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Dictionnaire des journaux 1600-1789, sous la direction de Jean Sgard, Paris, Universitas, 1991: notice 831 LETTRES PASTORALES (1686-1694) 1] Titres Lettres pastorales adressées aux fidèles de France qui gémissent sous la captivité de Babylone. 2] Dates 1er septembre 1686 - 1er décembre 1694. Trois volumes. La périodicité annoncée dans le numéro 1 est bimensuelle. Elle est tenue jusqu'au 1er juillet 1689. Interruption. En 1694 l'auteur donne encore trois numéros les 1er novembre, 15 novembre, et 1er décembre, qu'il numérote XXII, XXIII et XXIV pour compléter les trois qui manquaient à la 3e année. Première année: 1er sept. 1686 - 15 août 1687, 24 lettres, 220 p. + index; deuxième année: 1er sept. 1687 - 15 août 1688, 24 lettres, 220 p. + index; troisième année: 1er sept. 1688 - 1er juil. 1689, 21 lettres, 177 p. + index (le 3e tome est complété, après l'index, par les lettres de 1694). 3] Description Chaque numéro comporte 8 p., sur 2 colonnes, in-4º, 180 x 230. Le texte est très serré, les caractères très petits, sauf pour les numéros de 1694, bien moins compacts. 4] Publication Abraham Acher, à Rotterdam, sur le Visserdick près de la Bourse. 5] Collaborateurs Pierre JURIEU. 6] Contenu Le périodique tire son nom de la fameuse Lettre pastorale adressée par Bossuet, pour Pâques 1686, aux «nouveaux catholiques» de son diocèse, ce qui indique dès l'abord une intention polémique de la part du célèbre théologien réformé du Refuge hollandais, à l'égard des agents de «Babylone», c'est-à-dire l'Eglise de Rome. Chacun des trois volumes porte un long sous-titre, qui varie, d'ailleurs, indicateur du projet de l'auteur: Premier volume: Lettres pastorales adressées aux fidèles de France qui gémissent sous la captivité de Babylone, «où sont dissipées les illusions que M. de Meaux dans sa Lettre pastorale et les autres convertisseurs emploient pour séduire. Et où l'on trouvera aussi les principaux événements de la présente persécution». Deuxième volume: Lettres pastorales adressées aux fidèles persécutés de France, seconde année, «où l'on trouvera une réfutation du livre de M. Pélisson intitulé: Réflexions sur les différents de Religion... comme aussi la réfutation des sophismes des autres convertisseurs, principalement sur l'autorité de l'Eglise». Troisième volume: Lettres pastorales adressées aux fidèles de France qui gémissent sous la captivité de Babylone, «où l'on continue à dissiper les sophismes par lesquels l'évêque de Meaux, le Sieur Pélisson et d'autres pervertisseurs veulent faire illusion à leurs nouveaux convertis». L'auteur se propose d'exhorter et d'instruire en donnant aux fidèles persécutés des arguments contre leurs convertisseurs, et de les consoler en leur prêchant la patience et l'espérance. Mais il veut aussi donner les nouvelles «de la présente persécution». Il ne faillira pas à cette tâche historique. On trouve, dans chaque numéro, des lettres ou des récits de «confesseurs», venus de tout le royaume. Ce qui conduit l'auteur à mettre en question la puissance du souverain et les limites du devoir d'obéissance. Les Lettres XVI et XVII du t. III sont entièrement consacrées à cette analyse politique, et non seulement démontrent le droit des consciences à la résistance, mais affirment que la souveraineté vient du peuple, avec lequel celui qui l'exerce doit passer contrat. Les événements d'Angleterre, la révolution de 1688 et la personnalité du nouveau roi Guillaume lui servent constamment de référence et d'exemple. Les principaux auteurs avec lesquels Jurieu polémique sont: Grotius, Bossuet, Nicole et Pélisson, sur les notions de schisme, d'autorité, de sacrement, d'interprétation des Ecritures et en particulier des prophéties, de «système de l'Eglise», et «de la nature et de la grâce». On trouve des tables à la fin de chaque volume, sous le titre: Indice. 7] Exemplaires B.N., 4º Ld176 549 B (3 tomes en un volume); B.H.P., R 1241 (même édition que la B.N.). Il y eut plusieurs rééditions, et une édition in-12, pour chaque année, datée de celle de sa parution (1687, 1688, 1689). La B.H.P. possède plusieurs éditions, in-4º et in-12. 8] Bibliographie DP2, art. «Jurieu». Chauffepié, Nouveau Dictionnaire historique et critique, 1753, p. 57-82. – Puaux F., Les Défenseurs de la souveraineté du peuple sous le règne de Louis XIV, Paris, 1917. – Dodge G.H., The Political Theory of the Huguenots of the Dispersion, Columbia University Press, 1946. Historique En 1686, Jurieu est pasteur à Rotterdam depuis quatre ans. Il controverse avec Bossuet et Nicole depuis longtemps, mais la Révocation, l'arrivée des réfugiés et les nouvelles de France le décident à tenter une action directe et continue auprès de ses coreligionnaires restés en France. C'est la lecture de la Lettre pastorale de Bossuet, de Pâques 1686, affirmant que les nouveaux convertis n'avaient subi aucune violence de la part de l'Eglise romaine, qui lui fournit à la fois le titre de sa publication et l'impulsion indignée nécessaire pour le lancement d'un périodique de combat. Il veut instruire, informer, consoler ses frères de France, ce qui est bien la tâche d'un pasteur. De plus, il a la conviction d'avoir