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Dictionnaire des journaux 1600-1789, sous la direction de Jean Sgard, Paris, Universitas, 1991: notice 235 CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE SECRÈTE (1775-1793) 1] Titres Correspondance Litteraire Secrete. Le titre de la Correspondance dite de Mettra est suivi, lors de la publication du premier numéro, de la formule suivante: «Pour former un Recueil annuel de toutes les Nouveautés curieuses de France». Devient à partir du 27 avril 1793: Correspondance Politique et Litteraire Faisant suite à la Correspondance Litteraire Secrete. Daté du 22 décembre 1793, son dernier numéro finit par cette notice: «La Correspondance politique & littéraire cesse de ce moment. Elle sera remplacée au 1 janvier 1794, par l'Histoire du tems present, feuille qui paroîtra tous les jours excepté le dimanche, format de Gazettes in-4 à deux colonnes. On souscrit à tous les bureaux de poste.» Le prospectus de l'Histoire du tems présent figure à la fin du nº 102 (24 nov. 1793). Toutefois, ce journal ne semble jamais avoir vu le jour. 2] Dates Mercredi 7 janvier 1775 - jeudi 22 décembre 1793. 19 vol. Le 22 février 1785 seulement, la gazette atteste elle-même son lieu de publication: Neuwied sur le Rhin, où elle fut imprimée à «la Société typographique privilégiée de Mgr. le Prince de Wied». Périodicité hebdomadaire. A partir du 27 avril 1793, elle parut deux fois par semaine et, dans une note du 3 août 1793, on apprend qu'elle paraîtra par la suite trois fois par semaine, les lundi, jeudi et samedi. Chaque volume renferme une année. 3] Description A l'exception du volume de l'année 1793 qui renferme 115 numéros, les volumes de la Correspondance littéraire secrète se composent de 52 numéros, chacun, en règle générale, de 8 p., 111 x 183. Le cas échéant, l'éditeur juge utile de donner à ses lecteurs un supplément au numéro hebdomadaire. Du mois de janvier au mois de juillet 1793, l'étendue des numéros varie entre 4 et 8 p. A partir du 3 août 1793, tous les numéros ont 4 p., à l'exception de ceux des 30 septembre, 6 octobre et 24 novembre qui ont 8 p. Les volumes, in-8º, renferment environ 400 p.: en 1777, 443 p., en 1792, 348 p. et en 1793, 582 p. Un cul-de-lampe orne les premiers numéros de 1775. La Correspondance littéraire secrète ne porte aucune devise. Elle renferme un certain nombre d'illustrations. Le 17 décembre 1786, l'éditeur écrit: Cette feuille qui jouit de quelque réputation, depuis plusieurs années, pourra acquérir un nouveau prix par les Gravures dont les éditeurs ont résolu de l'orner de tems en tems. C'est un hommage de leur reconnoissance envers le public. Même avant 1786, quelques gravures sont reproduites dans la gazette: le 16 septembre 1780, il y a, par exemple, un «Plan des nouvelles Constructions sur l'emplacement de l'hôtel de Condé»; au premier numéro de 1784 figurent les gravures des ballons de Montgolfier et de Charles; le 9 septembre 1786, on trouve les portraits de six personnes souvent mentionnées dans la gazette, etc. 4] Publication La Correspondance littéraire secrète ne révèle ni son lieu de publication ni le nom de son éditeur. Sans compter les nº 16-45 (27 avril 1793 - 3 août 1793), qui sont datés de Neuwied, les feuilles de la gazette sont toutes datées de Paris. Mais y ont-elles également été publiées? Les informations contemporaines sont vagues et contradictoires. Le 13 mars 1775, les Mémoires secrets signalent: «On reçoit d'Allemagne de petites feuilles imprimées, ayant pour titre: Correspondance littéraire secrete. Elles sont par numéros.» Ailleurs, on trouve cités Munster et Cologne, pour les années 1780 et 1781 (La Bastille dévoilée, t. VII, p. 126 et t. VIII, p. 19), ou bien Mantes (Les Lettres de cachet à Paris, p. 407). Mais, s'il faut en juger par une lettre de Mettra du 6 juin 1796, la gazette fut publiée à Cologne, de 1780 à 1784: On m'accuse d'avoir fait une gazette repréhensible. Il est vrai qu'il s'est fait une gazette chez moi; mais ce n'est point moi qui l'ai faite. Depuis près de quinze ans, il n'a été rien imprimé de moi en ce genre; la littérature ne s'accordoit point avec les soins de la conduite d'un établissement que j'ai formé en 1780 sur les bords du rhein près de Cologne, transporté à Neuwied à l'occasion de la débacle des glaces qui l'avoit presqu'entierement détruit en 1784, et qui y étoit devenu l'un des plus considérables d'imprimerie de l'allemagne, jusqu'au bombardement de l'année derniere. Je vous proteste, Monsieur, que le manuscrit de ces feuilles venoit de Paris tel que je l'imprimois et distribuois [...]