ISSN 2271-1813 ...
|
|||||
Dictionnaire des journaux 1600-1789, sous la direction de Jean Sgard, Paris, Universitas, 1991: notice 980 NOUVEAU JOURNAL DES SAVANTS (1694-1698) 1] Titres Nouveau Journal des sçavans dressé à Rotterdam. Par le Sieur C***. Modification du sous-titre en 1696: dressé à Berlin. Par Mr. C***. 2] Dates Revue bimestrielle publiée à Rotterdam (1694-1695) puis à Berlin (1696-1698). 3] Description Chaque volume annuel comprend six livraisons; la collection comporte 4 volumes in-8º. 4] Publication «A Rotterdam, chez Pierre vander Slaart» (1694-1695); «à Berlin, chez Robert Roger, Imprimeur & Libraire de S.A.E.» (1696); «à Berlin chez Michel Rüdiger, Libraire» (1697-1698). 5] Collaborateurs Etienne CHAUVIN. 6] Contenu Voir l'historique. 7] Exemplaires B.N., Z 56464; B.U. Leyde, 654 H 7-10. 8] Bibliographie H.P.L.P., t. II, p. 257-258. Historique Le Nouveau Journal des savants dressé à Rotterdam (1694), puis à Berlin (1696-1698) est l'œuvre d'Etienne Chauvin (1640-1725). Né à Nîmes, formé à l'Académie protestante de cette ville, il se réfugia aux Pays-Bas. Il y fut enseignant et prédicateur, participa aux activités de l'Académie de Rotterdam et devint collaborateur de Bayle. Sa notoriété, notamment en tant qu'auteur du Lexicon rationale sive thesaurus philosophicus ordine alphabetico digestus (Rotterdam, 1692), lui valut l'invitation à Berlin du prince-électeur Frédéric III. Il y fut nommé en 1695 à la chaire de philosophie du «Collège françois», directeur de l'établissement et membre du «Conseil académique», et prodigua également un enseignement de physique aux princes de la Maison de Brandebourg. Bénéficiant de l'appui du souverain, qui le soutint dans une querelle avec le Consistoire français, représentant de l'orthodoxie, il fit évoluer les structures de l'«Athenäum Fridericianum Gallicum» en y introduisant un enseignement de type universitaire (notamment des matières de l'ancienne Université et des Académies protestantes françaises), ainsi que des «disputationes» présidées par des personnages éminents de l'Etat brandebourgeois. Entré en relation avec Leibniz, il appartint au groupe de Réfugiés berlinois qui participa à la création de la «Société (et future Académie) des sciences» (1700) et fit partie de ses premiers membres. A Berlin il élargit son Lexicon de 1692 (Lexicon philosophicum, 1713, 716 p.) pour en faire un compendium des acquis des sciences naturelles de l'époque. Cet ouvrage, qui de l'avis des contemporains transposait le cartésianisme dans le domaine des sciences, fait de Chauvin un précurseur des Encyclopédistes. Le périodique de Chauvin, qui prend pour modèle le doyen du genre créé par Denis de Sallo, tente de combler à Berlin une lacune particulièrement sensible en Allemagne du Nord, les Acta eruditorum paraissant à Leipzig et le périodique allemand de Thomasius à Halle. La capitale du Brandebourg ne disposait en effet que d'un journal considéré comme particulièrement défectueux par les contemporains. L'entreprise de Chauvin, fort de son expérience des Pays-Bas, répond aux intentions du Prince-Electeur de transposer ou de reproduire à Berlin des établissements ou institutions scientifiques prestigieuses et de faire participer sa capitale au concert intellectuel européen, poursuivant ainsi le dessein du Grand Electeur d'opérer la jonction de son Etat avec le développement matériel et celui des idées, tel qu'il s'imposait alors dans le reste de l'Europe. Elle s'inscrit plus particulièrement dans le programme de politique culturelle du premier ministre E. von Danckelmann, également responsable de la censure. Chauvin, qui invoque «sa puissante Protection», le considère comme le «Mécène des Sçavans» et le loue autant pour sa «singulière érudition et sa grande capacité» que pour le soin qu'il prend «des Belles Lettres pour les entretenir et même les faire fleurir dans les Etats de Sa Sérénité Electorale». Il est vraisemblable que Chauvin a bénéficié du soutien financier de Danckelmann. Sa disgrâce en novembre 1697, qui provoqua une réorientation de l'ambitieuse politique culturelle du Brandebourg, n'a sans doute pas été sans influence sur la disparition du Nouveau Journal, qui cesse sa parution en 1698, sans indication de raison, mais certainement pas par manque de matière ou d'auteurs à Berlin, puisque ceux-ci apportent leur contribution à d'autres gazettes. Chauvin semble également avoir été écarté du Salon tenu par Sophie Charlotte. Les liens du périodique de Chauvin avec l'Etat du Brandebourg