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Dictionnaire des journaux 1600-1789, sous la direction de Jean Sgard, Paris, Universitas, 1991: notice 467 FEUILLE LITTÉRAIRE [TOULOUSE] (1760) 1] Titres Feuille litteraire, sur les Sciences et les Beaux Arts. 2] Dates Janvier - juillet (ou août) 1760. Trente livraisons. Périodicité annoncée: hebdomadaire (d'abord tous les jeudis, puis, à partir du nº 16, tous les samedis). Périodicité qui semble avoir été respectée. Simplement, la feuille n'a pas paru le jeudi précédant Pâques. 3] Description Volume factice qui regroupe avec les trente livraisons (120 p., chaque livraison étant de 4 p.) d'autres pièces (dont des critiques lancées contre les Feuilles littéraires). In-4º, 190 x 230. 4] Publication A Toulouse, chez le Sr Rayet, imprimeur-libraire, place du Palais (nº 1-14). A Toulouse chez J. Auridan, Imprimeur-libraire, rue Nazareth (nº 15) et chez J. Rellier, marchand libraire, près la petite porte du Palais (nº 16-30). Prix: 2 s. 6] Contenu Contenu annoncé: l'objet de la feuille «n'est autre chose que l'utilité publique, le bien des sciences et celui des arts. C'est une digue qu'on a opposée au mauvais goût, une école ouverte à l'ignorance, des leçons présentées à la fatuité». Les sciences et les beaux-arts étant «les seules richesses de l'homme et ses seuls plaisirs», «travailler à leur rétablissement, c'est s'occuper du bonheur de l'Univers et de sa gloire» (nº 1, p. 4). Contenu réel: chaque feuille est assortie d'un titre (qui indique le thème) et emprunte ses exemples aux différents domaines de l'art (littérature, mais aussi architecture, sculpture, peinture, musique vocale ou instrumentale). Principales matières abordées: problèmes relatifs à l'art (objet, modèle, perfection, travail, règles) et à l'artiste (génie universel ou limité à un seul genre, génie et cœur, amour de la gloire et appât du gain, orgueil et présomption, sort difficultueux); l'esprit, le bel esprit, les abus de l'esprit; les livres («laboratoires de l'esprit», nº 17), journaux (leurs défauts, nº 12), lectures (méthode), langues (langues savantes, rapports expression-pensée); la femme: éducation, supériorité (nº 3); réponses à des critiques ayant elles-mêmes pour la plupart paru sous forme périodique. Principaux centres d'intérêt: position littéraire marquée au coin du classicisme: éloge du «siècle de Louis XIV» à travers sa floraison d'artistes protégés par le roi; hostilité aux romans et aux contes; reconnaissance de la souveraineté de la France dans les arts (face à l'Angleterre); position philosophique défavorable aux Lumières: dénonciation du «libertinage d'esprit qui caractérise le siècle» (nº 4), de «cette philosophie moderne qui dégrade l'humanité et inquiète l'homme» (nº 13), qu'il s'agisse du déisme, du scepticisme, du naturalisme...; revendication d'un enseignement du français dans les classes, suggestion de la création d'écoles des arts dans les provinces, rappel de la nécessité du dessin en architecture. Principaux auteurs évoqués: en dehors des écrivains anciens (grecs et latins) et des artistes du XVIIe siècle classique, citons, outre Fontenelle (exemple d'esprit universel), des philosophes vivement critiqués: Bayle, Voltaire («drapeau de l'irréligion» et «étendard du libertinage», nº 30), Rousseau («misanthrope marécageux», nº 2 et 6), Maupertuis, Helvétius. Mention également de Pope et Milton. 7] Exemplaires B.M. Toulouse, Rés. C XVIII 246 (1). 8] Bibliographie Cf. Apologie des Feuilles littéraires (1760), Carnavalade-Carêmade-Paschade (1760). Historique A une époque où les journaux littéraires connaissent un plein essor (Année littéraire, Observateur littéraire), il n'est pas étonnant qu'une ville comme Toulouse ait voulu se doter de sa propre feuille littéraire. Et c'est sans doute comme une sorte d'émule des Fréron, La Porte, Palissot... qu'a voulu apparaître l'auteur (inconnu) de la Feuille de 1760, même s'il s'attache moins à rendre compte des livres nouveaux qu'à dessiner une réflexion esthétique d'ordre général à la lumière des grandes œuvres du passé et des ouvrages modernes. Imprimée d'abord par Jean Rayet dont les presses travaillent surtout pour des «ouvrages de ville», puis par Jean Auridan, spécialiste, lui, des ouvrages du Palais (cf. Etat des imprimeurs, 20 nov. 1758, A.D. Haute-Garonne, C 147, nº 33), la Feuille littéraire n'est assurément pas passée inaperçue, à Toulouse du moins, si l'on en juge par le nombre de critiques qu'elle a soulevées. Faut-il y voir la réaction jalouse d'un ou plusieurs confrères excédés par les allusions désobligeantes de la Feuille aux «faux artistes» (nº 6), «écrivains affamés», «plumes mercenaires» (nº 28) invités sans ménagement à retourner à la bêche et à la charrue (nº 2)? On serait tenté de le croire quand le critique se présente lui-même ironiquement comme un «gâte-métier» ou quand, dans sa réponse, l'auteur de la Feuille lui reproche précisément d'avoir voulu se reconnaître dans des «portraits d'imagination» (nº 6). Quoi qu'il en soit, il est intéressant de noter que la controverse s'est surtout déroulée dans le cadre de publications périodiques, comme si on ne pouvait répliquer à un périodique que par un périodique. C'est ainsi que paraissent, également hebdomadaires, l'Apologie des Feuilles littéraires (distribuée le mercredi, la veille de la distribution des Feuilles) et la série Carnavalade-Carêmade-Paschade dont l'auteur ne cache pas sa volonté de contrecarrer la Feuille et de la faire tomber. La vivacité du débat d'où les injures ne sont pas épargnées (qu'elles touchent l'écrivain, traité d'«ignorant», d'«insensé», d'«idiot» ou le périodique: la Feuille parle à propos de l'Apologie de «Singe hebdomadaire») est confirmée par deux lettres anonymes. L'une intitulée Lettre du Chevalier de C... au Marquis de B... (s.l.n.d.), suggère bien l'atmosphère de la cité troublée par la polémique et inondée de productions périodiques: «on n'entend autre chose que brailler dans les rues: Qui veut le Feuille hebdomadaire? Qui veut le Feuille litteraire? Ceux-ci vendent des Réponses, ceux-là des Apologies [...] Partout des Feuilles, toujours des Feuilles et quelles Feuilles encore?». L'autre, Lettre à l'Autheur de la Feuille litteraire, sur les Sciences, et les Arts (s.l.n.d.), contemporaine des derniers numéros, dénonce le «ton de législateur» qu'adopte l'auteur des Feuilles légiférant en matière d'arts qu'il ignore, et critique sévèrement son style. Est-ce sous la pression de ces marques d'hostilité répétées que l'auteur de la Feuille littéraire, qui réplique à cette dernière Lettre dans sa 30e livraison, a renoncé à son entreprise? Il est difficile de répondre. Mais, à tout le moins, cet épisode montre que «le radotage», pour reprendre les termes du chevalier de C..., «peu satisfait d'avoir subjugué la capitale, vient encore fourrager dans la province». Robert GRANDEROUTE
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