. (Acta über den zur Zeit in Leipzig sich aufhaltenden Buchhändler Mettra. Voir aussi Fontius, p.420-421). Notons toutefois que Mettra ne dit rien sur les années 1775 à 1780. Pour cette époque, il y a deux témoignages contradictoires: d'une part, l'article des M.S. qui dit que la Correspondance venait d'Allemagne, d'autre part une annonce, insérée dans L'Année littéraire (1775, t. II, p. 141-142), Le Journal de politique et de littérature (1775, t. III, nº 26, 15 sept. 1775) et le Journal encyclopédique (août 1775, p. 549). Cette annonce signale aux lecteurs que, pour se procurer l'ouvrage de Ricaud de Tirgale intitulé Médailles sur les principaux évènemens de la Maison de Brandebourg, ils peuvent souscrire «à Paris chez M. Mettra, Agent de Sa Majesté le Roi de Prusse, rue & vis-à-vis l'Abbaye Saint-Victor, & à l'Hôtel de Thou, rue des Poitevins». «La Souscription sera ouverte, y apprend-on, jusqu'à la fin de cette année 1775», mais «ce ne sera qu'à la fin de l'année 1776 que l'on pourra livrer l'ouvrage». L'auteur de l'article des M.S. a-t-il commis une erreur en parlant de l'Allemagne? Ou Mettra, résidant toujours à Paris, avait-il des amis en Allemagne qui y publiaient sa Correspondance? Peut-être Mettra ne fut-il pas l'éditeur de la publication à son début? Avant de trouver des documents qui nous donnent des renseignements plus précis à ce sujet, nous devons nous contenter de ces informations malheureusement très vagues. En février 1785, la Correspondance signale elle-même, on l'a vu, son lieu de publication à Neuwied. La Société typographique, située, à ce qu'il paraît, dans une maison de la Friedrichstrasse, entre la Rheinstrasse et la Kirchstrasse, a donné lieu à quelques lignes éloquentes de Beaunoir sur Mettra, sa Société typographique et la Correspondance littéraire secrète (Voyage sur le Rhin, t. I, p. 144-145). Nos recherches ne nous ont pas permis de trouver des indications précises sur le nombre des abonnés ou le tirage. Les informations que nous donne la Correspondance sur sa clientèle sont très sommaires. De l'Avis précédant le nº 1 de 1775 il ressort cependant qu'elle s'adressait surtout aux étrangers. Le rédacteur y indique que sa gazette était destinée aux personnes qui habitaient «dans les Pays Etrangers», «à certains Etrangers amateurs respectables de notre Litterature». Quant à la souscription, nous savons, par les quelques notices trouvées dans la Correspondance littéraire secrète, qu'elle coûtait assez cher à l'époque. L'Avis du 7 janvier 1775 nous apprend que l'éditeur ne prétendait pas à une «spéculation pécuniaire», car la feuille «seroit d'une trop foible conséquence, vû le très petit nombre d'amateurs aux quels la prudence permet de la communiquer». Il n'en pensait pas moins que ceux qui souscrivaient à la Correspondance «ne se refuseroient pas à concourir de quelques Ducats par an, aux differents frais, même assez considerables, qu'exigera cette feuille, pour son Exécution & son Expédition». En 1787, la gazette valait, à Neuwied, 11 florins d'Empire et, «hors de l'étendue des postes impériales», le prix était de 36 # tournois. L'abonnement annuel montait, en 1791, à un louis d'or ou 24 # tournois et, à partir du 3 août 1793, la revue coûtait, de nouveau, 11 florins d'Empire. Le tirage a donc dû être fort limité. Nous savons que la Correspondance littéraire secrète jouit d'un grand succès à l'époque, ce qui est attesté aussi bien par la Correspondance elle-même que par la Correspondance secrète, politique et littéraire (Londres, 1787-1790). Dans la préface de cet ouvrage, on lit les lignes suivantes: «la cherté de [la Correspondance littéraire secrète] & la circonspection avec laquelle elle a été distribuée, ont empêché qu'elle fût fort répandue. Les premières années de cet ouvrage périodique qui se continue avec succès, sont presque introuvables dans le commerce où on les vend à un prix exorbitant». Ces mots confirment l'heureux résultat de l'entreprise de Mettra constaté déjà le 9 décembre 1775, date à laquelle on lit, dans la Correspondance: Avis. L'Editeur de cette follicule n'avoit fait imprimer qu'un petit nombre d'exemplaires de chaque No., au delà de celui nécessaire pour les abonnés. Mais comme les nouveaux amateurs qui se sont annoncés pour l'année prochaine ont souhaité d'avoir la collection de cette année expirante, ce à quoi on ne pourroit satisfaire que par une réimpression entiere qui exige une dépense assez considerable, l'Editeur prie les amateurs non encore connus de vouloir s'annoncer au plutôt, afin qu'il puisse déterminer, d'après le nombre des demandeurs, si la réimpression peut avoir lieu, et dans ce cas, la faire faire promptement. Comme il a uniquement en vue de complaire par cette réimpression aux nouveaux abonnés, on leur fournira la Collection complette des 52. Nos. de l'année 1775. pour le prix de 30 Liv., prix bien inferieur à celui qu'elle a coûté dans le cours de l'année. Dans plusieurs périodiques de l'époque, on trouve des articles empruntés à la feuille de Mettra. De 1776 à 1779 ainsi qu'en 1793, des journaux suédois en publièrent certains passages. Plus importants sont toutefois les larges extraits de la Correspondance (il y a souvent même des numéros in extenso) qui furent réimprimés dans l'édition pirate du Mercure de France, publiée à Amsterdam par les soins de Marc-Michel Rey et dont nous avons pu consulter les volumes de 1777 à 1780 ainsi que le premier volume de 1781. En juin 1778, Rey dit: «Nous continuerons d'y [dans le Mercure édité à Amsterdam] insérer de temps en temps des Additions intéressantes, dont on ne permettroit pas la publication à Paris». Or, une très grande partie de ces Additions sont justement empruntées à la gazette de Mettra. 