se matérialisent de diverses façons; alors que le volume édité à Rotterdam ouvrait, en guise de révérence au pays d'accueil, avec le compte rendu d'un livre sur le vice-amiral C. Tromp, celui entrepris à Berlin débute par la recension de l'ouvrage consacré par l'historiographe Pufendorf au Grand Electeur. Les «Nouvelles littéraires», jointes à la partie consacrée à la critique des livres, apportent des informations sur la famille électorale, la vie de la Cour et sur divers événements de la vie intellectuelle de Berlin. Ainsi est mentionné en particulier le salon tenu par Ezechiel Spanheim, fin lettré imprégné de culture française, inspecteur et directeur des Colonies françaises, et le discours prononcé par le ministre Paul von Fuchs sur Alexandre von Dohna à l'occasion de la nomination de celui-ci au poste de gouverneur du Prince-Electoral est reproduit dans le Nouveau Journal. La première livraison du périodique comporte un éloge appuyé de Berlin: «il se trouve dans cette Capitale du Brandebourg un nombre considérable de Personnes Lettrées, qui tous les jours, produisent des Ouvrages d'une exquise érudition, d'oû je tire la plus grande et la plus curieuse partie de mes Extraits» (1696, Epître, p. 2 et suiv.) et «Berlin a dû songer à dresser un Journal des Sçavans, parce qu'il peut fournir lui seul de quoi en remplir, et en orner la plus grande partie» (1696, Au Lecteur, p. A2). A cet éloge sont associés les libraires de Berlin, «soigneux de se pourvoir diligemment de toutes sortes de Livres nouveaux» et en relation «avec tous les autres Etats de l'Europe, oû l'on cultive les belles Lettres et les Sciences» (Au Lecteur). Dans l'esprit de Chauvin, le Nouveau Journal devait être l'organe des érudits et des gens cultivés de Berlin, devenu membre à part entière de la République des Lettres, et qui se devait désormais d'informer l'Europe sur ses activités intellectuelles. Le périodique, soucieux de créer une véritable émulation, avait également pour mission de stimuler l'intérêt des Berlinois pour la production des livres en Europe, par delà les limites de la Colonie française, à laquelle Frédéric III avait accordé l'accès à sa bibliothèque. Chaque livraison du périodique constituait un élément d'une véritable bibliothèque en miniature et permettait au public de s'orienter dans le choix de ses achats de livres et de faire l'économie de ceux qui étaient hors de portée, tout en étant informé de leur contenu, puisque les articles comportaient, outre les analyses et les commentaires, des extraits significatifs des ouvrages recensés. Edité à Berlin, le périodique paraissait tous les deux mois et était également diffusé à Leipzig, un des centres européens du commerce du livre. Le premier numéro comporte l'appel suivant: «Ceux qui voudront y faire annoncer des Livres, qui rouleront sous la presse, ou y faire insérer de petites Pièces sçavantes et curieuses, n'ont qu'à les envoyer de bonne heure à l'Auteur de ce Journal, sous l'adresse de Robert Roger Libraire» (Au Lecteur). Dans le volume édité à Rotterdam la provenance des ouvrages analysés et commentés reflète la position dominante de l'édition néerlandaise: Pays-Bas, 29 titres; France, 13; Angleterre, 11; Allemagne, 9; Pays-Bas espagnols, 4; Suisse, 1; s.l., 5. La part des ouvrages en latin dépasse d'environ un quart celle de ceux en français, et la théologie, l'histoire et la géographie constituent les disciplines les mieux représentées. Pour les volumes berlinois la part des ouvrages en français (89) est plus importante que celle de ceux en latin (81). Si seulement trois ouvrages en allemand font l'objet d'une recension (un en néerlandais à Rotterdam), une place de choix est faite par contre à l'édition allemande (57 titres contre 53 originaires des Pays-Bas), en particulier berlinoise, dont les titres (30) sont facilement accessibles. Alors que Leipzig est peu représentée (7 titres), si l'on considère l'importance de cette place, l'édition française fournit 16 ouvrages et l'Angleterre est pratiquement absente (un titre). La théologie l'emporte (50 titres), suivie de l'histoire (40), de la médecine, de la physique et de la philosophie. Sont également recensés des ouvrages traitant de numismatique, des mathématiques, d'astronomie, de pédagogie, du droit, d'histoire littéraire, les belles-lettres étant assez peu représentées. Les questions de grammaire et de linguistique sont fréquemment abordées, et l'on trouve dans le périodique de Chauvin un écho des discussions des salons