque (géographie historique: janv.; l'hiver de 1709: févr.; sur le sommeil: mai). Biographies littéraires: J.-B. Rousseau (janv. 1708); Jean Leclerc, «fameux socinien» (juil.-août 1708); La Fosse (janv. 1709); Donneau de Visé (janv. 1711); Boileau (avril 1711). Beaux-arts: Antoine Coypel, Epître sur la peinture à son fils Charles-Antoine (janv. 1708); Mlle de Masquière, Vers sur la Résurrection de Lazare par Jean Jouvenet, tableau peint en 1706 pour l'église Saint-Martin-des-Champs et aujourd'hui au Louvre (inv. 5489; A. Schnapper, nº 119) (mai-juin 1708); Antoine Lebrun, Poème sur le peintre Santerre (avril 1711). «Nouvelles du Canada» (avril 1711), clavecins nouveaux (févr. 1708). Nombreux comptes rendus dramatiques: Regnard, Les Ménechmes, «Nuits de Sceaux» (janv. 1708); Regnard, Le Légataire universel, Campistron (févr. 1708); Danchet, Les Tyndarides (mars-avril 1708); Dufresny, Le Jaloux honteux; Dancourt, La Trahison punie (mai-juin 1708); Legrand, L'Amour diable (sept.-oct. 1708); Crébillon, Electre (janv. 1709); Danchet et Campra, Les Fêtes vénitiennes (janv. 1711); Genest, Joseph (févr. 1711). Table à la fin de chaque livraison, sauf en avril 1711. En février et mars 1711, la table est suivie d'additions imprimées au dernier moment. 7] Exemplaires Ars., 8º H 26487. Exemplaire complet en 8 volumes, portant un ex-libris à la date de 1730 gravé par Beaumont pour Jacques Olivier Vallée, maître des comptes. Une inscription manuscrite: «Cat. de Nyon 11146» indique qu'il fit ensuite partie de la bibliothèque La Vallière. Autres exemplaires: B.N., 8º Lc2 51 (exemplaire complet de la bibliothèque du Roi en maroquin aux armes); Ars., 8º H 26488 (6 vol., incomplet de mai 1711; provenance manuscrite sur la livraison de février 1708: Antoine Cointreau); Maz., 33890, fasc. 540-547 (sans les livraisons de 1709, corrections manuscrites à la pièce de vers d'avril 1711, p. 198); Ste G., AE 8º 1715-1720; B.M. Lyon, 807 161 (janv. 1709). 8] Bibliographie Barbier; Quérard. La Monnoye B. de, Œuvres choisies, 1770, t. II, p. 139: lettre du 4 avril 1708. Mentions dans le Mercure galant (de Dufresny), mars 1711, Réponse au Mercure de Trévoux, en tête de livraison n.p. (reprise dans les Œuvres de Dufresny, Paris, Briasson, 1731, t. V, p. 361-367: «Réponse apologétique de l'auteur du Mercure galant au Mercure de Trévoux»); dans les Mémoires pour l'histoire des sciences et des beaux-arts, mars 1711, p. 533-534. – Mélèse P., Le Théâtre et le public à Paris sous Louis XIV, 1659-1715, Paris, Droz, 1934, p. 18. – Idem, Répertoire analytique des documents contemporains d'information et de critique concernant le théâtre sous Louis XIV, 1659-1715, Paris, Droz, 1934, p. 219-221. – Mattauch H., Die literarische Kritik der frühen französischen Zeitschriften (1665-1748), München, Hueber, 1968, p. 165-168, 302. – Moureau F., Dufresny auteur dramatique (1657-1724), Paris, Klincksieck, 1979, p. 83-84. – Idem, Le «Mercure galant» de Dufresny ou le journalisme à la mode (1710-1714), Oxford, The Voltaire Foundation, 1982, p. 85, 90. Historique Le statut politique de la principauté de Dombes, héritée de la Grande Mademoiselle par le duc du Maine, la présence d'un imprimeur régnicole mais indépendant du pouvoir royal et protégé par un prince du sang, la décadence du Mercure de Paris entre les mains d'un vieillard aveugle incapable, après plus de sept lustres, de poursuivre son œuvre, tout cela donnait une chance sérieuse de succès à un Mercure nouveau publié à Trévoux. Ce fut sans doute le projet de Ganeau, imprimeur de la principauté. Les ambitions politiques des princes, spécialement celles de l'active duchesse du Maine, en ce couchant du règne de Louis XIV qui annonçait pour les légitimés des transitions délicates, ne furent pas sans déterminer un périodique qui ne manque pas une occasion de faire sa cour au couple brillant de Sceaux. Les deux rédacteurs d'origine appartiennent à l'intelligentsia des précepteurs princiers; Nadal a servi les Orléans et Piganiol de La Force le comte de Toulouse, frère du duc du Maine. Ce sont des érudits polygraphes, Nadal ayant de surcroît quelque réputation d'auteur tragique et Piganiol de géographe. Le troisième associé qui leur fut adjoint au renouvellement de 1711 a un style plus enlevé et un talent journalistique mieux affirmé: on serait tenté d'y voir la marque de Louis Fuzelier, auteur d'opéras-comiques à la mode, protégé des Grands et co-privilégié du Mercure de Paris à compter de 1721. Le périodique de Trévoux est, malgré son «origine» légale, très parisien; il rêve de supplanter la vieille institution de Donneau de Visé et ne s'en cache pas. La Monnoye écrit à l'un de ses correspondants le 4 avril 1708: «Le Nouveau Mercure de Trévoux, qui va couler à fond celui du pauvre De Visé, vous fournira désormais toutes les petites productions nouvelles tant en