5] Collaborateurs METTRA, IMBERT, LE TELLIER, BARTH, BEAUNOIR, GRIMOD DE LA REYNIÈRE, voilà les personnes dont les noms sont associés à la Correspondance littéraire secrète. Comme le plus grand nombre des articles de la Correspondance sont anonymes, il est toutefois difficile de déterminer avec précision la part prise par chacun d'eux à la rédaction de la gazette (voir l'historique). 6] Contenu Les numéros de la Correspondance littéraire secrète ont le caractère de missives personnelles adressées à Monsieur un tel, et ils renferment toutes sortes de nouvelles provenant, en premier lieu, de Paris. A la différence de plusieurs correspondances littéraires qui circulaient au XVIIIe siècle, celle de Mettra était imprimée. Dans l'Avis du 7 janvier 1775, il dit: «Comme cependant, il auroit été pénible d'en multiplier à un certain point, des copies manuscrites, & de les expedier assez exactement & promptement, aux participans, le Rédacteur s'est procuré une petite Imprimerie portative de Cabinet, au moyen de la quelle cette feuille sera transcrite & expediée sous ses yeux». Grosso modo, Mettra restera fidèle, pendant toute l'existence de la Correspondance littéraire secrète, au programme annoncé dans l'Avis de 1775: Paris voit éclore journellement des Productions Litteraires de toutes especes, & l'amour des Lettres étant aujourd'hui la passion dont s'honorent les personnes bien élevées des deux sexes, celles qui habitent dans les Pays Etrangers, ne manquent point de chercher dans nos differentes feuilles periodiques, une idée, une notion de nos divers ouvrages nouveaux, bons ou médiocres; mais ces Productions imprimées & rendues publiques, sans doute les plus utiles & les plus conséquentes, ne laissent pas moins aux Etrangers qui ont de l'esprit & du goût, un desir ardent de connoître une autre espece de Production Litteraire, si courue, si fréquente à Paris & qu'on appelle Pieces de Société, Ouvrages éphéméres...; Leur peu d'étendue, le sujet, & le ton méchant, trop libre ou malin de ces sortes de Productions, ne permettent point de les imprimer, ni même de les publier par les Journaux, ainsi à l'exception de la bonne compagnie de Paris, qui raffole de ces Pieces pendant 24. heures, puis les oublie, pour s'occuper aussi peu de temps, des nouvelles qui leur succedent, peu de gens les ont dehors [...]! Pour rendre cette feuille d'autant plus satisfaisante, le Rédacteur se propose d'y annoncer certaines Nouveautés curieuses, relativement aux Sçiences, aux Belles-Lettres, aux Arts, à nos differens Spectacles, aux Modes même [...]. Lorsque quelques Evenemens ou Avantures, quelques Anecdotes paraîtront au Rédacteur, pouvoir intéresser ou amuser les Lecteurs de cette feuille, il les y insérera. Mettra se propose de remplir les lacunes laissées par les autres journalistes, qui n'osent pas enfreindre les règles de la censure. «Il y indiquera quelques Livres ou Brochures nouvellement connus, dont les journaux n'oseroient parler ou des quels ils ne devroient parler que trés tard; mais l'Extrait ou la Notice que l'on en donnera, ne sera point à la maniere methodique & souvent fausse, partiale ou fastidieuse des Journalistes». L'importance attachée aux ouvrages d'un caractère éphémère et secret, voilà ce qui constitue donc une des particularités de la Correspondance d'avant la Révolution. Il faut amuser les souscripteurs et ce sont justement les articles piquants et frondeurs qui les amusent. Les écrivains qui causent du scandale, les ouvrages prohibés par la censure et par là même difficiles à trouver par les lecteurs, c'est le pivot sur lequel tourne la Correspondance. L'Histoire philosophique des deux Indes valut à son auteur l'abbé Raynal d'être condamné à l'exil; on trouve, dans la Correspondance, plusieurs articles à ce sujet. Les «tableaux vrais de ce qui se passe journellement dans les classes inférieures de la société» (4 oct. 1777), écrits par Restif de la Bretonne, soulèvent de longues discussions dans la gazette. Que le Tableau de Paris de Louis-Sébastien Mercier fût prohibé était, aux yeux de Mettra, une raison suffisante pour en parler. Mais cela n'empêche pas que la Correspondance renferme également un grand nombre d'articles plus sérieux: Beaumarchais, Buffon, Diderot, Marmontel, Montesquieu, Rousseau, Voltaire et bien d'autres écrivains sont, naturellement, représentés aussi bien par des lettres ou des vers que par des anecdotes. Dans la gazette figurent aussi des vers dus à Boufflers, Ducis, Florian, François de Neufchâteau, Roucher, etc. Bien qu'il édite une revue de contenu principalement littéraire, Mettra refuse catégoriquement de prendre position au sujet des théories littéraires: «Je ne suis d'aucun parti, je ne suis aggrégé à aucune des factions qui divisent la République des Lettres», dit-il (14 déc. 1776). Mais il ne s'abstient pas pour autant de commenter les querelles littéraires, et souvent d'une manière fort ironique et acerbe. Les philosophes, avec leur esprit de secte, sont bafoués dans la revue, l'Académie française y est souvent en butte aux remarques méchantes et railleuses. Victime, à plusieurs reprises, des moqueries impitoyables de Mettra, La Harpe donne lieu à la remarque suivante (19 août 1775): [La Harpe] est un des Seids du parti encyclopédiste; les honnêtes gens rougissent de cet esprit de division qui partage aujourd'hui la Litterature, & l'académie achève de