parisiens à la suite des travaux de Vaugelas et du père Bouhours. Le Nouveau Journal mentionne également les séances des «conférences sur la Langue Française» organisées par Chauvin à l'intention des Réfugiés, notamment en 1697 les «sabbatines» consacrées à des œuvres de Fontenelle, de l'abbé Saint-Réal et de La Rochefoucauld. Ces efforts correspondent à la volonté de maintenir le contact avec l'évolution de la langue, en dépit de l'éloignement et de l'isolement de Berlin. La tendance au purisme linguistique est une réaction à la défiance manifestée dès 1691 par exemple par Racine à l'égard de ce que Voltaire condamnera plus tard comme «style réfugié». L'intérêt pour les questions linguistiques est également à mettre en rapport avec les problèmes auxquels se trouvent confrontés les Réfugiés en tant que traducteurs, et il témoigne de la volonté d'éveiller dans la société berlinoise maîtrisant le français le désir d'améliorer son style. Le Nouveau Journal, qui rend compte en juillet-août 1696 d'une Dissertation sur la Prononciation de la Langue Françoise, et sur la nécessité des accens pour la règler et pour la fixer, annonce en 1698 la création à l'Université de Francfort-sur-l'Oder d'une chaire de langue française, afin que les sujets du Prince-Electeur «puissent facilement apprendre une langue, que l'on parle aujourd-huy dans presque toutes les cours d'Europe». La présence dans les Etats du Prince-Electeur d'une importante colonie française constituait pour le périodique de Chauvin un atout important. Mais celui-ci visait également, par delà le Refuge, en leur évitant la lecture pénible d'ouvrages en latin, les milieux diplomatiques et de la Cour, ainsi que ceux que Jean Barbeyrac appellera plus tard «les Gens sans Lettres» et les «Jeunes Gens qui se destinent à l'étude», auxquels il destine ses traductions-adaptations des travaux de Pufendorf. Parmi les auteurs contribuant au Nouveau Journal se trouvent des collègues de Chauvin au «Collège françois», Leibniz fournissant également certaines précisions concernant des ouvrages nouvellement parus. Jean Audouy est l'auteur de plusieurs contributions sur des auteurs anciens et des textes bibliques. Le bénédictin converti, futur bibliothécaire royal et successeur de Chauvin dans la chaire de philosophie, La Croze, est l'auteur du compte rendu de la Dissertation du faux Sublime dans le discours de Werenfeld. Jean Barbeyrac, collègue et futur gendre de Chauvin, fournit une étude philologique et un texte de critique biblique qui font référence à J. Le Clerc, pourtant considéré comme hétérodoxe par le Consistoire français de Berlin. L'éventail des opinions représentées dans le Nouveau Journal est cependant large, puisqu'on y trouve un éloge de la science de l'interprétation et le Discours adressé à la Colonie Palatine de Stendal dans l'église de Sainte-Elisabeth par F. Gaultier, farouche défenseur de l'orthodoxie à Berlin. Chauvin bénéficia de la compétence de Charles Ancillon, juriste, historien et Juge supérieur de la Colonie française pour les ouvrages juridiques. On trouve également dans le Nouveau Journal plusieurs développements sur le droit naturel, ce qui ne peut étonner de la part de Réfugiés, éminemment sensibles au problème de la tolérance. Ainsi les deux articles anonymes (certains les attribuent à l'historiographe du Prince-Electeur, le Nîmois réfugié Antoine Teissier) consacrés à une réédition de l'ouvrage de Hugo Grotius De Jure belli ac pacis libri tres constituent une véritable esquisse de l'histoire du droit naturel, auquel sont consacrés de nombreux travaux en Allemagne, ainsi que des chaires, comme celle de Pufendorf à Heidelberg (1661) et de Thomasius à Halle. Les Réfugiés sont invités à consacrer des travaux à ce domaine du droit que Barbeyrac contribuera plus tard à faire connaître au public de langue française. Largement affranchi, grâce à l'appui du pouvoir politique, de la tutelle étroite du Consistoire français, Chauvin avait pour ambition de reconstituer sur les rives de la Sprée un peu de l'atmosphère intellectuelle des Pays-Bas. Leibniz tirera argument de l'existence du Nouveau Journal à Berlin, preuve selon lui de la capacité de la ville et de l'Etat d'entretenir une «Congrégation Sçavante», dans le cadre de ses efforts auprès du Prince-Electeur pour obtenir la création d'une Académie des sciences. Frédéric HARTWEG
Merci d'utiliser ce lien pour communiquer des corrections ou additions. © Universitas 1991-2024, ISBN 978-2-84559-070-0 (édition électronique) |