prose qu'en vers». En janvier 1711, les rédacteurs avoueront que le début fut difficile par suite d'un manque de coordination avec l'imprimeur. Les livraisons furent en retard dès le troisième numéro, ce qui contraignit de passer à un rythme bimestriel et à modifier l'ordre des matières en éliminant la politique de l'ouverture des livraisons (Avis, mars-avril 1708, n.p.). Le périodique eut une première mort en mars 1709. La disparition de De Visé en 1710, le sentiment que son successeur, Dufresny, ne bénéficiait pas des mêmes appuis, conduisirent l'équipe de Trévoux reprise en mains officiellement cette fois-ci par Ganeau qui s'était adjoint un ancien libraire du Mercure galant, Brunet, à redonner vie au périodique: le contenu en fut adapté dans le sens d'une concurrence accrue avec le Mercure de Dufresny, considéré comme trop badin. La politique et la science mise au goût d'un vaste public, les comptes rendus dramatiques dont Dufresny, professionnel du théâtre et homme prudent, s'épargnait les complications dans le sien, nourrirent le Nouveau Mercure. Dufresny répliqua par une «réponse apologétique» (mars 1711). Les Mémoires de Trévoux jésuites, qui voyaient se développer avec une certaine délectation cette belle querelle journalistique, n'en rendirent pas moins public le fait qu'ils ne participaient en rien à cette entreprise (mars 1711). Tribune traditionnelle des Modernes, le Mercure galant avait un long passé de périodique littéraire de combat. La duchesse du Maine passait pour libérale, mais penchait pour les Anciens. Le Nouveau Mercure se plaça sur cette position médiane, dont l'éloge funèbre du dramaturge La Fosse donne le ton: «[...] il était grand partisan des Anciens, mais plutôt par reconnaissance des lumières qu'il avait puisées chez eux que par entêtement» (janvier 1709, p. 84). C'est pourquoi le contenu littéraire du Nouveau Mercure est peu différent de son rival parisien; la liste des poètes publiés en témoigne: des amis plus ou moins illustres des Anciens (Rousseau, Roy) aux Modernes de toutes les générations, des derniers fidèles de Mlle de Scudéry (Betoulaud, Maumenet, Genest), de la nièce des Perrault, Mlle L'Héritier, aux admiratrices du grand Fontenelle, Mlles Barbier et Bernard, jusqu'à la jeune génération qui allait aussi se rendre célèbre par le théâtre (Fuzelier, Pellegrin). Le Mercure de Dufresny (Moureau, 1982) permet de retrouver tous ces noms, ainsi que ceux des collaborateurs scientifiques occasionnels dont les deux périodiques publient parfois les mêmes productions (par exemple, l'article de Guillaume Homberg sur les «végétations artificielles» donné en janvier 1711 par les deux Mercure). Une originalité discrète se note cependant dans le Nouveau Mercure, pas tant dans le style qui se moule sur celui du Mercure galant et réutilise les mêmes procédés (Ich-Form du discours, transitions habiles, variétés des sujets, obsession des bonnes manières), mais dans l'intérêt pour des genres poétiques dont il se fait le champion, comme la fable qui mêle l'enseignement moral à l'allégorie, et la «cantate», construction nouvelle venue d'Italie dont Jean-Baptiste Rousseau fera un magnifique usage. Des poèmes sur la peinture moderne trahissent sans doute la main de Piganiol de La Force, amateur éclairé et écrivain d'art. La critique dramatique est elle aussi de qualité. On peut penser qu'elle est due à l'abbé Nadal qui avait quelque connaissance de la question. Grand organisateur des Nuits de Sceaux, il n'avait garde de les oublier, de même que d'autres fêtes honorant des princes qui se plaisaient ailleurs qu'à Versailles. Dans le domaine comique, la sévérité à l'égard de Regnard accusé d'avilir la scène par Le Légataire universel est compensée par un jugement nuancé et réfléchi sur une des meilleures pièces de Dufresny, Le Jaloux honteux, dont le succès auprès du public n'avait pas été à la hauteur d'ambitions que le journaliste de Trévoux discerna pour sa part. Il est vrai que Dufresny n'était pas encore directeur du Mercure galant. La politique s'occupe surtout de la guerre, celle de Succession d'Espagne, où les princes amis et alliés se couvrent d'une gloire bien utile en cette fin de règne qui est l'une des plus terribles que la nation française ait connues. L'hiver de 1709, emblème effrayant de ces années, n'est pas même évoqué, sauf dans une frivole «Epigramme sur le froid» du jeune auteur dramatique Lafont (févr.-mars 1709, p. 115). Par un étrange retour de commémoration, l'inévitable Parent attendra deux ans pour en parler sur le ton de l'homme de science («Addition» de févr. 1711). Mais la cécité du Nouveau Mercure n'était pas d'un autre ordre que celle de ses confrères. Il mourut d'être la copie d'un journal que Dufresny faisait renaître avec panache à la même époque. François MOUREAU
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