se deshonorer en recompensant souvent malgré le jugement public, des ouvrages qui partent de cette Secte à présent la dominante. Bientôt il n'y aura plus de gens de lettres qui soient jaloux des honneurs académiques: ce corps est trop livré à l'injustice & à la médiocrité pour qu'on soit tenté d'y être admis. C'est ainsi que les meilleures institutions se dénaturent, elles finissent par l'abus & l'avilissement. Citons un autre passage qui caractérise bien l'attitude de la Correspondance, au début de son existence, envers les philosophes et l'Académie française (16 déc. 1775): Il est bien décidé qu'il n'y aura que les Encyclopédistes qui entreront dans ce Paradis littéraire, tous ceux qu'ils ont réprouvés sont à jamais répudiés par l'académie. Il faut convenir pour la consolation de ceux qui ne sont pas au nombre des prédestinés, qu'on commence à être dans le secret; on sait que l'intrigue & l'esprit de partialité ouvrent seuls les portes de ce sanctuaire, & aujourd'hui le titre d'académicien n'a que la valeur des jettons qui font leur rétribution. Il est permis d'avoir du talent, de la réputation, sans être inscrit dans la classe privilégiée des quarantes. En somme, Mettra blâme l'esprit, qui «est le défaut du siecle & c'en est un grand quand on veut peindre» (5 févr. 1784), autant que les philosophes d'être les responsables de la pauvreté en matière littéraire. Il faut toutefois noter que Mettra ne s'en prend pas à la philosophie en tant que science, dans une conception large du mot. Le «vrai philosophe», selon Mettra, «ne se prévient contre aucun état & [...] sait toujours allier la raison & la décence» (30 oct. 1779). C'est donc l'esprit de parti, l'intolérance, le fanatisme qu'il reproche aux philosophes de son siècle. A l'occasion, l'Académie mérite aussi des louanges. Lorsque le célèbre avocat Target fut reçu à l'Académie, la Correspondance nous apprend que sa réception était un spectacle imposant. On peut voir «couronner les talens, les vertus & la considération publique, par une acclamation générale, dans le sanctuaire des Muses» (16 mars 1785). Les articles sur Condorcet sont parfois très favorables. Jean d'Alembert est, au début de la Correspondance, traité d'une manière fort négative, même haineuse, tandis qu'après sa mort, il est qualifié d'«un des plus grands Philosophes qu'elle [cette capitale] ait vu naître» (5 nov. 1783). C'est le théâtre qui occupe la plus grande place dans la Correspondance de Mettra. Les comptes rendus des théâtres ou des opéras révèlent que le nouvelliste assista fort souvent en personne aux représentations. Inutile de dire que l'éditeur porte un grand intérêt aux aventures et aux anecdotes relatives aux comédiens. Ne prenons qu'un seul exemple: les pièces de théâtre de Beaumarchais occupent de nombreuses pages dans la revue. L'attitude de la Correspondance vis-à-vis de Beaumarchais change cependant au fil des années. Au début, Beaumarchais est considéré comme un «intriguant» qui veut «s'attirer la faveur à quelque prix que ce soit, & qui ne [rougit] pas des moyens» (26 août 1775); neuf années plus tard, le 10 novembre 1784, en revanche, Mettra dit de Beaumarchais qu'il était doué d'un «génie supérieur». Les journaux appartiennent à un autre domaine cher à Mettra. Linguet, avocat, écrivain et journaliste, toujours soulevant des controverses et des polémiques, est le sujet de nombreux articles et commentaires. On discute, dans la gazette, abondamment la censure et la liberté de la presse. Ainsi, le 19 août 1775, l'éditeur fait publier un extrait des «Réflexions sur la liberté de la Presse, remises au Roi, par le Comte de Hessenstein, Feld-Maréchal de Suède». Le nouvelliste se plaint parfois des difficultés qu'il trouve à entretenir ses lecteurs des ouvrages qui viennent de paraître. Il est hostile à tout ce qui limite la liberté des écrivains d'imprimer des ouvrages susceptibles de contribuer au progrès. Mais l'écrivain ne doit pas pour autant tomber dans l'absurdité, voilà une raison suffisante pour supprimer ses écrits. Mettra n'adopte pas une attitude très ferme au sujet de la censure; il veut la liberté de la presse, une liberté synonyme non pas de licence mais de responsabilité. La Correspondance littéraire secrète est, au début, comme le titre l'indique, une revue de contenu principalement littéraire. Elle n'en renferme pas moins un certain nombre d'articles qui roulent sur des écrits politiques: libelles, vers, contes orientaux y figurent, mais aussi des ouvrages plus sérieux qui traitent du commerce des grains, des finances, de la jurisprudence. Y défilent Turgot, Necker, Condorcet, Mirabeau, Brissot de Warville, Malesherbes, et tant d'autres. Comme pour la littérature, le nouvelliste se contente de donner des extraits plus ou moins fidèles à l'original, rares sont les commentaires personnels. Et l'importance de la politique va croissant jusqu'à dominer tout à fait le périodique pendant la Révolution. Le programme affiché dans l'Avis de 1775 est répété le 22 février 1785 et, le 23 décembre 1787, l'éditeur ajoute à ses intentions antérieures: il ne se contentera plus, dit-il, de raconter des anecdotes littéraires; par la suite, il se propose de publier également des anecdotes d'ordre politique et