un message important à transmettre concernant l'eschatologie. La lecture de l'Apocalypse, en particulier du chapitre XI, l'a persuadé ainsi qu'il l'a déclaré à la première page de son livre, L'Accomplissement des prophéties, paru cette même année 1686, que «le papisme est l'empire anti-chrétien, que cet empire n'est pas éloigné de sa ruine, que cette ruine doit commencer dans peu de temps, que la persécution présente peut finir dans trois ans et demi. Après quoi commencera la destruction de l'Antéchrist, laquelle se continuera dans le reste de ce siècle et s'achèvera dans le commencement du siècle prochain et enfin le règne de Jésus-Christ viendra sur la terre». Les feuilles des L.P. commencent donc à passer la frontière, malgré la police et, «de l'aveu des évêques et des intendants, elles ramenèrent à l'Eglise protestante une foule de personnes qui avaient abjuré pendant les dragonnades», déclare Haag dans l'article Jurieu de la France protestante, qui, par ailleurs ne lui est pas très favorable. Et F. Puaux renchérit: «Les Lettres pastorales qui échappaient à la surveillance des commis du Roi pour les livres défendus, parurent à Bossuet plus dangereuses et dignes de réponse que les lourds livres de controverse. Les plus graves questions se posaient devant le peuple grâce à ces feuilles volantes, que parfois les chiourmes saisissaient sur les galères et que les paysans du Poitou et les montagnards des Cévennes lisaient à leurs foyers désolés». Bossuet prit la plume et deux années durant (1689-1690) se succédèrent «Les avertissements aux protestants sur les lettres du ministre Jurieu». Dans le monde protestant européen, ce périodique ne passe pas inaperçu: un professeur de théologie de Marbourg, Samuel Andreae en donne une édition en allemand. En Angleterre, il est lu et approuvé par l'évêque de Colchester en 1687. Très bien reçu aussi par la duchesse de Brunschwick, de qui Jurieu reçoit des fonds importants pour aider les réfugiés (article «Jurieu» dans le Dictionnaire de Chauffepié). Pendant près de trois années, Jurieu maintient son rythme, son élan, son mordant, son souffle. On pourrait même dire qu'il n'a jamais été aussi convaincant ni aussi éloquent qu'au printemps 1689, peu avant que, dans la Lettre XXI du 1er juillet, il ne prenne congé. Dans ce troisième tome il semble avoir trouvé son ton et précisé son message: une lecture des événements contemporains à la lumière de son interprétation du message biblique. Parlant dans la Lettre IX (1er janv. 1689) des enfants qui prophétisent en Dauphiné, il revient à l'Apocalypse à partir de laquelle il avait annoncé, pour le milieu de cette année 1689, la fin de la persécution en France et l'entrée en scène d'un «témoin du salut» qui provoquerait la conversion à la vraie foi de toute la France. A mesure qu'avance l'année, il est de plus en plus persuadé que ces prophéties s'accomplissent non pas en France, mais en Angleterre, et les Lettres IX à XXI qui ne donnent plus que peu de nouvelles de France, suivent la révolution anglaise et assimilent Guillaume d'Orange à ce témoin salutaire qui rendra à tous la liberté de conscience. Cette perspective, toute délirante qu'elle puisse paraître en son point de départ, amène une analyse politique des événements qui se poursuit de lettre en lettre, permettant de placer Jurieu, comme dit Puaux, parmi «les défenseurs de la souveraineté du peuple sous Louis XIV» et donnant à sa pensée une audace, une clairvoyance et une modernité que G.H. Dodge souligne dans son livre. Cependant autour de Jurieu, au Refuge, les disputes vont bon train. Les docteurs protestants, Bayle en tête, l'attaquent de toutes parts, et la controverse en France catholique ne l'épargne pas. Et il sait que ses lecteurs en France, ceux qui comptaient les mois jusqu'au terme prédit pour la délivrance, galvanisés par cette espérance dont il les a entretenus depuis trois ans, commencent à douter. Ils ne voient aucun signe de détente dans la persécution. Que la révolution, la liberté de conscience adviennent en Angleterre, ne les concerne ni ne les console. Comme le dira plus tard Voltaire: Jurieu «écrivit en fol et fit le prophète: il prédit que le royaume de France éprouverait des révolutions qui ne sont jamais arrivées» (Voltaire, Discours en vers, cité par Chauffepié, op. cit.; Moland, t. IX, p. 396). Cette déception de ceux dont Jurieu voulait être le pasteur et qu'il a peut-être trompés, précipite l'arrêt du périodique alors qu'il ne reste plus que trois numéros pour atteindre le chiffre de l'année. Ces trois numéros, il les donnera quand même, mais seulement cinq ans plus tard. Expliquant son long silence par une «maladie d'épuisement» dans laquelle il est tombé alors qu'il travaillait à une réfutation de Bossuet sur les prophéties, il s'efforce de «recommencer les entretiens pour nous consoler avec vous», en prenant pour thème «le délai de Dieu pour la délivrance» et d'exhorter les persécutés en France, comme les exilés ailleurs, à prendre patience et à accepter leurs souffrances. Le cœur, l'élan, l'espoir n'y étant plus, ce message peu exaltant ne sauva pas les Lettres pastorales. Madeleine FABRE
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