il veut, en plus, renseigner ses lecteurs sur les «événemens de la société qui tiennent à l'histoire des mœurs & des opinions». Piquer la curiosité de ses lecteurs, les amuser et les divertir, voilà le but de Mettra, ce qui n'implique toutefois aucunement que le nouvelliste doit exagérer ses opinions et son attitude envers les matières touchant l'actualité. La véracité, l'impartialité et la modération sont, à ses yeux, les qualités essentielles desquelles le journaliste ne doit jamais se départir. Le 4 août 1787, il s'exprime ainsi: La plume du libelle s'agite sans cesse dans les petites comme dans les grandes affaires. On dirait que l'encre de tous nos écrivains s'est convertie dans le fiel le plus amer. Les personalités, les invectives sont devenues des armes d'un usage si familier qu'elles cessent d'être meurtrieres. Craignant de me rendre complice de l'audace de ceux qui les emploient, je me vois souvent forcé au silence sur les matieres qui intéressent votre curiosité. Le ton des premières années de l'existence de la Correspondance littéraire secrète change, en effet; en 1786 et surtout en 1787, il devient plus modeste, plus neutre, les commentaires agressifs ou ironiques se font plus rares. Au début de la Révolution, la Correspondance donne principalement des extraits d'ouvrages qui traitent des problèmes politiques à l'ordre du jour. Les lecteurs apprirent ainsi les nouvelles d'une manière indirecte. Mais Mettra avait pour principe, on le sait, de ne pas publier les nouvelles que l'on pouvait trouver dans n'importe quel autre journal. Il se déclare fort satisfait des nouvelles tendances politiques qui se manifestent en France, il est content de pouvoir constater l'abolition du féodalisme (6 mars 1790), car il déteste l'aristocratie et tout ce qu'elle représente. Les idées générales de la Révolution inspirent de l'enthousiasme à Mettra par ses vastes vues (6 mars 1790), les idées de la liberté l'emportent sur toute opposition (29 mai 1790), pense-t-il. Mais il est fort critique contre tous les excès, contre toutes les violences, il n'accepte donc pas aveuglément la Révolution. Son attitude est réservée et il critique les abus avec une grande sévérité. Malgré l'intérêt qu'il porte à la politique, le rédacteur essaie parfois de donner aussi des nouvelles des théâtres, de l'Académie française, de la vie littéraire, mais ces articles sont courts et rares. Il se rappelle toutefois ses intentions du début: ainsi, il déclare, dans le premier numéro de 1791, sa volonté de ramener la revue dans les ornières habituelles, but qu'il ne remplira pas: Pendant tout le cours de l'année derniere, emporté malgré moi par le tourbillon de notre révolution, je n'ai jamais pu sortir du cercle qu'il me faisoit décrire, & je vous ai sans doute entretenu jusqu'à la satiété, & des décrets de nos législateurs, & des prouesses de nos démocrates, & des convulsions impuissantes de nos aristocrates. Aujourd'hui que la constitution s'affermit & s'assiette par ses propres secousses, vous me saurez gré sans doute de jetter quelques fleurs sur la route épineuse de la politique, & de rendre à notre correspondance cette ancienne gaieté, cette petite pointe de méchanceté françoise qui la rendoit si piquante, & de recommencer ma guerre contre les vices & et les ridicules, sans offenser les personnes, observant avec soin ce précepte: Parcere personis, dicere de vitiis. Ne craignez pas cependant que je renonce entiérement à vous tracer le tableau de notre constitution; elle est trop intéressante aux yeux de l'homme, du politique & du philosophe, pour n'en pas suivre fidelement la marche [...]; mais je ne vous en entretiendrai plus exclusivement. Je vais comme autrefois faire repasser sous vos yeux nos académies, nos lycées, nos intrigues de coulisse, celles moins connues, & par cela même plus piquantes, de nos honnêtes femmes, nos couplets satiriques & malins, nos arts, nos modes, nos grands projets, nos petits soupers, nos clubs, nos sallons, & généralement tous ces traits qui nous caractérisoient, & que nous avons conservé sous la cocarde patriotique en dépit de nos tristes démagogues & de nos philosophes. On reconnaît les intentions exposées par Mettra en 1775 et répétées ensuite au fil des années. Mettra applaudissait aux réformes opérées en France pendant la période révolutionnaire, mais il ne put jamais accepter les violences, les brutalités, les massacres. Fidèle à ses intentions d'être impartial, il cherchait toutefois à justifier certains des crimes commis ou, du moins, à les expliquer par les difficultés qu'un gouvernement si neuf devait nécessairement éprouver à ses débuts. Lorsque Le Baron succéda à Mettra dans la rédaction de la Correspondance, l'attitude de la revue changea du tout au tout. Elle devint alors violemment hostile à tout ce qui regardait la Révolution, attitude gardée jusqu'à la fin de son existence. Le programme du nouveau rédacteur est présenté dans le numéro du 27 avril 1793: J'entreprends de continuer ou plutôt de renouveller une Feuille qui jouissoit du plus grand succès dans un tems où tout ce qui étoit mystérieux avoit un grand prix. Maintenant que l'abus de tout dire sans aucune réserve est à son comble, la Correspondance littéraire secrete ne pouvoit garder une place distinguée à travers cette infinité de sottises tour à tour atroces ou ridicules, que la presse fait passer journellement sous vos yeux. D'ailleurs composée à Paris, la Correspondance s'étoit insensiblement surchargée d'une forte teinte de ce délire qui depuis trois ans agite tant de millions de têtes, & en a totalement dérangé de ci-devant bien estimables. Le Baron prend aussi pour principe l'impartialité: Quand il n'est plus possible d'être impartial, du moins je puis avoir le sang froid pour guide dans la carriere que je me propose de parcourir. Ainsi, Monsieur, l'objet entier & vrai sera toujours ce que je m'efforcerai de placer sous vos yeux, sans essayer de vous intéresser particuliérement à l'aspect sous lequel il aura pu me frapper moi-même. Sur ce pied, le fait, négligé souvent dans la Correspondance secrète, aura toujours dans mes lettres le pas sur le raisonnement. Il me faudra peut-être revenir par fois sur le passé pour remettre au ton que je crois devoir être celui de cette feuille, certains points essentiels, où l'on peut s'en être écarté. Pour lors je serai véridique sans prétention, & précis sans toutefois me refuser de dessiner sur mon fond tenu à dessein d'une nuance toujours douce, l'anecdote sensible ou piquante qui sans cette précaution y seroit sans effet. Je tâcherai de faire ressortir mille de ces objets qu'a effacés des feuilles publiques l'outrance de leur sanguinaire couleur [...]. Le Baron ne réussit pourtant guère à être impartial. Au contraire, il s'exprime, dans ses articles, avec une violence verbale inouïe, il se répand en invectives, les injures et les outrages coulent à grands flots. Le 3 août 1793, il résigne sa charge de journaliste: La carriere de Journaliste devient si lugubre que je n'ose m'y avancer. Puisqu'il est également hors de propos & de publier des nouveautés dont les trois quarts se trouvent fausses, & de confirmer bien tard ce dont le Public ne doute plus, je vais tâcher de servir plus utilement la bonne cause, & j'abandonne la rédaction de cette feuille. Somme toute, la Correspondance littéraire secrète fait revivre une époque. Son contenu très varié, parfois bigarré, est un miroir de la société française et de la vie littéraire et culturelle en France. 7] Exemplaires La collection la plus complète se trouve à la Bayerische Staatsbibliothek, Munich. Elle renferme les années 1775-1781 et 1783-1793. La B.N. n'en possède que trois années: 1775, 1785 et 1786. A la B.R. de Stockholm figurent les années 1775-1778. Dans d'autres bibliothèques, on peut trouver des numéros isolés du journal. K. d'Ester a pu consulter une édition complète dans une collection particulière bavaroise (t. I, p. 50). En faisant des recherches pour son livre Sur la Correspondance littéraire secrète et son éditeur, V. Johansson a fait faire une photocopie des années de la Correspondance de Munich, qu'il a pu compléter par six numéros de l'année 1782, numéros provenant d'un exemplaire de la gazette qui se trouve à Marburg (Johansson, p. 10, n. 2). C'est le recueil photocopié de la B.U. de Göteborg que nous avons consulté pour effectuer nos recherches sur la Correspondance littéraire secrète. 8] Bibliographie DP2, Barbier, B.H.C., H.P.L.P., t. III. La Correspondance secrète, politique et littéraire, Londres, 1787-1790, en 18 volumes, passe en général pour être une réimpression de la Correspondance littéraire secrète. Il s'agit plutôt d'une compilation, dont la plupart des matériaux, empruntés soit à la Correspondance littéraire secrète soit aux Bulletins de Versailles sont plus ou moins remaniés; même les dates sont souvent changées. Notons que quelques articles se retrouvent également dans la Chronique scandaleuse de Guillaume Imbert. Son premier numéro remonte au 4 juin 1774 et le dernier porte la date du 7 octobre 1785. Il est fort probable que Mettra fut l'éditeur non seulement de la Correspondance littéraire secrète mais aussi de la Correspondance secrète, politique et littéraire. On la voit, en effet, souvent citée sous la dénomination la «Correspondance de Métra». Mentions dans l'Année littéraire, la Correspondance littéraire de Grimm, le Journal de politique et de littérature, le Journal encyclopédique, les Mémoires secrets de Bachaumont, le Mercure de France. Manuscrits, Hauptstaatsarchiv Düsseldorf, Kurköln II, nº 2116; Stadtarchiv Leipzig, Acta über den zur Zeit in Leipzig sich aufhaltenden Buchhändler Mettra. Anno 1796. Libri XLVI, 43. – Abbott E. Beatrice, «Robineau, dit le Beaunoir, et les petits théâtres du XVIIIe siècle», R.H.L.F., 1936, p. 20-54 et 160-180. – Beaunoir, Voyage sur le Rhin, depuis Mayence jusqu'à Dusseldorf, Neuwied, Société typographique, 1791, 2 vol. – Bibliographie de la France ou Journal général de l'imprimerie et de la librairie, Paris, 1818. – Ester K. d', Das politische Elysium oder die Gespräche der Todten am Rhein, Ein Beitrag zur Geschichte der deutschen Presse und des deuschen Gedanken am Rhein, Neuwied am Rhein, 1936. – Feiler S., Métra's Correspondance secrète, politique et littéraire: its content and nature, thèse, Evanston, Illinois, 1957. – Fontius M., «Mettra und seine Korrespondenzen», Romanische Forschungen, t. LXXVI, 1964, p. 405-421. – Fray-Fournier A., Club des Jacobins de Limoges (1790-1795), d'après ses délibérations, sa correspondance et ses journaux (Société des Archives historiques du Limousin, 2e série: Archives modernes, t. VI), Limoges, H. Charles-Lavauzelle, 1903. – Idem, Le Département de la Haute-Vienne. Sa formation territoriale, son administration, sa situation politique pendant la Révolution, I-II (Société des Archives historiques du Limousin, 2e série: Archives modernes, t. VII-VIII), Limoges, H. Charles-Lavauzelle, 1908. – Funck-Brentano F., Les Lettres de cachet à Paris. Etude suivie d'une liste des prisonniers de la Bastille (1659-1789), Paris, Imprimerie nationale, 1903. – Idem, Les Nouvellistes, 3e éd., Paris, Hachette, 1923. – Hjortberg M., Correspondance littéraire secrète, 1775-1793: une présentation (Acta Universitatis Gothoburgensis), Göteborg, 1987. – Johanson J.V., Sur la Correspondance littéraire secrète et son éditeur, Göteborg et Paris, Nizet, 1960. – Leconte L., «Un pamphlétaire de la Révolution brabançonne», Annales, 35e Congrès, Courtrai, 26-30 juil. 1953, fasc. IV, Fédération historique et archéologique de Belgique, 1955, p. 417-445. – Manuel P., La Bastille dévoilée, ou Recueil de pièces authentiques pour servir à son histoire, Paris, Desenne, 1789-1790. – Idem, La Police de Paris dévoilée, Paris, An II (1794). – Mulot F.-V., «Journal intime de l'abbé Mulot (1777-1782)», éd. M. Tourneux, Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France, t. XXIX, Paris, 1902, p. 37-124. – Quellen zur Geschichte des Rheinlandes im Zeitalter der französischen Revolution 1780-1801, éd. J. Hansen, I-II, Bonn, 1931-1933. – Schérer E., Melchior Grimm... avec un appendice sur la Correspondance secrète de Métra, Paris, Calmann Lévy, 1887. – Stein H., «Une saisie de livres chez l'ex-bénédictin Guillaume Imbert en 1772», Le Bibliographe moderne, t. XXII, 1924-1925, p. 222-227. Historique Louis-François Mettra (Metra, Métra; 1738? - après 1805), à tour de rôle banquier, agent de commerce de Frédéric II, agent diplomatique, négociant et libraire à Neuwied, ne fut vraisemblablement que l'éditeur de la Correspondance (cf. la lettre en date du 6 juin 1796 citée ci-dessus). Associé à la Correspondance littéraire secrète, son nom apparaît pour la première fois dans le Dictionnaire des ouvrages anonymes (2e éd.) de Barbier, publié en 1822. Se fondant sur les recherches faites par E. Schérer, V. Johansson a établi définitivement l'identité de Louis-François Mettra. Banquier à Paris, Mettra fut, à partir de 1767, agent de commerce de Frédéric II; vers la fin de 1771, il fit cependant faillite et fut remplacé auprès du roi de Prusse par le banquier Rougemont. Mettra confirme (cf. lettre citée) qu'il résida, en 1780, à Cologne d'où il partit en 1784, à l'occasion de la débâcle des glaces qui ruina son établissement. Sans doute rédigea-t-il également, au début des années 1780, Le Nouvelliste politique d'Allemagne, journal publié à Cologne et dont il se défit lorsque l'imprimerie du Nouvelliste fut détruite par l'inondation qui eut lieu le 27 et le 28 février 1784 (Kurköln II; Hansen, I, 35x, II, 19x; Hjortberg). En 1785, il était, on l'a vu, installé à Neuwied. Pendant les années 1790, Mettra était la victime de sévères attaques dues à ses opinions. En avril 1793, le comte von Westphalen, ambassadeur d'Autriche demeurant à Cologne, adressa au prince de Wied des critiques violentes au sujet de Mettra, car, à ses yeux, le journal de Mettra était par trop pro-français et pro-révolutionnaire (Acta über den zur Zeit in Leipzig sich aufhaltenden Buchhändler Mettra; Fontius, 417; Hansen, II, 368, n. 1). C'est justement à cette époque qu'eut lieu un changement profond dans la rédaction de la Correspondance littéraire secrète. Un rédacteur nouveau fut chargé de l'éditer; elle changea de titre aussi bien que d'attitude envers la Révolution: la Correspondance politique et littéraire Faisant suite à la Correspondance littéraire secrète était, au cours des derniers mois de son existence, contre-révolutionnaire. Ajoutons que les Bulletins de Versailles, nouvelle à la main manuscrite, ont vraisemblablement aussi leur origine dans les bureaux de Mettra (Fontius). Certains des collaborateurs de la Correspondance rédigèrent également des articles destinés aux Bulletins (Hjortberg). Guillaume Imbert de Boudeau (1744-1803), né à Limoges, forcé par ses parents à entrer dans l'ordre des Bénédictins qu'il quitta cependant en 1770, fréquentait, à Paris, les milieux philosophiques. A ses heures perdues, il traduisait des livres anglais. Son nom fut lié à la Correspondance littéraire secrète dès 1818 (Bibliographie de la France: «Nécrologie de Hedoin de Pons-Ludon»). «L'Imbert aux lunettes» (La Police de Paris dévoilée, t. I, p. 273) contribua, selon toute apparence, à la rédaction de la Correspondance par plusieurs articles, imprimés toutefois sous l'anonymat, et dont quelques-uns lui valurent même un séjour dans la Bastille: du 20 janvier au 2 mars 1781 et du 7 janvier au 3 mars 1782 (La Bastille dévoilée, t. VIII, p. 19 et 112-132; Funck-Brentano, p. 406-407). Il nous semble osé d'avancer, néanmoins, qu'Imbert est l'auteur des articles qui se retrouvent aussi bien dans la Correspondance littéraire secrète que dans la Chronique scandaleuse (1783), ouvrage effectivement attribué à Guillaume Imbert (Correspondance littéraire de Grimm, t. XIII, p. 353). Notons, en plus, les étroits apports en ce qui concerne par exemple l'échange de libelles prohibés par la censure qui existaient entre Guillaume Imbert, son frère Jean-Baptiste Imbert de Villebon, libraire à Bruxelles, et Louis-François Mettra. Ces libelles sont, bien entendu, le sujet de maint article de la Correspondance littéraire secrète (Fray-Fournier, Le Club des Jacobins de Limoges, XXXVI; id., Le Département de la Haute-Vienne, t. II, p. 265-267; Mulot, p. 68, 91; La Police de Paris dévoilée, t. I, p. 272-275; Stein, p. 222-227; DP2). Antoine-François Le Tellier, Jean-Philippe Barth et Guillaume Imbert furent embastillés vers la même époque et pour les mêmes raisons. La Bastille dévoilée (t. VII, p. 126) nous apprend que Le Tellier et Barth écrivaient des nouvelles à la main: Comme tous les penseurs sensibles, ce Prisonnier [Le Tellier] avoit devancé l'heureuse révolution qui s'opere. Indigné de cet ancien régime où les droits les plus sacrés de l'homme & de la justice étoient violés de la maniere la plus odieuse & la plus outrageante par tous les agens de l'autorité, révolté de l'insolence & de la dépravation des gens en place, il en parloit avec aussi peu d'estime que de ménagement dans les matériaux qu'il fournissoit pour une feuille périodique littéraire qu'on imprimoit à Cologne. Inde irae, de-là l'intérêt de le soustraire à la société. L'auteur de La Bastille confirme par la suite qu'il s'agit de la Correspondance littéraire secrète. Dans l'interrogatoire de Le Tellier, il était question, entre autres, d'une brochure injurieuse intitulée Le Pou. Un article qui roule sur cet écrit se trouve non pas dans la Correspondance, mais dans les Bulletins de Versailles, à la date du 4 novembre 1780. Au sujet de Barth, l'auteur de La Bastille souligne qu'il avait été «arrêté pour la même cause que le sieur Le Tellier» (t. VII, p. 132). Alexandre-Louis-Bertrand Robineau, dit de Beaunoir (1746-1823), dramaturge fécond, journaliste et pamphlétaire (Béatrice Abbott, Leconte), est un des rares collaborateurs de Mettra qui signait ses articles de son propre nom. Sans compter des poésies légères et des lettres «à l'éditeur», Beaunoir fit publier, dans la Correspondance, la Lettre d'un impartial, datée Neuwied le 30 septembre 1790, et répartie entre six numéros de la gazette. Elle était, dit Beaunoir, sa «profession de foi»; il souligne que ce «n'est point un libelle, mais l'expression d'un cœur vraiment François». Beaunoir y analyse la situation politique en France, examine la Révolution et souhaite la contre-révolution. Cette lettre est en effet un témoignage capital de la transformation que la Correspondance subissait: elle se changeait en un journal purement politique. De «correspondance littéraire secrète», qui renferme des nouvelles littéraires et des anecdotes, elle finit par donner à ses lecteurs des informations d'ordre politique. A partir du 27 avril 1793, on le sait, la Correspondance littéraire secrète eut un nouveau rédacteur. Les opinions de Mettra lui firent subir, de la part des autorités allemandes, des tracasseries. En plus, les nouvelles franchissaient les frontières avec des difficultés toujours croissantes. Dans le dernier numéro rédigé par Mettra, daté du 7 avril 1793, on lit ainsi: La correspondance de nouvelles avec l'étranger est entièrement interrompue. Les lettres sont visitées aux municipalités des frontieres; nous ne pouvons apprendre qu'à la convention nationale les événemens du dehors, & l'on nous refuse la satisfaction de nous entretenir avec nos amis au-delà des frontieres de ce qui se passe au milieu de nous. Les Gazettes étrangeres ne nous parviennent plus, & vous ne recevez probablement point les nôtres. On craint même que toute communication ne soit bientôt interrompue. Qui était le nouveau rédacteur qui signait ses numéros le Baron de ***? Est-ce peut-être Beaunoir qui avait accepté de rédiger la gazette? En effet, il y a une parenté manifeste entre la prose journalistique de Beaunoir et celle du Baron. Parenté de ton et de style mais aussi parenté de vocabulaire. Nous ne disposons toutefois pas de preuves qui nous permettent de conclure avec certitude que le Baron est le pseudonyme de Beaunoir. La ressemblance de leurs textes respectifs nous semble cependant parler en faveur d'une telle hypothèse. La contribution d'Alexandre-Balthazar-Laurent Grimod de La Reynière est, bien que signalée par les manuels, assez peu considérable. Il s'agit de six articles, tous signés, qu'il appelle des «idées», et qui roulent sur des écrivains classiques français. Ils sont publiés dans la Correspondance en 1787 et en 1788. On y trouve également quelques lettres de la main de Grimod adressées à l'éditeur. Il est intéressant de constater que l'attitude de la revue vis-à-vis de Grimod de La Reynière changea complètement: de très négative, elle devint favorable au moment même où Grimod commença à y publier ses contributions. Un tel revirement se produisit également par rapport à d'autres gens de lettres. Monica HJORTBERG
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